mardi 3 mai 2011 - par Krokodilo

Alerte météo au faux journalisme !

Comme la pluie ou l'orage, les publi-reportages reviennent régulièrement dans les médias professionnels, à la différence qu'on les subit sans en être toujours conscients.


Conséquence de l'anglicisation de l'UE, les articles sur le faible niveau en anglais des uns ou des autres se multiplient comme la mauvaise herbe.

Dernier en date sur 20Minutes On-line, où on lit cette inquiétante nouvelle : « les Suisses pas très bons en anglais » et, plus précisément « derrière l’Allemagne et l’Autriche » - on mesure la gravité du problème !

C’est un constat d’expert :  « L’institut de recherche EF Education first a examiné les connaissances linguistiques en anglais de deux millions d’adultes répartis dans quarante-quatre pays à travers le monde. Avec le onzième rang, le classement de la Suisse n’est pas très brillant. »

Ledit expert en reste pantois : « Le résultat relativement médiocre des Suisses surprend les experts » mais, en bon expert, il en trouve illico la raison : « l’école primaire vient tout juste d’introduire des cours de cette langue pour des élèves relativement jeunes ».

Ouf ! Nous voilà rassurés  : finalement le problème n’est pas si grave car, en grandissant, tous ces petits Suisses deviendront (probablement) de bons anglophones, et potentiellement de bons Européens.

Notre experte préconise néanmoins une mesure radicale  : « Pour remédier aux lacunes chez les Suisses, Kolar recommande l’introduction en primaire, et dans l’ensemble du pays, de cours d’anglais. »

Mesure certes un peu dictatoriale, orwellienne, mais « C’est le prix qu’il faudra payer pour survivre dans un monde de plus en plus globalisé », estime-t-elle. »

Un autre article récent s’est penché sur cette inquiétante faiblesse mondiale, dans L’Express et l’Expansion en ligne :
« Les Français parlent moins bien anglais que les Portugais »
 (Les Portugais apprécieront d’être utilisés comme symbole de médiocrité anglophone)
« Un groupe privé d'enseignement des langues vient de publier un classement des pays qui parlent le mieux anglais. La France arrive au 17ème rang. »

Un autre facteur clé est identifié : « La Norvège, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Finlande occupent les cinq premières places du classement. Pourquoi ? Selon Yvonne Kolar, une des explications parmi d’autres réside dans le fait que ces pays diffusent le plus souvent les films anglo-saxons en version originale, contrairement à ce qui se pratique notamment en Suisse. »

Bande de feignasses ! Après le boulot, vous vous prélassez devant vos films en français, une bière à la main, les neurones en roue libre ? Eh bien, tremblez maintenant : voici venu le temps de la VO imposée ! Grâce à laquelle, demain, vous jacterez le globiche européen aussi bien que les demi-dieux Nordiques qui ne connaissent que la VO. Certes, ils perdent leur vocabulaire technique à force de rédiger la quasi-totalité de leurs thèses en anglais, mais le grand journalisme ne s’égare pas dans les détails.

Malgré ce professionnalisme affiché, un doute nous a saisis. En se renseignant sur l’experte et l’organisme privé cités dans les deux articles, que trouve-t-on ? Un institut spécialisé dans le business de l’anglais !

« First Education First (EF) (www.ef.com), est le plus grand organisme éducatif privé au monde. Fondée en 1965 avec pour mission de « briser les barrières géographiques, linguistiques et culturelles » qui séparent les hommes, le Groupe EF emploie 29 000 personnes dans 400 écoles et 75 bureaux répartis dans 51 pays. (...) EF possède la plus grande école d’anglais en ligne au monde, avec plus de 15 millions d’utilisateurs. Fondée en 1996, elle a pour objectif d’améliorer l’enseignement de l’anglais grâce à la technologie. (...) EF propose des cours d’approfondissement en anglais, des formations en anglais des affaires et en anglais spécialisé ainsi qu’une préparation au TOEIC® et au TOEFL®.

Certes, chaque papier a précisé que l’enquête a été réalisée par « un groupe privé », mais on est loin d’un article de fond qui citerait l’étude (en vérifiant sa pertinence), la replacerait dans le contexte de la guerre des langues, dans l’UE ou dans le monde.

On serait plutôt dans la fourniture clé en main d’une enquête, avec tout à la fois le constat (on est faibles), l'analyse (on est « en retard » - ah bon, nous serions donc dans une course à l’anglais ?) et les recommandations : imposer l’anglais au primaire et la VO anglophone aux futurs petits Européens.

Bref, la définition même du publi-reportage, à se demander si la boîte en question ne fournit pas l’article déjà rédigé... Le fait que l’article de l’Expansion soit anonyme et celui de 20minutes seulement signé d’un mystérieux sigle entre parenthèses, « (rga) », n’a bien sûr aucun rapport !

