mardi 2 février 2010 - par Christian Delarue

Critique de l’émancipation selon N Sarkozy

Figurez-vous que N Sarkozy, chef de l’Etat français, a évoqué l’émancipation dans un de ses discours (1). Bon c’est rare. Très rare.

Si vous avez loupé ce moment, il vous faut juste écouter ou lire ou relire son discours en participation au « grand débat » sur l’identité nationale lancé par Eric Besson . Occupé à fournir des réponses sur d’autres aspects de son discours le thème de l’émancipation est passé inaperçu . Émancipation de qui par rapport à quoi ? Quelle domination ? Écoutons d’abord N Sarkozy. "La France est un pays d’émancipation où chacun aspire à s’élever selon ses talents, ses mérites, son travail".

Le début de phrase porte sur l’aspect collectif de l’émancipation et la fin de phrase sur l’aspect individuel. De ce point de vue on peut dire que N Sarkozy prend en charge les deux volets de l’émancipation. Une prise en charge particulière !

I - Critique de l’aspect COLLECTIF de l’émancipation selon N Sarkozy

Il dit : La France est un pays d’émancipation. Veut-il dire que la France est périodiquement adepte de grands mouvements de contestation, de résistance, de révolutions sociales ? Il le sait mais c’est précisément ce qu’il veut nier. Cet effacement se fait en deux temps, dans l’aspect collectif - ici - et dans l’aspect individuel (en II).

Dans la conception de N Sarkozy l’émancipation collective est déjà là. Et même pour une grande par elle relève même du passé. La tâche est donc accomplie. Il n’y a plus de lutte collective de libération a engager. Sans trop faire dans la surinterprétation, on peut penser que N Sarkozy s’inscrit dans le courant de pensée qui voit dans la Révolution française de 1789 une révolution achevée. Sans doute l’histoire de France depuis lors a montré des reculs et des avancées en matière de droits démocratiques, de droits humains mais le cadre est posé pour lui comme pour les libéraux. Les français doivent faire avec puisque la France est sortie de l’ombre et de la domination des ordres rigides qui caractérisait le Moyen Age en 1789.

Petit doute quand même. Voilà qui semble contredire certains de ses propos de campagne de 2007 sur l’identité nationale française ; une identité qui remonterait à la nuit des temps et que les identitaires reprennent aujourd’hui. Rapprochement : Le néolibéralisme a une spécificité qui le distingue du libéralisme classique qui fait que l’émancipation peut être plus celle des marchés que des droits humains. Fin aout 2007, devant une assemblée de patrons du MEDEF, N Sarkozy faisait l’apologie de l’entrepreneur. Voilà une catégorie sociale, une " section de peuple " qui doit avoir les " coudées franches " pour la conquête des marchés. L’émancipation des marchés se décline en émancipation des entrepreneurs et des entreprises. Point d’émancipation pour les travailleurs. De la subordination et mieux, une acceptation consciente des contraintes comme signe de liberté puisque philosophiquement il faut accepter ce que l’on ne peut changer.

Le mérite de cette position, avec son infléchissement, si elle est correctement explicitée, montre à quel point pour la droite, la révolution de 1789 est achevée. La question sociale apparue au XIX siècle ne saurait déboucher sur une autre révolution qui prendrait la suite de celle de 1789. La Commune de Paris de 1871 n’est donc pas un pas de plus vers l’émancipation collective mais une erreur du peuple en colère. Pour la Gauche, à quelques exceptions, la Révolution française est une promesse, un commencement, un appel à la citoyenneté, à la construction d’institutions sociales. L’émancipation collective est loin d’être terminée. L’histoire donne pour partie raison à la gauche. Dans cette perspective, la gauche a soutenu Caillaux et son impôt sur le revenu alors que la droite l’a combattu et faisait plus tard la promotion d’un impôt injuste : la TVA. La gauche d’après guerre instituait la Sécurité sociale, de nombreux services publics avec un statut du fonctionnaire et de nombreux droits sociaux dont le SMIC. Le mouvement ouvrier est largement à l’origine de l’élargissement du sujet démocratique . Or aujourd’hui Kessler ( ) appelle les politiques à détruire ces conquêtes ouvrières. Hélas il n’y a pas que la droite à avoir répondu positivement à Kessler et ce bien avant que Kessler ait explicitement posé la revendication du MEDEF.

La dimension collective de l’émancipation est bloquée et en régression sous l’effet de deux grands ordres de pratique. Il y a d’une part le néolibéralisme qui ne se contente pas de détruire des conquêtes sociales et démocratiques pour revenir en arrière mais qui entend étendre la sphère des institutions du capital donc le nombre des entreprises privées travaillant pour le profit via le marché mais aussi instituer - c’est sa spécificité par rapport au libéralisme classique - des normes de type marchande là ou le marché ne saurait s’implanter. Il y a d’autre part la dégénérescence bureaucratique du communisme du XX ème siècle.

