lundi 19 juin 2017 - par Jules Elysard

Chiens de garde et canards de cours

Proposé depuis le 6 juin, une première version de ce texte ne sera vraisemblablement pas validée par « la majorité qualifiée ». En effet, quelques modérateurs semblent considérer qu’elle pourrait contrevenir à la « propriété intellectuelle » du journal Le Monde.

Personnellement, à cette notion de « propriété intellectuelle » que pourrait invoquer ce « journal de référence », je préfère évidemment celle d’anti-copyright des situationnistes. Mais pour permettre la publication du texte, je prends sur moi d’en supprimer tous les renvois qui pourraient effaroucher les modérateurs.

Certes, le texte aurait dû sortir avant le premier tour. Mais, au vu des résultats, son actualité reste brûlante et le sera peut-être même un peu plus après le second tour.

Il semble que, si le despotisme venait à s'établir chez les nations démocratiques de nos jours, il aurait d'autres caractères : il serait plus étendu et plus doux, et il dégraderait les hommes sans les tourmenter.

Alexis de Tocqueville

De la démocratie en Amérique, tome II (1840)

Quatrième partie, Chapitre 6 :

Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre

 

La victoire, en voie d’achèvement, du Pouvoir de l’Entreprise sur le pouvoir politique (peu importe les hommes d'Etat ) est la victoire do la mobilité sur 1'immobilité, du cosmopolitisme sur le patriotisme, du secret sur le public ,bref du Capital affranchi de toute autre morale, politique, légalité, idéologie, que sa « morale », sa politique, sa légalité.

Alain Trillaud

Essai sur la société affranchie et comment s’en affranchir (1979)

 

Gérard Miller :J’espère qu’on va pouvoir parler aujourd’hui du programme de Mélenchon par rapport au programme de Macron...

Patrick Cohen : Ah, vous voulez refaire la campagne ?

France Inter, le 8 mai 2017

https://www.franceinter.fr/emissions/le-7-9/le-7-9-08-mai-2017

 

En France, dès le mois de janvier 17, la presse aura commencé de fêter à sa façon le centenaire de la révolution russe.

Trois candidats de droites devaient concourir lors de la présidentielle. L’une, Marine Le Pen, devait accéder au second tour afin d’y être écrasée grâce au « front républicain ». Les deux autres devaient donc se départager : le candidat des Repus, de la droite décomplexée, François Fillon ; et le candidat de la droite LSD (Libérale, Sociétale et Démocratique), Emmanuel Macron.

La presse penchait pour le dernier venu. Sa jeunesse, son couple, son audace lui avaient valu les faveurs et les couvertures des magazines en couleurs. Il plaisait aussi aux plumes du Monde, de l’Obs, Challenges et de Libération, car il disait « venir de la gauche » ; ce qui les flattait évidemment parce que c’était aussi le chemin qu’ils avaient suivi depuis trente ans.

Beaucoup de ces anciennes « consciences de gauche » n’avaient que commisération ou mépris pour ce qu’étaient devenus leurs « copains d’avant », ceux qui, n’ayant pas suivi le tournant de la « rigueur » et du « réalisme », étaient devenus, de fait, des « déviationnistes » : donc des ringards ou de doux rêveurs. Il s’en trouvait cependant qui gardaient de la sympathie, voire une certaine tendresse, pour les égarés : par exemple ceux qui s’étaient auto-proclamés « frondeurs » pour résister au virage à droite du second président socialiste.

Cependant, la gauche française ne se réduisait pas à ces débris du PS, ni à ceux du PC avec qui ils passaient des alliances électorales : encore moins aux vieux « gauchistes » encartés qui n’avaient rejoint ni le PS, ni le MEDEF, ni la CFDT, et représentaient donc ce qu’il est convenu d’appeler « l’extrême-gauche ».

Cependant une nouvelle mouvance de gauche semblait poindre dans les rues des grandes villes depuis 2011 (Indignados et Occupy Wall Street). On la qualifia de « gauche de la gauche » ou de « gauche radicale ». Les dirigeants de cette mouvance étaient légalistes. Ils se lancèrent dans des compétitions électorales avec des succès divers mais assez décevants : élimination de Bernie Sanders à la primaire démocrate, stagnation de Podemos autour de 20% en Espagne et expérience gouvernementale de Syriza en Grèce. On parla alors de « populisme de gauche ».

