Adolescence & imprégnation « islamique »
Les adolescent(e)s jihadistes ne le deviennent rarement par l'effet du hasard mais par un phénomène d'imprégnation ou de percolation culturelle. L'injonction d'une figure parentale peut agir de façon particulièrement insidieuse et faire long-feu. Une mère avait l'habitude de répéter à ses deux fils : « vous finirez en prison ! » La prophétie se réalisa mais de façon différente pour chacun d'entre eux. L'un devint délinquant et fut emprisonné, tandis que son frère était nommé directeur d'un établissement pénitentiaire !
L'adolescence est une période de transition entre l'enfance et l'adulescence (Le Bigot) qui débute à la puberté. Il s'agit pour l'adolescent d'une période adaptative difficile avec : des jugements à l'emporte pièce, l'affichage d'un anticonformisme, désir à imposer ses goûts, se singulariser au point d'en devenir conformiste, et l'islam peut représenter un moyen de s'affirmer en opposition ou non avec l'entourage. L'adolescence a des répercussions dans les aspects les plus divers : physique, physiologique, psychologique, sociologique, et est souvent source d'inadaptation et de conflits avec l'entourage. Le monde de l'adolescent est très diffèrent du monde réel et dans lequel il ne peut se reconnaître. La vision de l'adolescent n'est pas comparable à celle de l'adulte, le monde qui l'entoure peut lui apparaître plein de contradictions et l'adolescent le percevoir comme menaçant au point d'être à l'origine de réactions de peur, de défense, d'engagement. Peu importe que l'entourage soit sécurisant, si l'adolescent ne le perçoit pas comme tel, cela n'aura aucun retentissement sur son « vécu » ou ressenti.
L'Islam conduit à voir le monde comme une série de préceptes qui s'imposent à tous, et l'absence d'esprit critique prépare à une forme de « servitude » visant à maintenir une destinée commune, l'ouma. Le jeune musulman prend très tôt conscience de son appartenance à la communauté et tout autour de lui l'incite à développer sa religiosité. De jeunes musulmans n'osent dire à la « chiourme » qui ne jurent que sur le Coran de la Mecque qu'ils ne font pas Ramadan par crainte de représailles. L'aspect religieux (l'islam est hétérogène tout comme la chrétienté) intervient dans les opinions, le paraître, les comportements (natalité, moralité, valeurs, relations sociales, tenues vestimentaires, alimentation, etc.), et les fidèles se perçoivent liés les uns aux autres. L'enfant, garçon ou fille, est « invité » à prier dès l'âge de sept ans et obligé de jeûner quand il atteint ses quinze ans, dans les faits, la pratique du jeûne intervient vers les dix-douze ans. Quant à la circoncision, elle n’est pas imposée par le Coran, donc non obligatoire pour le converti, mais elle reste un signe d'appartenance chez la majorité des musulmans de tradition. L’âge de la circoncision varie selon les régions, quelques jours ou semaines en Arabie Saoudite, entre 5 et 8 ans au Maghreb et vers 13 ans en Afrique noire. Le rituel de l’ablation du prépuce est souvent interprété comme le passage à l'âge adulte.
Tout musulman se doit de célébrer la rupture du jeûne de Ramadan (Aïd el-Seghir) et 70 jours plus tard la fête du sacrifice (l'Aïd al-kabir) qui marque la soumission à Allah et la communion du fidèle avec la communauté : prière obligatoire, visites chez les parents et chez les voisins, échanges de vœux, repas pris en commun. Ces deux temps représentent un symbole identitaire très fort. Les autres fêtes principales sont : le nouvel an musulman (l'Hégire) - l'Ashura - la naissance du Prophète (Al Mawlid Annabaoui) - la nuit du destin (Lailat al-qadr) ou première révélation du Coran au prophète Mohammed dont la prière « a plus de valeur que mille mois de supplications ».