II - Critique de la dimension INDIVIDUELLE de l’émancipation

La fin de sa phrase porte sur l’aspect individuel : "Chacun aspire à s’élever selon ses talents, ses mérites, son travail".

Si l’émancipation doit se poursuivre c’est dans une perspective individuelle et même individualiste fondée sur le mérite. Point de privilège de naissance comme sous l’Ancien Régime mais une reconnaissance assurée au mérite. Et le mérite passe par le travail . Mais ce travail s’inscrit au sein d’une école très sélective s’agissant de l’acquisition des qualifications et au sein du salariat et de son rapport social pour ce qui est du travail proprement dit. Ce n’est plus la simple reconnaissance de ce qui avance en chacun de nous y compris les moins avancés. N Sarkozy défend ce cadre-là avec sa double dimension concurrentialiste et travailliste-productiviste. Son modèle d’individu est celui de l’entrepreneur conquérant inséré dans la guerre économique. Cette guerre économique est un fatum. Aucune émancipation collective n’est concevable à son égard. On ne peut qu’y participer avec éthique. L’éthique de la guerre et l’éthique du capitalisme ne saurait évidemment empêcher de poursuivre ces deux guerres.

Or le concurrentialisme et le travaillisme-productiviste ne sont pas de l’ordre de la nature mais un construit social tout comme le marché. Et ce construit social est très générateur de dominations donc de recherches d’émancipations collectives et individuelles. N Sarkozy n’y peut rien. Juste réprimer un temps . Pas plus. C’est de l’ordre du réel appréhendé sous l’angle de la contradiction dynamique. Une résistance nait toujours de l’oppression. Et de cette résistance surgit des capacités et de nouvelles puissances d’émancipation et d’alternative(s). Emanciper c’est donner de la puissance pas de la violence.

N Sarkozy et la droite font semblant d’ignorer la domination au travail issue de l’exploitation du travail salarié tout comme d’ailleurs les autres formes de domination dont le sexisme et le racisme. Il saute aux yeux que rien n’interdit a priori à une société donnée de continuer à développer les capacités diverses dans le cadre scolaire et de promouvoir ensuite que nul (adulte) n’est exempt de participer à la production de l’existence sociale ce qui suppose un partage du travail entre travailleurs et chômeurs par une RTT non compensée en intensification du travail. Un écrasement des revenus est aussi possible en relevant ceux d’en-bas et baissant ceux d’en-haut.

Depuis l’avènement du néolibéralisme se construit un individu compétent et entrepreneur tourné exclusivement vers la recherche maximale du profit. Il participe de plus en plus à l’oppression d’autrui et à la domination dans le travail salarié subordonné. Cela crée des résistances et une aspiration collective au changement social. C’est de cette aspiration que surgit la perspective d’un socialisme pluriel.

*

Résumons :

* au plan collectif de l’émancipation, N Sarkozy dit la lutte du tiers-état est finie et la lutte de classe aussi avec une exception notoire il faut "aider" la classe des entrepreneurs opprimés par les rigidités diverses.

* au plan individuel, il fait l’apologie de la lutte des places.

Christian Delarue

Sarkozy apporte sa contribution au débat controversé sur l’identité nationale

http://www.france24.com/fr/20091113-president-nicolas-sarkozy-contribue-noble-debat-identite-nationale-chapelle-vercors



7 réactions


  • dixneuf 2 février 2010 17:56

    Création de la sécu par la gauche : qui présidait le gouvernement ???


  • Bélial Bélial 2 février 2010 19:00

    @ l’auteur Christian Delarue :

    en effet le modèle de sarkozy c’est le tous contre tous (enfin en dessous de lui et bouygues, dassault, lagardère, bolloré, les PDG...), la concurrence dans un cadre utilitariste, ce modèle qui offre quelques tickets gagnants pour faire oublier que la majorité des joueurs de ce monopoly sont perdants, bref un modèle de société où il n’y a pas de place pour tout le monde, résultat on n’a pas tous un toit au dessus de la tête.

    Je m’éloigne un peu mais le concept d’égalité des chances est révélateur : plutôt que de construire une société équilibrée où chacun peut vivre honnêtement et dignement, c’est : les lapins vous partirez tous de la même ligne, mais sous-entendu il n’y a toujours pas assez de carottes pour tout le monde ! smiley


  • Bélial Bélial 2 février 2010 19:13

    « Marcher sur la tronche des autres pour une vie glauque » (Philippe Fragione), 53 % des électeurs n’auront donc que ce qu’ils méritent, mais c’est triste pour leurs enfants, les autres et les enfants des autres.