C’est dans ce moment historique que s’inscrit en France le passage du Front de Gauche à la France Insoumise et le programme de L’avenir en commun porté par Jean Luc Mélenchon. C’est aussi un temps où les gazettes, dans un souci d’égalité, pour faire pendant au danger censément représenté par le Front National, vont s’enivrer des mots « gauche radicale » et « populisme de gauche ».

 

Les chiens de garde se déchaînent, et les chiennes se surpassent.

En janvier, les sondages donnaient Mélenchon dans une fourchette de 11 à 15%. Sorti vainqueur de la primaire de la risible « Belle Alliance Populaire », Benoît Hamon a d’abord vu espérances monter à 15% quand celles de Jean Luc Mélenchon tombaient à 10%. Le candidat de la France Insoumise fut alors invité, parfois sans ménagement, à se rallier au panache blanc du candidat du « PS afin de réaliser « l’union de la gauche ». Rappelons que la « Belle Alliance Populaire » se qualifiait elle-même en toute modestie de « démocrate, radicale, écologiste, socialiste et citoyenne » et que son candidat avait déjà reçu le soutien inespéré de Yannick Jadot, pourtant vainqueur lui-même d’une autre primaire.

https://www.lesechos.fr/politique-societe/dossiers/0211047301382/0211047301382-presidentielle-2017-la-primaire-a-gauche-2007993.php

http://www.lemonde.fr/primaire-de-la-gauche/live/2017/01/29/primaire-a-gauche-suivez-en-direct-les-resultats-du-second-tour-entre-manuel-valls-et-benoit-hamon_5071024_5008374.html

Les sondages ont rapidement réuni les deux candidats dans des scores voisins, avant que Mélenchon ne se détache lentement, puis brutalement après le premier débat. Il devenait manifestement le quatrième des grands candidats, quand Hamon s’installait dans le statut de fort convoité de premier des petits candidats.

Le ton est monté d’un cran au moment où les sondages l’ont un moment placé en 3ème position. On se souvient que Pierre Gattaz et François Hollande s’en étaient émus. Une presse quasi unanime a témoigné de cette émotion, à un degré tel que, même Marianne, pourtant peu suspecte de sympathie excessive pour Mélenchon, a été contrainte de faire la leçon à ses confrères :

« La thématique principale a rapidement émergé : Jean-Luc Mélenchon serait un dangereux communiste qui ne dit pas son nom. Ainsi Bruno Roger-Petit enrage dans Challenges sur le « délirant projet castro-chaviste » (...) Le Figaro nous prévient : Mélenchon, « c’est Cuba sans le soleil ».[i] (...)Le coup de grâce vient de l’éditorial de une, subtilement titré « Maximilien Ilitch Mélenchon ». (...)Allons, n’est-ce pas un peu caricatural de faire passer Jean-Luc Mélenchon pour un dangereux bolchévik ? Au Figaro, on répond que ce dossier est « ce qui est attendu de la part du grand quotidien national de droite ». L’objectif : remobiliser l’électorat de François Fillon, mais également cette « part mouvante » qui hésiterait entre Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan. » »

https://www.marianne.net/politique/melenchon-le-rouge-attaque-par-la-presse-conservatrice

Il faut reconnaître à ce Bruno Roger-Petit cité par Marianne une antériorité et une constance dans la détestation de Mélenchon. Cet « enragé » mériterait que son champion de président le récompense de ses bassesses en lui offrant la direction d’un service portant ses initiales : Bureau de Répression de la Pensée.

https://blogs.mediapart.fr/jules-elysard/blog/100214/bruno-roger-petit-tres-tres-petit

Il en remet une couche dans son billet du 29 mai : « Mélenchon et sa VIe République, sa constituante, sa France insoumise, son attachement à l’alliance bolivarienne, la secte de ses militants, c’est la promesse de la mort de la gauche au pouvoir pour des décennies. »

https://www.challenges.fr/elections-legislatives-2017/melenchon-vs-cazeneuve-le-grand-tournant-sectaire-de-la-france-insoumise_476564

