jeudi 22 décembre 2016 - par Brice Bartneski

Chronique d’un pauvre ordinaire #1

Parce que je suis pauvre, je parle des pauvres. Pauvre ne veut pas dire fainéant ou bon à rien. Pauvre veut dire non-riche.

Pour définir la pauvreté, admettons qu'être riche serait de vivre ses envies sans compter. Alors être pauvre serait de subvenir à ses besoins en comptant.

Ces chroniques sont réelles, seuls les noms propres ont été changés.

Déborah

Ses lèvres étaient bleuâtres. La peau juvénile de son visage aux traits grâcieusement harmonieux était grisée. Le désespoir se lisait sur son corps tout entier. Des bleus, des coups, des coupures, des lacérations, des piqûres, des cicatrices et sa maigreur exprimaient sa souffrance. De sa bouche entrouverte avait séché un filet de matière blanche et mousseuse qui s'était écoulée jusqu'à son épaule osseuse. Ses yeux étaient ouverts, regardant le vide.

Elle était installée sur le brancard en inox glacial de l'ambulance lorsque Brice l'a vue. L'officier de police venait d'ouvrir la housse mortuaire.

Il était 9h30 quand Brice a répondu à l'appel du commissariat. La police réquisitionnait l'agence de pompes funèbres dans laquelle il travaillait. Un corps devait être transféré à la morgue.

Déborah était raide morte, allongée sur le dos, nue sur son lit de la cité des « cas soc' » lorsqu'elle fût déclarée morte. Sur le certificat de décés, le médecin avait inscrit : « Suicide médicamenteux présumé. Mort suspecte. » :

  • Le médecin demande une enquête car il a des doutes sur le suicide. Il y aura peut-être une demande d'autopsie. Déclara l'officier Chanclair.

  • Tu le sauras quand ? Lui demanda Rémi, le chef d'agence qui refermait la housse.

  • Ça dépend de l'enquête et du parquet. Mais ça devrait aller vite car on la connait bien. C'était une droguée et il y avait un tas de boîtes de médocs à côté d'elle et une bouteille de soda vides.

  • Quel âge ?

  • Vingt-deux

  • Des gosses ?

  • Deux. C'est la grande de sept ans qui l'a trouvée ce matin. Elle est allée réveillée sa grand-mère pour lui dire que sa mère était morte...

  • Le père ?

  • Un qui est en tôle depuis six mois et l'autre, on ne sait pas encore.

  • De la famille ?

  • Sa mère, deux sœurs et trois frères.

  • Ok. On a huit jours. Mettez-là en positif. Elle est propre.

Le délai maximum légal d'un permis d'inhumer ou d'incinérer quelque soient les circonstances, sauf obstruction judiciaire, est de huit jours à partir de la date déclarée du décés, se disait Brice en remplissant le formulaire d'admission.

Pierrot était l'employé de la morgue chargé des manipulations des défunts. Il ouvrit une cellule à 4° celcius disponible et y fît glisser le plateau du brancard sur les rails prévus à cet effet. Brice et Pierrot étaient seuls dans le laboratoire de préparation et de stockage des défunts.

  • C'est gâché, elle pouvait encore servir...

  • Oh t'es con Pierrot. Arrête merde c'est triste quand même non ?

  • Triste pas triste, tu sais, la mort c'est triste de toute façon.

  • Mmouais...dis donc, ça veut dire quoi les huit jours en fait ?

  • Ça veut dire que si l'enquête conclue à un suicide, il n'y aura pas d'autopsie et le corps sera à disposition de la famille.

  • Pourquoi ? Il ne l'est pas ?

  • Ah ben nan. Pour l'instant il appartient aux flics. Mais pas pour longtemps j'en suis certain.

  • Pourquoi ?

  • Parce que c'est déjà fait. T'as entendu Chanclair ? Il la connaissait bien. C'est plié. Le toubib peut remballer. Et Rémi a dit huit jours, alors...

  • Et alors ?

  • Et bien dès que la police donne son feu vert, on enterre ou on crame si quelqu'un paye.

  • Comment ça ?

  • Si dans huit jours personne ne paye, direction la fosse commune payée par la mairie.