Une boîte, spécialisée dans l'anglais, qui étudie les niveaux d'anglais des différents pays, puis recommande dans les médias l'anglais à haute dose pour tous les enfants suisses et français, de mauvaises langues pourraient juger qu'on frise le conflit d'intérêt  !

Sans nier la qualité et le professionnalisme de nombreux médias, il nous semble qu’on y trouve un peu trop souvent des articles de complaisance, plus proches du business et de la publicité - comme ici pour apprendre l’anglais aux tout-petits, un autre thème récurrent ces derniers mois : « Le baby-sitting en VO ouvre une agence à Lille »

C’était la vengeance (lâchement anonyme elle aussi) d’un journaliste citoyen contre le grand journalisme professionnel !



18 réactions


  • beo111 beo111 3 mai 2011 11:29

    Ce qui me fait toujours bien rire, c’est qu’il y en a toujours pour raconter ensuite que la domination de l’anglais est un phénomène « naturel ».

    Quand je vois tout le fric dépensé des acteurs privés et des « Etats » pour y donner goût et pour l’enseigner je me dis que rarement une entreprise aura été aussi peu efficace.


  • kiouty 3 mai 2011 11:31

    Oh bah il y a un exemple particulièrement évident de tout ça, encore plus que les cours d’anglais, c’est l’émission Capital de M6 qui sous couvert d’investigation et de « décryptage » de l’économie s’est en réalité transformée en gigantesque espace de publicité pour les produits et les activités qu’elle entend investiguer.


  • Gargantua 3 mai 2011 11:55

    L’article est vraiment passionnant, vous soulevez la pierre d’achoppement, d’un des moyens utiliser aussi bien par la presse que par tous un ensemble de groupes de pressions qui soit politiques, qui soit lobbylistes, l’argument béton - La France est en retard , elle se classe en telle position, sous sommes les parents pauvres etc bref toute séries d’arguments qui à pour but de nous mettre dans une situation d’infériorités, que l’on sente dans notre fort intérieur l’humiliation d’être en retard par rapport au propret inévitable de la modernisation.
    C’est un des moyens à mon avis le plus rotor, et le plus efficace, loin devant le gavage d’oie qu’est la publicité.
     Il y pas un pays qui échappe à cette règle, c’est a se demandé si notre discernement n’est pas devenue de pâte à modelé ? tellement il y a peut de réaction critique à cette avalanche de ce procédé.


  • Agor&Acri Agor&Acri 3 mai 2011 12:08

    si vous voulez un excellent exemple de faux journalisme, de publi-reportage maquillé en info,
    voyez le dernier décryptage de l’auteur du forum
    LE SILENCE DES LOUPS (Décryptage d’un monde interdit aux moins de 16 dents)

    C’est une analyse détaillée de la campagne de propagande qui est destinée à nous faire accepter progressivement la disparition de l’argent liquide, même pour les petits achats quotidiens.

    Et qui dit paiements électroniques obligatoires, dit traçabilité totale de chaque citoyen
    = habitudes de consommation, centres d’intérêts, emploi du temps, ... Orwell !!!

    L’analyse comporte 3 volets (on attend le 3ème)

    Voici les liens des 2 premiers :
    1/ Vos désirs sont nos choix, vous paierez comme il nous plaira ! (1ère partie)

    2/ Vos désirs sont nos choix, vous paierez comme il nous plaira ! (2ème partie)

    Il ne faut pas tomber ds le piège de la « modernité », du « high tech », du progrès.
    Au contraire, il faut exiger avec force le maintien du paiement en espèces, seul garant d’un minimum de respect de la vie privée.


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 3 mai 2011 14:06

    Bonjour KO, absoluting ! 

    " Les élites industrielles américaines comprennent qu’il est plus simple de faire confiance à des régimes fascistes car le « corporatisme » amène une stabilité propice au business et permet un contrôle accru des marchés visés par une organisation « militaire » du marché intérieur et une docilité inédite des masses travailleuses ; la chine reproduit ce modèle actuellement. " cela est d’autant plus navrant qu’en fait, c’est bien le chinois qu’il faudrait dès maintenant apprendre aux jeunes enfants afin qu’ils soient adaptés au monde dominant de demain...

    Quand au serbo-croate, quelle pourrait donc être cette langue qui se présente souvent comme un condensé des deux ?

    A tweetaleur !