Le prétexte du billet, c’est la polémique avec Cazeneuve. Mais l’énumération des griefs est une constante chez le commissaire politique Roger-Petit. La suspicion de secte, et le titre de son billet, il les a trouvés dans M, le magazine du Monde du 26 mai : une « enquête » de sa consœur Ariane Chemin, « grande reporter » évidemment. Elle a publié le 26 mai un article intitulé sans vergogne Qui est vraiment Jean Luc Mélenchon ? Mais cette prose pourrait être rebaptisée : Ariane sur le chemin de la bassesse. Elle tient à s’attarder sur les funérailles de François Delapierre, porte-parole du Parti de Gauche disparu en juin 2015 :

« Lorsque Mélenchon nomme le « cadavre » sur lequel est resté « figé le sourire narquois », certains regards se croisent furtivement, étonnés. Ils n’ont encore rien vu. (...)« Camarade François Delapierre ? », lance une voix. « Présent, pour toujours et à jamais », répond le premier carré militant, comme les révolutionnaires chiliens quand ils rendent hommage à leurs morts.(...) une file se met en place autour du cercueil, foulard rouge autour du cou, fleur assortie à la boutonnière, main droite sur l’épaule droite de celui qui le précède, entonnant Grandola Vila Morena, le chant portugais de la « révolution des œillets. (...) Le rituel a été calé à l’hôpital par Jean-Luc Mélenchon et le défunt. Cette marche en rang est riche de sens : transmission, solidarité. Pour certains dans la foule, elle signe aussi au grand jour un « groupe sectaire » « tous les codes pour maintenir un clan homogène et très radicalisé », suggère un membre de l’assistance d’alors, aujourd’hui encore un peu glacé. »

On ne voit pas bien la nécessité de faire de telles révélations près de deux ans après les faits, surtout quand elles sont étayées par des mystères (« Une voix lance », « pour certains », « un membre de l’assistance »). Mais s’il s’agit d’étayer la thèse de la dérive sectaire, on peut, sans être vraiment complotiste, comprendre la manœuvre tant elle est grossière.

Comme pour le confirmer, une autre chienne de garde succède à la première. France Inter :« Revue de presse » du vendredi 26 à 8h30 intitulée : Poignée de main, la diplomatie de la virilité. Hélène Jouan commence donc en faisant partager aux auditeurs les exercices d’admiration auxquels se sont livrés le Wall Street Journal, le Figaro, le New York Times et le Washington post. Puis, après quelques sujets divers repris du Parisien et de Libération, elle annonce : « Et puis enfin c’est vendredi, le moment de savourer les magazines »

Et elle consacre un tiers de sa revue à l’article d’Ariane Chemin, et près de la moitié de ce tiers à l’épisode du crématorium. Et avant de finir sur des sujets « people », elle conclut son analyse de texte par ce conseil : « A découvrir donc dans M, « les lignes de failles » de Mélenchon ».

On ne s’étonnera pas qu’une commissaire politique reprenne sans barguigner le rapport de police d’une autre commissaire politique. On ne s’étonnera pas plus que, si elle a dû résumer un peu le compte rendu circonstancié de sa collègue, elle se permette de conclure par une citation qui n’est pas dans pas dans le rapport original : « les lignes de failles » de Mélenchon » ».

Mais on ne s’étonnera pas non plus que Charlotte Girard, veuve de François Delapierre, écrive : « Mes filles ne s’attendaient pas à s’entendre traiter de sectaires à l’évocation de la cérémonie d’hommage à leur père sur @franceinter. »

https://twitter.com/RaquelGarridoFI/status/868079903534710784

 

Les canards enchaînent des révélations avec abondance ou parcimonie.

Le Canard Enchaîné ne se laisse pas entraîner à de telles bassesses. D’abord, contrairement à Challenges, au Monde ou 7-9 de France Inter, c’est un journal d’information, et pas un organe de propagande. En conséquence, on ne trouve pas parmi ses journalistes des commissaires politiques comme Bruno Roger-Petit, Ariane Chemin ou Hélène Jouan. Mais pour autant le Canard Enchaîné assume une idéologie qu’on peut résumer en trois principes : laïcisme, libéralisme et démocratie. Et dans la défense de ces trois principes, s’il se veut intransigeant, il peut aussi manquer de clairvoyance et de critique dans la désignation de ses ennemis.