  • curieux curieux 2 février 2010 20:57

    Croyez vous que le nabot comprend ce qu’il lit et qui a été écrit par quelqu’un d’autre ?


    • Bélial Bélial 2 février 2010 21:59

      Bien vu ! Il est fort probable que non, et qu’il se contente de lire sous coke (c’est flagrant vu ses tics) les délires écrits par henri guaino sous... je sais pas quoi mais ça a l’air d’être de la bonne ! (politique de civilisation...)


  • Christian Delarue Christian Delarue 3 février 2010 08:27

    La méritocratie a une base républicaine et libérale.

    La méritocratie distribue les affectations sur les emplois et les postes selon le système de la qualification qui reconnait nationalement la compétence et non au niveau de l’entreprise. La qualification procède d’un système de reconnaissance de type républicain car les diplômes requis sont uniformes et nationaux et quand il y a concours ils sont uniformes et neutres au sens ou l’identité des postulants est masquée du moins pour les écrits. Les conditions de présentation sont les même pour tous.

    Il peut y avoir des règles d’équivalences pour les diplômes étrangers mais dans la fonction publique il faut être de nationalité française. Plus que sur une base démocratique puisque le peuple n’y intervient pas c’est sur une base aristocratique et libérale que s’effectue les choix. Aristocratique car on prend le meilleur, libéral car il y a mise en concurrence des candidats. Le mécanisme est donc a la fois égalitaire et sélectif ; ouvert à tous à l’entrée mais très fermé à beaucoup à la fin .

    L’emprise du système capitaliste se perçoit au fait que le système ne donne pas un diplôme à tous - un niveau minimal devrait donner une qualification minimale - et un emploi à tous - les emplois au bas de la division sociale et technique du travail devrait être pour les qualifications basses. Tous français et immigrés devrait donc avoir un bagage minimal de lecture et de calcul et tous devrait avoir un emploi de base ne nécessitant qu’une faible qualification . La catégorie D devrait être réouverte dans la fonction publique. Le dispositif de sélection devrait servir surtout à la distribution des cadres sur la chaine de la division du travail. En bas de la chaine, l’emploi devrait être massif. Dumoins dans une société socialiste de RTT.

    On voit que l’école n’est pas « hors sol » mais inscrite au cœur du système capitaliste. Elle a donc nécessairement marques, des limites dans sa portée égalitaire-républicaine . L’école républicaine est victime d’une dégénérescence libérale et marchande. Au lieu de renforcer l’école républicaine pour y accroitre les chances de tous les libéraux font le contraire en y introduisant des mécanismes marchands.

    A l’inégalité des chances s’ajoute l’inégalité de l’argent . L’école devient chère alors que le nombre d’élève par classe augmente. L’offre scolaire montre des classes pour les riches et des classes pour le peuple. Soucieuse de satisfaire la demande des couches moyennes et riches l’école républicaine ne porte pas assez son attention sur les élèves en difficulté et sur ceux qui ne disposent pas d’une transmission familiale de la culture littéraire ou scientifique. Du coup les inégalités éducatives des enfants s’accroissent : 9 % de nos concitoyens seraient illettrés, 150 000 jeunes ­ soit 20 % d’une génération ­ sortent chaque année de l’école sans diplôme, et le taux de bacheliers stagne autour de deux tiers d’une classe d’âge. Au surplus, chacun sait que cette fracture est socialement polarisée : les deux tiers des enfants d’ouvriers sont en retard à l’issue du collège contre à peine plus de 10 % des enfants de cadres supérieurs ; les mêmes enfants des milieux populaires ont 27 fois moins de chances que ceux des classes aisées d’intégrer une grande école (ENS, ENA, HEC ou Polytechnique), proportion dramatiquement stable depuis les années 50...

    Christian Delarue


    • Christian Delarue Christian Delarue 15 février 2010 01:10

      Le réformisme radical pour le travail.

      Cette orientation dite réformiste radicale vaut pour les très grandes entreprises qui mettent en place une forte division technique et socio-professionnelle des postes et des fonctions. Cette orientation s’oppose à la fois aux anarchistes qui plébiscitent l’organisation horizontale du travail (positive mais qui n’est applicable que dans les petites unités de production) et le management moderne qui lui milite pour le mérite et la compétence appréciée par le patron en interne, dans l’entreprise, selon des critères variables qui échappent assez peu à l’arbitraire et donc qui délégitime l’autorité. Ce qui crée autoritarisme et résistance accrue.


      *Une nouvelle configuration productive.

      Elle suppose de nouvelles normes pour démarchandiser le travail, pour desserrer l’emprise de l’exploitation de la force de travail.