C'est là où on enterre les pauvres. Les pauvres n'ont pas le choix de la crémation. C'est trop cher. Mille cinq cent euros minimum tandis que l'inhumation coûte huit cent euros minimum. Alors c'est le carré des indigents, c'est à dire des pauvres non réclamés. C'est un espace à l'écart dans les cimetières. Des tombes individuelles et non communes sont creusées en pleine terre, c'est à dire qu'il n'y a pas de caveau ni monument. En tête de la tombe est plantée une pancarte en bois en forme de « T » sur laquelle sont inscrites les informations civiles connues du défunt ainsi que les coordonnées du service « état-civil » de la mairie. Ceci afin que la famille puisse « récupérer » le corps pour d'autres obsèques mais aussi et surtout pour que la mairie lui présente la facture. C'est à dire que la famille rembousera la mairie et devra faire procéder à une exhumation avant la nouvelle inhumation dans un autre lieu ou la crémation. Une double peine pour les pauvres.

Ce que l'on appelle « fosse commune » existe bel et bien mais il s'agit d'un ossuaire. C'est à dire que les tombes indigentes sont à disposition des mairies qui peuvent procéder au bout de 5 ans à l'exhumation et la réduction des corps. La réduction consiste à regrouper les os dans une caissette identifiée puis déposée dans une construction prévue à cet effet avec d'autres défunts « réduits ».

Brice était employé depuis deux mois pour recevoir les familles et organiser les obsèques.

Alors qu'il tacturait un dossier, la porte de l'agence s'ouvrit. Il sût immédiatement de qui il s'agissait lorsqu'il aperçut les deux petites filles accompagnée d'une femme d'une quarantaine d'années. Il les acceuilla dans son bureau.

  • Je suis la maman de Déborah. Est-ce que je peux la voir ?

  • Malheureusement non Madame. Tant que la police ne nous donne pas l'autorisation, on ne peut rien faire.

  • Elle est où ? Dans quel état ?

Brice ne pouvait s'empêcher de regarder ces deux petites filles qui semblaient ne pas comprendre ce qu'elles faisaient là. Il ne savait pas comment leurs répondre sans les choquer. Leur maman était au frigo. Toute nue. Marquée par la vie, par la mort. Du vomi séché coulant de sa bouche.

  • Elle est belle, elle se repose. Brice savait que la toilette et l'habillage étaient obligatoires et qu'elle serait visible dans quelques heures, si la police conclue au suicide. Il savait également ce que les familles voulaient entendre dans ces moments douloureux.

  • Il faut faire quoi maintenant Monsieur ?

  • Vous pouvez vous occuper de l'organisation des obsèques en commençant par le choix des pompes funèbres.

  • Elle est chez vous, autant que ce soit vous. C'est combien une incinération avec une urne ? C'est moins cher qu'un enterrement non ?

Brice lui proposa de réléchir aux prestations afin de lui établir un devis incluant le transport du corps jusqu'à la morgue.

  • C'est plus cher mais elle aurait préféré que je la garde près de moi dans une urne alors ce sera la crémation Monsieur.

Avant de lui proposer de signer le devis, Brice l'informa qu'un acompte de 50% était exigible à la signature du bon de commande.

  • ça fait neuf cent cinquante euros maintenant ?

Ne pouvant faire face, elle demanda un délai que Brice lui accorda sans hésiter puisqu'elle avait huit jours légaux devant elle pour réunir la somme. Puis la police ne s'étant pas encore manifestée, le temps agissait en sa faveur.

La journée se passa dans le doute jusqu'à la fermeture de l'agence. Brice pressentait des problèmes quant au bon déroulement de ce dossier. Mort suspecte, famille de pauvres, deux pères dont un écroué, des frères et sœurs « absents », pas de nouvelles des flics...tout cela ne présageait rien de bon.

Deux jours s'étaient écoulés avant que l'officier de police appela l'agence :

  • Salut Rémi, c'est bon pour la suicidée. Il n'y aura pas d'autopsie.

  • Salut Chanclair. Elle s'est suicidée en fin de compte ?

  • Oui c'est certain, tu peux y aller. Je t'envoie la levée d'obstruction.

  • Ok, je préviens la famille.

Rémi informa Brice que la famille était en route pour apporter des vêtements propres et lui dit de ne rien faire tant que l'acompte n'était pas versé. Ne rien faire voulait dire, pas de remise de devis, pas de signature, pas de visite ni toilette ni habillage. Il lui rappela également de ne pas oublier la location du frigo dans le devis.