Né pendant la Première Guerre mondiale, il est pacifiste, antimilitariste, anticlérical, antifasciste et gentiment teinté de gauche sans être socialiste et encore moins communiste. Il a brocardé de Gaulle, salué l’arrivée de Mitterrand avant de le titiller et trouvé d’excellents clients avec Chirac, Sarkozy et Hollande. Il a contribué un peu à la défaite de Giscard. Mais il ne s’était jamais impliqué dans une campagne présidentielle comme il l’a fait cette fois. Aucun de ces auteurs n’a consacré à François Fillon un livre comme Le pire d’entre eux.

http://www.livreshebdo.fr/article/francois-fillon-au-vitriol

Mais pendant des mois, à longueur de colonnes, le Canard a montré que Fillon était le pire des candidats pour la droite décomplexée. Certes, par son comportement de propriétaire, par sa défense maladroite, l’ancien collaborateur de Sarkozy a confirmé ce jugement. Mais des lecteurs non-partisans ont pu faire remarquer au volatile qu’il s’acharnait sur lui, sans trop égratigner La Pen et sans titiller Macron. Il suffisait d’attendre que ce dernier soit élu pour que le Canard reprenne son travail habituel : chroniques des cours de justice et des courtisans. Nul doute que le président jupitérien sera un bon client. A commencer par ce Ferrand qui s’enferre comme un Fillon.

Cependant ce n’est pas lui faire insulte que d’écrire qu’il a œuvré à l’élection de Macron. Toute la rédaction a vraisemblablement voté pour lui au second tour. Et je crois qu’au premier tour Macron avait déjà obtenu la majorité des suffrages du Canard. A l’exception peut-être de quelques personnalités qui ont pu placer l’exigence écologique avant le vote utile et ont pu choisir de voter Hamon, voire Mélenchon.

Le Canard a pu se moquer un peu du pauvre Hamon. Un peu plus souvent de Mélenchon qui ne traîne pas d’affaires à la Fillon ou à la Ferrand, mais reste une tête du turc hebdomadaire assez facile pour ses façons de sans-culotte. En effet, s’il « coche » assez facilement à la case laïcisme, on sait qu’il s’oppose à un certain libéralisme et on le soupçonne, à cause de ses emportements et certaines de ses « fréquentations », de faire peu de cas de la démocratie.

Mais le Canard sait pertinemment que c’est au libéralisme économique que s’oppose Mélenchon et que le programme de la France Insoumise était le plus démocratique des programmes proposés à la présidentielle. Sans doute ce programme pouvait-il avoir un air démocratie populaire et le Canard n’a jamais éprouvé de tendresse pour le « communisme » qui a popularisé ce concept. La « mise en boite » hebdomadaire du candidat de la France Insoumise tient donc un peu du procès d’intention et le Canard mange du Mélenchon comme naguère il mangeait du curé.

Pourtant, la rubrique de Jean Luc Porquet (Plouf) n’aurait pas dépareillé dans le programme L’avenir en commun. Elle parle le plus souvent d’écologie radicale comme dans le n° du 24 mai (Les arches de Noé sont mal barrées). Elle a commenté des publications de la très radicale et très confidentielle Encyclopédie des Nuisances[ii]. Elle a rendu hommage à son créateur, Jaime Semprun, lors de sa disparition en août 2010, comme elle rendu hommage le 17 mai à deux figures encore plus obscures de la radicalité (Deux passants).

Dans le même numéro le Canard publie en page 2 Le SMS assassin de Mélenchon au PC. Faire croacroa avec les staliniens au passage de la Méluche, il fallait oser.

 

Médiapart est le plus connu des petits cousins numériques du Canard. Comme le Canard, il a attendu l’élection de Macron pour enquêter sérieusement sur les « Macron Leaks » : les secrets d'une levée de fonds hors norme

https://www.mediapart.fr/journal/france/210517/macron-leaks-les-secrets-dune-levee-de-fonds-hors-norme

En revanche, si le Canard assume tacitement son idéologie laïque, libérale et démocrate, Médiapart n’hésite jamais à l’arborer pour édifier ses lecteurs. Aussi, certains de ses lecteurs ayant été aussi des électeurs de Mélenchon, le site a cru bon de se défendre d’une « macron-mamia » et d’une « mélenchon-phobie » supposése.

https://www.mediapart.fr/search?search_word=Tchat+M%C3%A9lenchon%2C+Macron+et+Mediapart+

Il n’aura échappé à personne cependant que nombre de ses rédacteurs sont passés par Le Monde ou Libération.

