samedi 23 avril 2016 - par Emile Mourey

Caravage : le mariage de la Vierge

Caravage n'est pas seulement un peintre qui vendait ses toiles ; il était aussi le porte-parole d'un courant de pensée. C'est ce que je voudrais faire comprendre en montrant ce tableau dont l'histoire et la signification sont à redécouvrir. Huile sur toile, 184 cm sur 141 cm, par le Caravage et son école, un peu avant 1605.

Comme je l'ai écrit dans mon article http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/caravage-ou-pas-caravage-histoire-179970, ce tableau s'inscrit dans la suite de celui de Raphaël (ci-dessous). Cela saute aux yeux que Caravage a repris la même Vierge Marie dans sa posture et dans son habillement : même position des bras et des mains, même coiffure, mêmes couleurs, même écharpe placée en travers de la poitrine, même évocation discrète de sa grossesse. Comment peut-on hésiter alors qu'il est allé jusqu'à reprendre la même composition mais en ne conservant que les six personnages du centre, alors qu'il a conservé la même couleur ocre du manteau de Joseph. En revanche, il n'a pas repris l'habit du grand prêtre, préférant s'inspirer de celui que décrit la Bible pour Aaron, reprenant le croissant de lune d'anciennes représentations.

Il est dit dans l'Évangile de Luc qu'elle était « accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph » (Lc 1, 27). Le Protoévangile de Jacques et la Légende dorée de Jacques de Voragine exposent également les détails de cet épisode de la vie de la Vierge, se passant devant le temple de Jérusalem où les prétendants portent chacun une baguette ; seule celle de Joseph a fleuri, signifiant qu'il a été choisi par Dieu.(Wikipédia),

Une précision que Caravage n'a pas oubliée de mentionner mais en transformant la baguette de Joseph en bâton de pélerin pour désigner le futur pape Léon XI, un bâton de pèlerin qui, là aussi, a fleuri... 

Il ne faut pas être naïf. Le pape Clément VIII, représenté au centre, est malade. Ses jours sont comptés. De toute évidence, le tableau a été commandé par le cardinal Del Monte, protecteur de Caravage, pour faire la promotion du futur Léon XI, un pape d'espérance soutenu par le clan des Médicis favorable à la France. 

Ambassadeur représentant le pape, le futur Léon XI a parcouru l'Europe pour refaire l'unité de l'Eglise après la scission protestante. Négociateur habile et tolérant, il a pris parti pour Henri IV et l'a ramené à la foi catholique (1593). Cette Marie à laquelle il propose une nouvelle alliance, c'est l'Europe chrétienne, une Europe alanguie, une église encore souffrante des traumatismes causés par les guerres de religion. Soutenant délicatement le bras languissant de l'Europe chrétienne d'une main, s'appuyant très légèrement de l'autre sur son solide second et successeur, le pape Clément VIII confirme la nouvelle alliance qu'il a proposée aux peuples et aux rois. Fraternellement unis, comme l'étaient Pierre et Paul, voici les deux hommes qui portaient alors sur leurs épaules le poids de l'Église.

La version de Pérugin (1501 - 1504) est développée horizontalement. Celle de Raphaël (1504) comporte une composition circulaire (Wikipédia). Celle de Caravage, cent ans plus tard, est la vie même. N'avons-nous pas là, en parallèle, l'image d'un art et d'une Église qui évoluent pour aller vers plus de vie et d'humanité ? (1)

Mais ce qui fait l'unité des trois versions tout en en étant le centre, c'est bien la bague. J'en veux pour preuve la virtuosité dont ont fait preuve Raphaël, en haut, et Caravage, en dessous, pour la représenter en perspective (l'échelle est à l'avantage de Caravage).