      Ce management s’appuie en plus sur les logiques marchandes et financières pour élargir considérablement les écarts de revenus ce qui abouti à avoir en-haut des très riches mais aussi en-bas des très pauvres. Un écart de revenus moindre fondé sur la distribution méritocratique républicaine donne des moins pauvres et des moins riches et donc une société plus en cohésion. Lorsque l’on ne prend pas pour base le système méritocratique républicain fondé sur la légitimité rationnelle-légale pour l’attribution des individus qualifiés sur les postes de la division technico-sociale du travail on en vient à défendre le mérite arbitraire et la compétence arbitraire. La question des revenus étant laissée aux marchés.

      Les bases du réformisme radical du travail sont la norme selon laquelle nul n’est exempt - sauf jeunes à scolariser et les handicapés - de *participer à la production de l’existence sociale.* Tous et toutes, hommes et femmes doivent y participer. Cela signifie engager une campagne nationale et européenne de RTT pour donner du travail à chacun et à tous. Cela va évidemment à l’encontre de la dualité capitaliste du travail qui met d’un côté des chômeurs et de l’autre des travailleurs en surcharge de travail. Parler de dualité simplifie la réalité du travail aujourd’hui qui montre l’existence d’un troisième catégorie avec le précariat sous toutes ses formes. Le système capitaliste pousse en même temps vers le chômage et vers les bas salaires généralisés.

      Il faut sans doute rompre avec l’institution de la *polyvalence généralisée *qui a visé à faire des économies d’embauche plus qu’à enrichir le travail. Il s’agit alors de faire en sorte que des postes soient dégagés dans chaque unité pour recevoir les travailleurs les moins qualifiés. En ce sens l’abandon de la catégorie D et celle programmée de la C dans les administrations n’est pas une bonne idée. Il faut aussi revaloriser le SMIC et l’indexer sur l’évolution des prix . Une grille de carrière devrait être négociée dans chaque branche pour permettre aux travailleur(se)s de décoller du SMIC. Par ailleurs la RTT doit etre plus forte vers les 28 heures au lieu des 32 heures là ou le travail est intensif ou pénible (travail de nuit, travail dehors, travail monotone et répétitif).

      Cette ensemble de mesures vise à abattre *la « théorie » du travailleur « fainéant »* trop bien présente chez les managers et les petits patrons. Les hypothèses implicites sur la nature humaine par les dirigeants sont selon Douglas Mc Grégor :

      - L’individu moyen éprouve une aversion innée pour le travail, qu’il fera tout pour éviter.

      - A cause de cette aversion caractéristique à l’égard du travail, les individus doivent être contraints, contrôlés, dirigés, menacés de sanction, si l’on veut qu’ils fournissent les efforts nécessaires à la réalisation des objectifs organisationnels.

      - L’individu moyen préfère être dirigé, désire éviter les responsabilités, a relativement peu d’ambition, recherche la sécurité avant tout.
      Ces lignes sont rapportées par Philippe Bernoux in La sociologie des organisations qui signale que cette théorie justifie l’autoritarisme patronal qui sévit encore dans les entreprises privées orientées vers la recherche maximale du profit mais aussi sous l’influence du néolibéralisme dans les entreprises publiques et les administrations privées.

      La politique réformiste radicale du travail ci-dessus dessinée n’est pas soutenue par les syndicats qui parlent peu de la RTT car ils la voit comme contraire à l’augmentation des salaires. Pour cela il faut défendre massivement la baisse des revenus des hauts revenus et l’augmentation des revenus des moins de 3000 euros par mois.

      * Au-dela de cette politique.

      Contre le néolibéralisme un rééquilibrage vers plus de service public et moins de secteur privé marchand est à promouvoir. Cela signifie valoriser le *travail pour la production de valeur d’usage* face au travail producteur de valeur d’échange. Il s’agit donc via l’impôt de construire une économie non marchande. Les besoins sont réels pour satisfaire sans passer par le prisme de la rentabilité et de la solvabilité les besoins sociaux en matière de logement, de scolarité, de santé, d’énergie, de transport, d’eau, de communication,etc.

      Toute cette politique est fondée sur le partage des richesses et donc sur la ponction par l’impôts des riches à commencer par les financiers qui sont les plus gros prédateurs. On ne saurait parler de cohésion sociale avec de tels écarts de revenus et des travailleurs aussi fragilisés aux fins d’accroissement des profits. Profit qui partent vers la bulle financière et l’oligarchie financière mais pas vers les investissements productifs utiles ni vers les salaires qui ne cessent de baisser depuis 20 ans dans quasiment tous les pays (lire ici Michel Husson site hussonnet).

      CD


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