 

Conclusion provisoire

Je commencerai par répondre à une question qu’on ne m’a pas posée depuis longtemps : « D’où tu parles, toi ? »

Je suis abonné au Canard et à Médiapart. J’ai voté Mélenchon en avril et je n’ai pas participé au vote de confirmation de mai.

Je ne croyais pas à la réalité du danger « fasciste et les événements m’ont donné raison. Les mêmes qui, prenant le ton de l’indignation vertueuse, exigeaient de Mélenchon et de ses électeurs qu’ils fassent barrage au Front National, s’inscrivent dans le « front républicain » et évitent « la faute morale » de ne pas choisir ; les mêmes, dès le lundi matin, triomphaient sans vergogne dans les médias, clamaient que leur champion avait été largement élu par un « vote d’adhésion » et qu’il fallait désormais lui offrir une majorité afin qu’il puisse gouverner et appliquer les « réformes urgentes » que, selon eux, les Français avaient souhaitées.

 

C’est cela la « démocratie totalitaire ». On y considère les nations comme des entreprises, les populations comme des ressources humaines à qui il faut arracher un assentiment au changement. Macron et ses disciples préfèreraient sans doute parler de « despotisme éclairé ». Mais Tocqueville demandait déjà en 1840 :

Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre ?. « Je pense donc, écrivait-il, que l'espèce d'oppression, dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l'image dans leurs souvenirs. (...) Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres (...s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie) »

A l’époque, la « démocratie américaine » était naissante, et avec elle le capitalisme conquérant. On peut donc imaginer qu’il voit percer déjà, sous le puritanisme des pères fondateurs, le consumérisme qui va bientôt se répandre et, plus tard, envahir le monde jusqu’à le mondialiser. Mais on peut penser qu’il est en train d’échafauder une critique du socialisme, une idéologie concurrente qui commençait séduire les masses laborieuses et certains intellectuels. Il dénonce « un pouvoir immense et tutélaire (...)absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. (...) il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ».[iii]

« Nos contemporains, écrivait-il plus loin, sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d'être conduits et l'envie de rester libres. ». Certes. Il opposait donc ces deux passions : l’égalité et la liberté. Et il voulait attirer l’attention sur les dangers de chacune. Mais, étant lui-même d’idéologie libérale, il voyait surtout des dangers dans l’égalité et dans un Etat social qui pourrait prétendre l’incarner. Cent quarante ans plus tard, Alain Trillaud pouvait constater « La victoire, en voie d’achèvement, du Pouvoir de 1’Entreprise sur le pouvoir politique ». Comme en écho, Margaret Thatcher déclarait : « There is no alternative ».

 L’égalité sociale n’est plus, comme on dit, un « sujet ». Seul importe, pour le monde de l’entreprise, l’égalité « sociétale », la lutte pour la diversité et contre la discrimination, voir pour la discrimination positive. Quant à la liberté, c’est d’abord la liberté d’entreprendre, d’innover, d’optimiser, etc., la liberté de parole ne devant pas froisser des minorités, et parmi ces minorités, les riches, qui, bien entendu, n’ont pas volé leur fortune.

Cette idéologie est l’idéologie « naturelle » des chiens de garde. De plus, ils sont payés pour la répandre. Ils sont dressés pour aboyer et pour mordre, et ils se dressent d’indignation pour complaire à leurs maîtres. Depuis le soir du premier tour, Mélenchon et les insoumis sont devenus l’objet principal de leurs attaques. Le service public télévisuel est à la pointe de ce combat. Ainsi LCP rediffusait le 29 mai dernier un documentaire de Bertrand Delais déjà diffusé en janvier : L’Idiot International, un journal politiquement incorrect. Un débat suivait, au cours duquel le maitre de cérémonie, Jean Pierre Gratien, a tenté, à plusieurs reprises, de faire dire à ses invités que Jean Luc Mélenchon avait quelque chose en lui du « rouge-brun » dénoncé dans le documentaire. Ni Bertrand Delais ni même Henri Weber n’ont pu le suivre franchement sur ce terrain. Mais les insinuations du « journaliste » sont-elles décomptées du temps de parole des adversaires de Mélenchon

http://television.telerama.fr/tele/programmes-tv/l-idiot-international-un-journal-politiquement-incorrect,112582539.php

http://www.programme-tv.net/programme/culture-infos/9032328-l-idiot-international-un-journal-politiquement-incorrect/

http://www.ladybirdsfilms.fr/diffusion-sur-lcp-lidiot-international-un-journal-politiquement-incorrect/

Quant à la matinale de France Inter, elle tient à rester le fer de lance de la croisade anti-Mélenchon. Pour qui en doute encore, il suffit d’avoir entendu la façon dont Patrick Cohen a reçu Danielle Simonet ce lundi 5 juin et David Rachline ce mardi 6 juin.

