1967-2017, la philosophie entre stagnation et décadence
Avec le recul, la charnière de la fin des sixties se confirme avec clarté. Avec plusieurs indices et composants culturels. C’est la décennie 1960 qui a servi de marqueur pour édifier la thèse de Frochaux sur l’homme seul. Cette décennie 60 marquerait la fin d’un long processus amorcé depuis le néolithique. Elle voit aussi s’achever le concile de Vatican II. Le mouvement émancipateur de la jeunesse est un marqueur tout aussi puissant, comme du reste la nouvelle culture musicale autour du rock et cette monumentale charnière artistique de 1967-1969 avec le Floyd, Man, Led Zep, Crimson et j’en passe. Quelques événements ont été marquants. Mai 68 en France, le festival de Woodstock en 1969 aux States. Au Mexique, la révolte étudiante se traduit par quelque cent morts et des milliers de blessés après l’intervention de l’armée. Un livre ne suffirait pas pour décrire les puissantes transformations des sociétés occidentales autour de cette décennie charnière.
Dans le domaine de la pensée, la décennie 1960 semble clore une époque, avec des ouvrages majeurs se situant dans une continuité avec la fin du 19ème siècle ou dans une modernité issue du 20ème siècle. C’est vers 1968 ou un peu avant qu’ont été publiés des essais décrivant le tournant de civilisation s’opérant. Quelques auteurs. Habermas, Nisbet, Brzezinski et quelques autres ont tracé les contours de la civilisation technicienne et matérialiste advenue pendant ces années situées entre la fin de la guerre en 45 et la nouvelle société des seventies. Ellul publia son livre sur l’enjeu de la technique en 1954. La décennie 1960, c’est aussi celle de Lacan, de Lévi-Strauss, des mots et des choses de Foucault, sans oublier le hasard et la nécessité de Monod qui en 1970 popularisa le matérialisme scientifique. Parmi les écrits les plus fulgurants de cette époque, il y a les essais de Heidegger ainsi que nombre de textes sur le sacré émanant de Eliade dont les écrits majeurs sont certainement consignés dans un livre rédigé en anglais entre 1963 et 1966, rassemblés dans le livre the quest (traduction française, la nostalgie des origines)
Et après 1970, quel a été le destin de la philosophie ? Mon opinion est qu’elle a emprunté deux chemins, l’un conduisant vers une stagnation pour ne pas dire une stérilisation de la pensée et l’autre vers une joyeuse décadence.
La stérilisation de la philosophie est due aux pratiques universitaires. C’est un secret de Polichinelle que le constat d’une pensée devenue académique et qui le plus souvent, éteint les germes visionnaires des rares penseurs capables de voir et poser les questions fondamentales. L’Université a dispensé un enseignement de bonne facture mais la domination des anciens élèves de l’Ecole normale a façonné un univers intellectuel clôt et formaté. Les anciens mandarins se sont effacés au profit des requins squattant les congrès, les amphis et les commissions du CNU en quête de promotion.
A la frontière de l’université et des plateaux de télévision, une philosophie plus ou moins décadente a prospéré avec des textes plus ou moins bons. Qui pourrait me citer un livre majeur ou un penseur visionnaire s’étant fait connaître après 1970 ? Peut-être Ken Wilber aux Etats-Unis mais en France, la philosophie s’est mélangée aux phénomènes de mode émanés de l’institution. Bourdieu, Deleuze, Derrida, Lyotard, Baudrillard puis la génération Ferry, Finkielkraut, Comte-Sponville, Onfray, Lenoir et j’en passe. Quelques bons livres ont été écrits mais le courant dominant a été la décadence. Je ne parle pas de la philosophie des sciences qui en France s’est éteinte et ne subsiste que comme enseignement pour classes terminales à l’université et produits commerciaux pour ce qui concerne les textes connus du grand public. Hubert Reeves, c’est un peu le Jacques Séguéla de la cosmologie. Sur les épaules de Darwin, une cohorte de badauds vient voir le spectacle des choses racontées pour une classe de collégiens.
Décennie 2000 et 2010. Quelques potaches bien formatés de Normale Sup tentent de jouer les rebelles post-deleuziens de la philosophie et s’acoquinent avec les Inrocks pour exposer quelques idées façonnées dans la mode des anciennes avant-gardes pas encore décadentes des seventies. La messe est dite. Les philosophes sortis des écoles de philosophie n’ont plus rien à dire mais beaucoup à vendre. Les autres intellectuels non plus mais beaucoup de livres intéressants ont été publiés sans être transcendants pour autant. Rien ne permet de pressentir une sortie prochaine de cette ère stagnante et décadente.
Je ne développe pas plus. Je me retire dans mes pensées et vous adresse mes meilleurs vœux pour 2017.