La religion apporte une résilience et crée des solidarités religieuses (sécularisés, fondamentalistes, etc.). Le groupe d'appartenance est celui auquel le fidèle a le sentiment d'appartenir et auquel il s'identifie, et chacun tend à déprécier les individus (fidèles ou les mécréants) appartenant à un autre groupe que le leur. D'une façon générale, on peut avancer que ce qui accroît la conformité aux normes du groupe sont : la pression (punition, récompense, vexation, éloge) - l'identification à un membre du groupe (leader) - l'attractivité du groupe. Le sentiment d'appartenance ne peut se développer qu'au contact direct ou indirect (Internet, livres, multimédia) des membres. Le groupe d'accueil le reconnait, lui accorde un statut, et lui propose un but, celui de relever un défi ! La capacité d'embrigadement repose sur la structure et le mode de communication intergroupe, mode de transmission et intensité. Plus le groupe réel ou virtuel reste restreint, plus il exerce une influence profonde sur ses membres et présente la tendance à se replier sur lui-même. Les membres d'un groupe formel se fixent des règles de conduite internes et externes strictes auxquelles chacun doit se conformer, il devient alors en principe possible à un regard exercé, de remarquer cette cohérence s'établir au fil du temps. Quand des parents disent : « on n'a rien remarqué », faut-il les croire ou craignent-ils d'être confrontés à leur incurie parentale, surtout quand une voisine a remarqué que l'adolescent étudiait assidûment le Coran, qu'il portait une djelaba, et qu'il s'était replié sur soi...
La période comprise entre 6 ans et la puberté est l'âge des acquis intellectuels et de la socialisation, l'enfant découvre l'égalité de traitement et des droits vis à vis des autres enfants. La véritable socialisation va débuter par les « compétitions » entre les enfants d'où se formera ou non la solidarité de groupe, l'enfant a déjà une conscience du bien et du mal. En cas de différence entre les milieux : scolaires, familiaux, sociaux, religieux, matériel, peut apparaître une tension poussant l'enfant à prendre fait et cause à un âge où il n'est pas en mesure d'en mesurer les conséquences et encore moins l'assumer. Il défendra les siens. Si au cours de cette phase surgit un événement affectif (naissance, séparation, deuil, enlèvement), cela peut venir compliquer la relation et entraîner des rivalités. Durant la période qui va de 6 à 9 ans, l'enfant découvre que le monde est gouverné par ses propres lois et que la pensée magique n'y a plus cours. L'enfant apprend par l'expérience que toute vérité n'est pas bonne à dire, il ne fait pas encore cependant la différence entre un mensonge pieux et le mensonge ruse. Vers 10 - 12 ans, c'est la remise en question des valeurs familiales, le goût du secret. L'enfant n'accepte guère d'être surveillé et il veut voir ses droits reconnus. C'est l’âge des amitiés et des confidences faites à des amis plus aptes à le comprendre.
La phase pubertaire marque le début des problèmes : troubles du comportement, du caractère, de la scolarité. La crise peut être la plus difficile de la pré-adolescence en raison de ses aspects : endocrinien - somatique - psychique et physique. Cette période peut être progressive et se dérouler en continu ou rapide, voire par étapes ou par « poussées ». Il n'y a pas d'âge précis pour la puberté, elle varie avec les ethnies et les conditions de vie. Elle apparaît généralement chez les enfants des deux sexes entre 10 et 16 ans avec une période de croissance rapide et brutale entre 10-11 ans pour les filles et 12-13 ans pour les garçons. C'est la période de timidité, de la maladresse, du mal être corporel ou physique. Cette période peut entraîner des difficultés d'accès au réel, et la relation au monde extérieur se suffire de la console de jeux ou d'Internet.