Un tel acharnement surprend car, selon les instituts, les sondages pour la France Insoumise culminent autour 12%. Pourtant ce mouvement est devenu l’ennemi principal pour la majorité des journaux et des « commentateurs autorisés ».

En revanche, le Front National, qui était un danger absolu jusqu’au soir du second tour, ne fait plus beaucoup peur. D’abord, il est entendu qu’il va se diviser. Ensuite de nouveaux éléments de langage commencent à être entendus : la tendance Philippot serait « extrémiste », tandis que celle incarnée par la Maréchal Le Pen serait « modérée ».

Jean Marie Le Pen doit être enchanté de cette nouvelle dédiabolisation. Parce qu’il ne remet pas en cause la question de l’euro, le Front National originel, historique, raciste et xénophobe peut être désormais qualifié de « modéré ». Merci Médor !

 

[i] Marianne est facétieuse. C’est son Emmanuel qui en 2012 déclarait à propos de la taxe à 75% : « c’est Cuba sans le soleil ».

http://www.liberation.fr/desintox/2017/02/23/taxe-a-75-discours-du-bourget-non-eric-ciotti-emmanuel-macron-n-y-est-pour-rien_1550502

[ii] L’Encyclopédie des Nuisances est d’abord une encyclopédie d’inspiration situationniste (15 fascicules de 1984 à 1992, puis une maison d’édition qui a publié, en autres, quatre volumesd’Essais, articles et lettres de Georges Orwell.

[iii] Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs. principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?



5 réactions


  • cartouche2 19 juin 2017 11:54

    Bonjour,

    T’a voulu faire du Mélanchon et t’a réussi, t’a l’air très intelligent mais j’ai rien compris.
    Enfin j’ai compris chaque phrase... Et sa phrase d’accompagnement... Gniii.

    Je vais faire un effort parce-que tout le monde mérite une cartouche.

    Si j’ai bien compris, tu met en avant les désaccord qu’il peut y avoir entre les intérêts des média qui soutienne le gouvernement et un proposé par le gouvernement.

    Vous faites rapidement la promotion d’une vielle école <3

    Vous faites du débunkage de vocabulaire super-compact avec une utilisation originale des guillements. (Bien joué)

    Vous parler de deux rouges internationalistes qui serais de mèche. Bha... oui.
    Vous vous plaignez de la diabolisation des rouges par les mass média. Bha... oui.

    J’ai fait assez d’efforts pour vous.

    ++


  • cevennevive cevennevive 19 juin 2017 12:12

    Bonjour Jules Elysard,


    Beau travail, belles analyses et déductions. Merci !

    Les « chiens de garde » vont très vite retourner leur veste, j’en suis persuadée.

    Ce qui montre bien qu’aucune analyse journalistique -je dis bien aucune- n’est à prendre totalement au sérieux, et que, peut-être, cette approximation des vues nous apporte beaucoup, à nous qui comparons, qui réfléchissons et qui analysons. Ils nous tendent gentiment les motifs et les preuves pour les contredire...

    Donc, ils sont tout de même utile, non ?

    Cordialement.


  • Jules Elysard Jules Elysard 22 juin 2017 18:34

    Trois chiennes gardes se surpassent : Nathalie Saint-Cricq (France Télévisions), Françoise Fressoz (Le Monde), et Carine Bécard (France Inter). Et Demorand les regarde aboyer.

    http://www.acrimed.org/De-l-art-de-saboter-une-interview-politique


  • magneticpole magneticpole 23 juillet 2017 18:50

    Avez vous remarqué que les commentaires des lecteurs dans la presse française sont de plus en plus censurés, je crois bien sans pouvoir formellement le prouver que les médias français s’échangent des fichiers de gens blacklistés.


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