Huit jours passèrent. Brice décida de contacter la maman de Déborah. Elle lui répondit ne pas encore avoir regroupé la somme nécessaire mais qu'elle disposait de trois cent soixante dix sept euros. Le délai légal étant arrivé à échéance, Brice informa Rémi de la situation.

  • Combien ?
  • Trois cent soixante dix sept euros pour l'instant. Mais elle m'a dit qu'elle a contacté les pères et les frères et sœurs et qu'ils vont tous participer. Elle a juste besoin d'un mois maxi pour la totalité.
  • Mmmouais, ça m'étonnerait.
  • On peut déjà faire la toilette, l'habillage et une visite pour trois cent et des euros non ?
  • Et pis quoi encore ? Tu rigoles ? Tu fais ça et t'es obligé de faire le reste même si y'a pas un rond. Certainement pas !On n'est pas les mères Thérésa des pompes funèbres. Envoies le dossier à la mairie. C'est plus notre problème. Et si la mairie te demande un devis, tu fais le tarif. Il la refourguerons à la concurrence pour cinq cent balles et nous on encaissera le transport et la loc du frigo. Et puis dit à Pierrot de la foutre en nég' et de sortir l'ambulance. Les flics viennent d'appeler, ça a cartonné sur l'autoroute, on a besoin de place. On y va tous. T'es tout seul à la boutique. Ta famille arrive. Déconne pas hein ? Les chiffres ne sont pas bons ce mois-ci.

Brice supporta le regard des fillettes et de leur grand-mère à peine une demi-seconde avant de leurs annoncer que « le dossier » appartenait à la mairie dorénavant et qu'il fallait se rapprocher de l'état-civil.

  • On peut la voir quand même ? J'ai amené ses affaires

  • Si la mairie l'autorise Madame. Je suis désolé.

Déborah est restée trois semaines en nég'. C'est un congélateur à -28°celcius.

La mairie n'ayant pas trouvé de devis satisfaisant a renvoyé « le dossier » en Préfecture. « Le dossier » a été clôturé par la Préfecture avant d'ordonner d'ihnumer par réquisition car la famille, les amis, les proches, les voisins et tout le quartier des cas soc' s'étaient côtisés pour Déborah.

  • On a quatre mille deux cent trente et un euros. Je veux un beau cerceuil et une belle urne pour ma fille. Je veux la voir. Ça fait un mois que j'attends. Elle est habillée maintenant.

Pierrot était surpris quand Brice lui demanda de mettre le corps en nég'.

  • T'es sûr qu'il t'a demandé ça ? Il y a une toilette et habillage avant ?
  • Non . Il a dit que le dossier partait en mairie et que c'est plus notre affaire.
  • Et ben putain, même morte elle va encore souffrir...
  • Pourquoi ?
  • Elle va être toute bleue et toute congelée. C'est mort pour la montrer après. Ce sera mise en bière et fermeture de cerceuil sans personne.

Brice expliqua à la maman de Déborah que c'était la procédure et combien il était désolé. Puis il lui conseilla d'aller chez la concurrence car il trouvait dégueulasse que son patron encaisse. Mais elle lui demanda si c'était lui, Brice, qui s'occuperait de Déborah. Il lui répondit que oui, si elle le souhaitait.

Déborah repose près de sa maman et de ses filles. Dans la cité des cas soc', sur son lit, parmi ses poupées et peluches, dans une urne de nacre blanc.

En rentrant chez lui, après la remise de l'urne, Brice ne pouvait s'empêcher de penser à cette injustice qui pousse notre société à l'indignité des plus abjectes. Par solidarité nous côtisons pour notre santé, notre vieillese, nos handicaps. Pourquoi pas pour la mort ?

 

Ce n'est pas une tare d'être pauvre. C'est juste difficile.

bartneski



18 réactions


  • Victor 22 décembre 2016 11:30

    Enquête sociologique marrante :
     
    Dans les années 70 on a demandé aux américains s’ils préféraient être plus riches mais moins que les japonais, où moins riches mais plus qu’eux ?
     
    La réponse ne fut pas celle de bobo sirupeux l’ignare idiot utile de la gogoche libéraste bonniche négrière du Capital ...
     
    Le marxisme c’est le réel, pas la branlette NPA.
     