Entre 10 et 15 ans, les désidératas de l'enfant sont à prendre en compte, cela peut débuter par une affirmation de soi suivie d'une rébellion revendicatrice ouverte. Durant cette période, il n'est pas rare de voir l'enfant « se chercher », se replier, devenir plus secret, narcissique. C'est l'époque du conformisme, l'adolescent n'est jamais satisfait de son apparence physique, de son « look », et de son état. Une simple remontrance peut être à l'origine d'une fugue avec pour mobile l'affirmation de soi ou la fuite devant un conflit. Durant la phase juvénile, l'enfant est en opposition au milieu familial, éprouve des désirs d'émancipation, et présente un attrait pour la rationalisation, l'abstraction d'idées, l'originalité, la différenciation. L'enfant peut également présenter des tendances à la mythomanie, commettre des délits (drogue, conduite sans permis, etc.), à la prise de risques. Ses valeurs personnelles sont parfois très marquées pouvant aller jusqu'à l'exaltation. L'enfant peut vouloir vivre en bande ; c'est un « révolté » en puissance qui peut faire preuve de fanatisme. Il exprime son mal être dans des situations conflictuelles : impulsivité, agressivité, pulsions sexuelles, sentiment de culpabilité, problèmes familiaux, toxicomanie, bouffées anxieuses, dépersonnalisation intermittente. Selon certains scientifiques, la pratique assidue d'une religion quelconque pourrait se révéler dangereuse chez les psychotiques.
L'adolescent agit sans discernement, c'est à dire sans prendre conscience de sa conduite, ni de ses actions. Si la plupart du temps ces actions sont sans conséquences graves, elles peuvent parfois être dangereuses et se transformer en agression, perversion réactionnelle ou conditionnelle, amoralité, inadaptabilité, asociabilité. Cette période difficile est aussi celle des grandes modifications physiques et intellectuelles, mais aussi celle de l'adaptation à de nouveaux modèles. C'est l'époque des premières vraies aspirations amoureuses, du romantisme, et celle d'une face cachée. Vers 17 - 18 ans, le jeune adulte n'accepte plus d'être guidé ni couvé. Il veut se montrer responsable et comprendre le pourquoi de certaines limites qui lui sont imposées. Il prend ses distances avec la famille.
L'individu victime d'un mal être recherche des sensations, un exutoire, ou à se réfugier dans une dépendance, la dévotion, passant parfois de l'une à l'autre de façon fulgurante. Ce mal être peut se traduire par des explosions de colère démesurées et incontrôlées dont les conséquences lui échappent totalement, jusqu'à en ignorer tous les affects (honte, remords, culpabilité, etc.). Devenu adulte, la personnalité psychopathologique évolue chez certains fidèles vers l'égocentrisme à tendance paranoïde, sinon comment expliquer qu'une remarque sur le prophète agisse à l'adresse d'un fidèle comme si elle lui était personnellement destinée ? La religion n'est plus perçue par ce fidèle comme une philosophie de vie ou croyance, mais comme un sentiment ! Cette vanité qui consiste à se considérer l'égal d'Allah est un péché, et Allah blâme même le simple fait de déprécier quelqu'un en lui signalant une erreur...
Certains signes doivent alerter les parents, les proches, les enseignants : fugue - paresse - dérobade - état phobique - délinquance - incivilités - impulsivité - crise de colère - besoin d'un encadrement strict - intervention intempestive en classe - repli social - inquiétude sur les événements - incapacité à se détendre - évitement des contacts sociaux - ergotage - comportement provoquant - entêtement - pratique religieuse nouvelle - modification des valeurs morales ou comportementales, etc. Cette simple grille de lecture accompagnée de bienveillance devrait déjà permettre à des figures parentales de repérer des incohérences avant que des valeurs néfastes ne viennent s'enkyster. Rappelons que le droit reste très ferme sur la responsabilité des parents à l'égard de leurs enfants mineurs. Les parents sont tenus à une responsabilité objective vis à vis de leurs enfants. La loi du 4 juin 1970 et l'article 1384 prévoient la responsabilité solidaire des parents qui assurent la garde de leurs enfants mineurs. Si les adolescents sont en ce moment mis en cause dans des projets « farfelus », il ne devraient pas être les seuls. Si l'adolescent a « joué avec le feu », qui a apporté la graine de l'amadouvier ?