  • Jean Lannes Christopher Lings 3 mai 2011 14:28

    J’aurais plutôt appelé cet article : « Processus de colonisation linguistique anglo-saxone »

    Relayé sur > Le bréviaire des patriotes


    • Krokodilo Krokodilo 3 mai 2011 16:41

      Que les anglophones veuillent maintenir les avantages que leur procure l’hégémonie de l’anglais est finalement bien compréhensible, chacun après tout protège ses intérêts, comme nous le ferions si notre gouvernement avait plus à coeur les intérêts de la francophonie...
      Je souhaitais plutôt pointer la complaisance de la presse qui relaie souvent des infos qui sont surtout des pubs pour les boîtes d’enseignement des langues (qui visent particulièrement les enfants), sans jamais rappeler le contexte.
      Un excellent hebdomadaire comme Le Nouvel obs a une politique de censure systématique de la question linguistique dans l’UE ! A moins que j’aie été distrait une semaine, ils n’ont jamais parlé de cet aspect de la construction européenne ! Par contre, les pages de pub pour les weekends à Londres ou les numéros spéciaux sur Londres, ça... faut bien vivre.


  • Giordano Bruno - Non vacciné Giordano Bruno 3 mai 2011 17:03

    Lernu Esperanto !


  • L'enfoiré L’enfoiré 3 mai 2011 18:45

    Un conseil d’ami pour trouver une place demain : apprenez le mandarin. smiley


  • L'enfoiré L’enfoiré 3 mai 2011 19:05

    @L’auteur,
     Juste une question : où intervient la météo dans l’article ?


    • L'enfoiré L’enfoiré 4 mai 2011 17:35

      Je vois que la réponse ne coule pas de source. smiley


    • Krokodilo Krokodilo 5 mai 2011 23:26

      Je trouvais au contraire que ça coulait de source comme la pluie, simple lien métaphorique avec l’introduction sur la fréquence de la pub déguisée, ou du journalisme sans recul critique.


    • L'enfoiré L’enfoiré 6 mai 2011 15:44

      Kroko,
       Un phénomène naturel mis en métaphore avec une idée humaine, une idéologie, une langue, il faut regarder autre chose que les Mickey Mouse.
       Cela n’a rien à voir même métaphoriquement.
       Je suis désolé de vous l’apprendre.


  • Hermes Hermes 5 mai 2011 20:06

    La première question à se poser est de : savoir comment ont étés pratiqués ces études, car certains aiment parfois l’auto-flagellation.


    La seconde est la façon d’aborder l’apprentissage des langues et de savoir ce que l’on recherche en pratique.

    Pour l’apprentissage des langues. Autant je trouve que la pratique de certains pays nordiques est excessive. Autant je trouve que la pratique française est insuffisante.

    Celle des pays nordique se résume à vouloir imiter le British natif, sans forcément faire dans une grande simplicité de compréhension. Autant la méthode française manque de volonté de parler une autre langue, même si c’est avec des mots simples tout en étant compréhensible. 

    J’ai un jour entendu un écrivain anglais parler ( en anglais of course) lentement avec des mots simples au sujet de choses assez complexes. Je pouvais tout comprendre. Et bien cela c’est être capable de s’adapter à son locuteur. On peut très bien se faire comprendre sans forcément utiliser d’idiomatismes, sans utiliser du vocabulaire hyper compliqué, en parlant lentement et en articulant.

    Cette façon de procéder, je le faisais depuis des années en utilisant le français, quand des étrangers viennent me voir en consultation. Tout cela sans m’en rendre compte. Et j’ai jamais trouvé que cela était dégradant, bien au contraire c’est un signe de respect de nos différences, selon moi.

    Il y a quelques années j’ai lu le livre sur le Globish. Et pour moi si on prend le temps de le lire sans préjugés. Utiliser cette approche avec l’anglais est largement réalisable dans le système scolaire. Bon on peut faire toujours des critiques sur le livre dans certains aspects, mais globalement c’est une bonne approche de base. Moi qui pourtant avais le vocabulaire anglais, j’étais incapable de faire ce que je faisais déjà avec le même vocabulaire en français. Et pour ma part quand je lis des articles anglophones comme ceux de wikipédia, je cherche toujours à voir si je peux dire les choses plus simplement. Mais bon cela est une histoire.



    • Krokodilo Krokodilo 5 mai 2011 23:24

      Cette fois, je ne voulais pas parler de l’apprentissage des langues, mais de la nécessité pour les médias de bien différencier le journalisme de la simple publicité, déguisée ou pas. En outre, l’étude de cette boîte mériterait effectivement d’être décortiquée, comme j’avais essayé de le faire pour celle sur les « touristes français, les pires de tous ? », thème qui avait été repris par de très nombreux médias, sans aucun recul à une ou deux exceptions près.


    • Hermes Hermes 6 mai 2011 04:07

      Remarque : l’article est écrit dans le 20min, journal hautement reconnu pour ses journalistes faisant des recherches et réflexions profondes. Donc faisons leur confiance, s’ils le disent, c’est que c’est vrai.


    • Krokodilo Krokodilo 6 mai 2011 11:11

      L’Express et l’Expansion sont également cités pour un papier sur la même « étude. »


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