Enfin, comment peut-on ne pas tenir compte de l'inscription que le Caravage a mise sur la mitre du grand prêtre : M AM S. Sachant que Caravage s'appelait, à sa naissance, Michelangelo Merisi, il faut comprendre que le A et le M des lettres du milieu ont un jambage commun. M AM S doit se lire ainsi : Michael Angelo Merisi Schola, c'est-à-dire : Ecole de Michel-Ange Merisi (avant qu'il se donne le surnom de Caravage). À noter que l'intéressé prend bien soin de mettre en évidence les initiales de son double prénom qui évoque le grand Michel-Ange.

C'est une inscription semblable qu'il a portée sur la lame de l'épée de son David tuant Goliath : M AC O, ce qui signifie Michael Angelo Caravagio Opus, œuvre de Michel-Ange Caravage. Entre-temps, l'intéressé, devenu célèbre et portant l'épée, a rajouté à son nom celui de son village d'origine, Caravagio, ce qui lui donnait un air de petite noblesse plus valorisant que "Merisi" (cf. Léonard qui prit le nom de Vinci, son village natal). 

Comment peut-on ne pas reconnaître dans le grand prêtre et dans Joseph, les deux papes représentés alors qu'il suffit de les comparer aux représetations sculptées de leur mausolée ?

Comment ne pas voir le génie de Caravage dans la façon dont il a fait scintiller dans l'ombre les pierres précieuses du plastron du grand prêtre ? (sa spécialité).

Comment expliquer, enfin, les oeuvres d'artistes qui l'ont copié ou qui semblent s'en être inspiré ? Carle Van Loo, Simon Vouet, Le Sueur ? Conservé dans l'atelier de Carlo Maratta, alias Maratti, comme je l'ai supposé d'après l'inscription portée au dos, le tableau semble avoir servi de modèle, notamment pour quelques dessins. Outre la broderie ci-dessous, il existe au moins deux copies paintes, celle de la photo en bas de page et une autre à Dijon, propriété d'un particulier.

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Emile Mourey, 22 avril 2016, photos Wikipédia en partie, de l'auteur pour le tableau étudié.

Renvoi 1. Cette représentation de la Vierge sort manifestement du Moyen âge. Il est très étonnant qu'elle ait perduré de cette façon, probablement parce qu'elle voulait être l'image d'une Église qui dure sans remettre en question ses dogmes.

Dans la chapelle de Bréchamps, en vallée de l'Eure, elle figure dans un vitrail.  et à Vielle-Tursan, elle date peut-être du XIIème siècle.  Quant au dessin, il viendrait de l'atelier de Maratta  ce qui va dans le sens de l'inscription fautive portée au dos de la toile du tableau de Caravage : “Copia o originale di Carlo Maratta 16 Giugno 1714 ROMA” : copie ou original de Carlo Maratta (peintre mort en 1713)… Il est probablement le peintre qui a décroché le tableau pour le remplacer par le sien. Probablement l'avait-il conservé dans ses réserves pour exercer ses élèves ou pour en faire des reproductions.

 



4 réactions


  • Emile Mourey Emile Mourey 23 avril 2016 10:42

    Comment ne pas voir à quel point le Caravage maîtrise ici son art. Il le montre non seulement dans la finesse de la bague mais jusqu’à ébaucher le diamant qui y est serti (il faut regarder très attentivement pour s’en rendre compte).


  • Le p’tit Charles 23 avril 2016 10:54

    Avec le...K-Ravage on s’emmêle un peu les pinceaux il me semble.. ?


  • Emile Mourey Emile Mourey 23 avril 2016 13:23

    @ Didier Rykner

    La Tribune de l’Art (www.latribunedelart.com)

    Bien d’accord que je ne suis pas assez fin connaisseur pour juger de la façon dont une draperie tombe mal ou bien, mais je suis tout de même capable de faire la différence entre un original de maître et une copie.


  • Emile Mourey Emile Mourey 23 avril 2016 13:34

    Astuce d’atelier de peintre. Si vous voulez voir briller les gemmes dans leur couleur ocre, il vous faut accommoder votre vision sur les gemmes noirs.


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