Algérie, le pays des paradoxes

Et les paradoxes ne s’arrêtent pas là. Un pays où si tu marches, on t’arrête et si tu t’arrêtes, tu marques une pause, une halte, on te fait marcher à la baguette. L’un des ex candidats à l’élection présidentielle du mois d’avril passé vient de l’apprendre à ses dépends. Mais, il faut bien dire que cet homme-là n’est pas lui non plus à un paradoxe près. Binational (franco algérien), il a troqué la nationalité de son pays de raison, dans lequel il a grandi et fait des études de philosophie, pour tenter sa chance dans un pays des illusions. Et les illusions, il en a connu. Beaucoup. En si peu de temps. Et, cerise sur le gâteau, après un périple de près de 400Km de marche à pied pour protester contre l’état actuel de l’Etat algérien, il vient d’être arrêté, probablement menotté et conduit devant le juge d’instruction pour « troubles à l’ordre public ». Rachid Nekkaz, puisque c’est de lui qu’il s’agit ici, n’en revient pas. Lui qui voulait, en empruntant les chemins de traverse et les chemins poussiéreux de l’Algérie profonde, se mettre dans la peau d’un Gandhi pour faire partir, de façon pacifique, un système vieillissant et en fin de règne, se voit stopper net dans son entreprise. Dommage pour lui d’abord et pour ceux qui l’ont accompagné dans cette petite aventure pédestre qui reste, quoi qu’on en dise, unique dans son genre. D’habitude, en Algérie, on exprime ses ressentiments envers le pouvoir en organisant de « sit in » sur les places publiques d’Alger et des autres grandes villes du pays, lui, il a pris son bâton de pèlerin et pensait rejoindre, après plusieurs jours de marche, la « sablette » pour en extraire une poignée de sel…Dommage ensuite pour nous tous, car au-delà de ce qui est arrivé à notre ami le philosophe, c’est l’ensemble des algériens, qui veulent d’un véritable changement dans ce pays, qui se rendent compte que si une poignée de sel avait mis fin à l’occupation de l’Inde par « l’empire où le soleil ne se couche jamais », c’est loin d’être le cas chez nous. Chez nous, les citoyens ne sont pas encore mûrs ni n’ont une conscience politique bien aiguisée pour se mettre en file indienne derrière un Gandhi ou un Diogène et aller récolter le sel… la seule récolte qui les intéresse c’est les tunes. Et c’est ce qui ne manque pas, en Algérie, du moins tant que le prix du baril du pétrole reste à un seuil non inquiétant pour le pouvoir en place.

Cette « sortie » politique de Rachid Nekkaz (dont le parti n’est pas encore agréé officiellement), un peu spéciale il faut le dire, est, cependant, largement commentée sur les réseaux sociaux notamment sur sa page facebook personnelle qu’il alimente régulièrement depuis qu’il a entamé cette marche. Les photos n’y manquent pas également. A chaque escale, même dans le plus petit des villages, il n’hésite pas à prendre des poses, tantôt avec des jeunes, tantôt avec des paysans sur le visage desquels transparaît encore toute « la misère de la Kabylie ». Est-ce pour donner plus d’arguments politiques à son initiative en faveur du changement ou bien alors c’est bien la misère qui n’a pas encore quitté ce pays. la Mais, Rachid Nekkaz ne connaît pas encore assez le pays ni la mentalité des hommes qui l’habitent. Ce qui nous amène à évoquer un autre paradoxe et non des moindres : en Algérie, et c’est malheureux de le dire ici, celui qui est incapable de marcher, incapable de bouger ne serait-ce qu’un orteil, a plus de poids politique, plus de « légitimité historique » que celui qui fait des centaines de Km à pied… jusqu’à user la semelle de ses chaussures.