    • Victor 22 décembre 2016 11:37

      Celle là est beaucoup plus illustrant le monde du « jouir sans contrainte » de gogocho le libidineux bobo chanel, et ses ubérisés africains importés pédalant pour lui apporter son MacDo biobio végan snobinard dans son quartier mondialiste HQE électrifié :
       
      « Ni aujourd’hui ni jamais, la richesse ne suffit à classer un homme, mais aujourd’hui plus que jamais la pauvreté le déclasse. » Charles Maurras


    • Sozenz 22 décembre 2016 13:50

      @Victor
      « Ni aujourd’hui ni jamais, la richesse ne suffit à classer un homme, mais aujourd’hui plus que jamais la pauvreté le déclasse. » Charles Maurras

      en quoi la pauvreté déclasserait ?
      le pauvre serait il moins noble qu un riche ? serait il plus pervers qu’ un riche ? serait il moins fière ( dans le bon sens du terme) ? serait il moins aimant ? serait il moins intelligent ? etc ....
      l être humain a la valeur a laquelle son Esprit et ses Actes le place.


    • Victor 22 décembre 2016 17:59

      @Sozenz
       
      Le pauvre est un salaud, la gogoche explique qu’on devient dealer car on est pauvre, où on devient barbu ... alors que si on est riche on est forcément bon (excuse sociétal = mépris du pauvre).
       
      Avec l’argent acheteur universel, la relation au monde passe tjrs par ce dernier (alors que par ex ds le monde féodal, la relation était directe serf-seigneur en nature et hiérarchie), et transforme la pauvreté en déclassement social, c.a.d en NON POSITION sociale. Le fétichisme de la marchandise (tout est achetable, même le bébé) a remplacé par ex l’honneur guerrier, les rapports religieux, les rapports féodaux, les rapports holistes (organiques d’une société guerrier/prêtre/paysan etc...), les rapports de clans, de la familles, du peuple...
       
      « Le principe général de l’argent est en réalité la prostitution universelle, qui est la phase ultime nécessaire de la société capitaliste. » Karl Marx sur le RU
       
       


    • Victor 22 décembre 2016 18:12

      @Sozenz
       
      Maurras veut dire que la valeur morale de l’homme ne dépend pas de la richesse, mais que dans le monde moderne sa valeur morale ne compte plus.
       
      Et Marx disait pareil (La question juive) :
       
      L’argent est le dieu jaloux, d’Israël, devant qui nul autre dieu ne doit subsister. L’argent abaisse tous les dieux de l’homme [ses valeurs morales] et les change en marchandise. L’argent est la valeur générale et constituée en soi de toutes choses. C’est pour cette raison qu’elle a dépouillé de leur valeur propre le monde entier, le monde des hommes ainsi que la nature.
       
      En fait Maurras et Marx sont réactionnaires mais Marx imagine une communauté morale primordiale (ontologique) réinventée, alors que Maurras veut retourner à la morale de la royauté (mépris de l’argent par la noblesse)


  • howahkan 22 décembre 2016 11:30

    Salut, et oui

    il y a pas mal de temps je disais que je paye pour naître et je paye pour mourir..et que ceci à lui seul montre ce que nous sommes devenus..

    certes mais essayez donc d’être riche en argent et choses en vous volant vous même....


  • fred.foyn 22 décembre 2016 12:11

    Le marchandage de la mort..(comme pour les maisons de retraites)..la main mise de gougnafiés qui prennent le monopole imposant des prix exorbitants !


  • Sozenz 22 décembre 2016 14:49

    Ils en ont bien rien à faire des corps des défunts , ni de la mémoire et ni de ceux qui restent .

    mais quand il s agit de chiffrer alors là ils sont là
    .ils vont aussi parler de profanations des tombes .... bande d hypocrites .

    Article 225-17

    Toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

    La violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, de sépultures, d’urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

    La peine est portée à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende lorsque les infractions définies à l’alinéa précédent ont été accompagnées d’atteinte à l’intégrité du cadavre.



  • Hector Hector 23 décembre 2016 08:58

    Le Pauvre est un con, par définition. Ce qui ne veut pas dire que les riches ou même les gens aisés ne le soient pas, mais eux s’en foutent. Le fric remplace les neurones.

    Mais il est des choses que le fric n’achètera jamais et tant mieux pour ces cons.

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