mardi 27 septembre 2016 - par Hamed

Du « verrou de sûreté » au privilège exorbitant du pétrodollar partagé entre les États-Unis, l’Europe, le Japon et les Arabes ?

Première partie

 

Dans un article précédent « Les dettes publiques USA-Europe-Japon condamnées à croître ? La baisse du cours du pétrole, une solution pour les dettes publiques ? » paru dans www.agoravox.fr, le 15 septembre 2016, on avait posé la problématique de la dette publique et de la monnaie unique dans la zone euro. « Quant au fer de lance de la zone euro, l’Allemagne, sa dette publique baisse. Mais comment s’opère-t-elle cette baisse ? N’est-ce pas le principe des vases communicants ! Ce qui est un déficit pour l’un est un excédent pour l’autre. Dès lors, force de dire que l’Allemagne tire un avantage certain de la monnaie unique, l’euro, au détriment des autres pays-membres de la zone euro. Et cela concerne essentiellement les pays de l’Europe du Sud. Pourtant il y a des possibilités, des compromis qui pourraient régler ce problème de compétitivité qui perturbe cette union monétaire. Et ce, sans sortir de l’euro, en refondant voire en enrichissant l’euro. Ce n’est pas l’euro qui pose problème, mais les dirigeants de l’euro, et peut-être même pas Mario Draghi, le gouverneur de la BCE, qui en est l’obstacle, mais bien les grands pays souverains.  » (1)

 

1. L’Allemagne et le Japon, « verrou de sûreté » du monde capitaliste libéral

 

Précisément, il y a des possibilités pour sortir les pays de l’Europe du Sud (Portugal, Espagne, Grèce…) et du centre (France, Italie…) de cette Europe monétaire qui se paralyse en interne. Pour cela, une refondation de l’euro pour sortir l’Europe de cette situation de blocage est possible et peut inscrire les pays de la zone euro dans une conjoncture de croissance pour peu qu’une volonté politique de la Commission européenne, des différents gouvernements européens et la Banque centrale européenne émerge. Il est évident que si on prend par analogie une course où des personnes sont très rapides, d’autres beaucoup moins, les premières vont laisser les secondes loin derrière eux. De même, si on prenait des personnes de différents niveaux de vitesses dans une union, il y aura toujours des premiers qui vont bien réussir, des seconds moins bien et les troisièmes qui seront distancés. C’est un peu ce qui se passe dans la zone euro. Cela obéit aux modèles économiques de chaque pays et aux conjonctures historiques qu’ils ont traversées.

Si les pays de l’Europe du Sud n’arrivent pas à suivre la cadence des pays du Nord, en particulier l’Allemagne, cela est tout à fait normal. Le modèle économique de l’Allemagne est basé sur le tout exportation, depuis sa reconstruction après la guerre. Comme le Japon occupé par les États-Unis en 1945, l’Allemagne occupé, a bénéficié, pour sa défense, le parapluie des Alliés, et surtout celui de l’Amérique. En tant que pays frontalier avec l’Union soviétique, i.e. le bloc adverse, il était vital pour les États-Unis comme pour les pays de l’Europe de l’Ouest, de construire ce pays économiquement, et donc industriellement fort, pour qu’il fasse barrage à la propagande communiste sur les populations ouest-européennes.

Le même processus a joué, dans l’entre-deux-guerres-mondiales. Bénéficiant de l’aide américaine, et du financement des réparations de guerres après la fin du Premier Conflit mondial, l’Allemagne qui devait s’ériger en rempart à l’idéologie communiste, a donné, ironie de l’histoire, l’Allemagne nazie, et la guerre 1939-1945.

De même pour le Japon. Après la proclamation de la République populaire de Chine, en 1949, tout a été mis pour reconstruire le Japon et l’ériger en une grande puissance économique en Asie dont l’objectif est de faire barrage à l’extension de l’idéologie communiste de la Chine,Pour la première puissance mondiale, le calcul stratégique était simple. Si la république fédérale allemande tombait dans l’orbite de l’URSS, l’idéologie communiste ferait forcément tâche d’huile sur Europe de l’Ouest. De même pour le Japon, s’il tombait dans l’orbite chinoise, c’est toute l’Asie qui devient communiste.

Si l’Allemagne tout entière tombait dans l’orbite soviétique, et le Japon dans l’orbite chinoise, que resterait-il pour les États-Unis si l’effet domino suivait ? Ces deux pays ont joué en quelque sorte un « verrou de sûreté » contre la propagande communiste soviéto-chinoise. On comprend facilement ce qui adviendrait si ce verrou venait à s’ouvrir, c’est tout le système capitaliste libéral occidental qui serait menacé et ébranlé jusque dans ses fondements.

Donc la situation de la puissance économique de l’Allemagne et du Japon relève essentiellement de la conjoncture historique mondiale. Que ce que l’on nomme le miracle japonais ou allemand n’obéit en réalité qu’à des considérations géostratégiques vitales. Aussi pour comprendre la conjoncture de croissance économique morose de l’Europe du Sud et du centre, faisons, dans un premier temps, parler l’histoire monétaire. Et on sait que la monnaie constitue la base même de tout échange de richesse. Elle est l’instrument qui garantit la mesure d’une valeur dans l’échange comme dans la conservation de cette valeur. Elle constitue une référence sur laquelle s’accordent les nations pour toutes les transactions de biens et services qui s’effectuent au sein des nations ou entre les nations. La monnaie en tant qu’étalon de mesure de richesse, donc de compte, de conservation, donc de réserve, revêt une attention de la plus haute importance pour les agents économiques, en particulier pour les nations.

Et les premières crises monétaires qui vont affecter l’économie occidentale, vont déboucher à la fin de ce qu’on appelle les « Trente Glorieuses », période qui a permis la reconstruction de l’Europe des destructions de guerre, la remise à niveau, la prise de parts dans le commerce mondial et le retour de la compétitivité des nations européennes.

La convertibilité des monnaies européennes est rétablie en 1958 pour la plupart des pays européens. Le système Bretton Woods de 1944 qui faisait du dollar le centre du système, en tant qu’il était adossé à un prix fixe de l’once d’or, et librement convertible en or, a garanti la stabilité de chaque monnaie par rapport à cet étalon. Ce qui a permis des échanges internationaux équilibrés sans heurt sur le plan monétaire et une croissance économique occidentale et mondiale durable. Mais, la situation à la fin des années 1960 va se détériorer par une détérioration de la valeur or du dollar. Les États-Unis, ayant perdu beaucoup d’or, n’étaient plus en état de satisfaire la demande de conversion des dollars en or présentés par les pays européens qui détenaient de quantités considérables de dollars. En particulier, la République fédérale d’Allemagne qui enregistrait des excédents commerciaux incessants avec les États-Unis. Ce qui consacra des dérapages dans la discipline monétaire et, à l’issue, des crises monétaires entre l’Europe et les États-Unis.

 

 

2. Du Serpent monétaire européen au flottement concerté des monnaies communautaires

 

Le 15 août 1971, devant la faiblesse de leur stock d’or et les persistances des pays européens pour convertir leurs dollars en or, les États-Unis annoncentla suspension complète de la convertibilité du dollar en or, la mise en place d’une surtaxe de 10 % sur les importations et des allègements fiscaux pour des investissements internes. La guerre monétaire et commerciale, à cette époque, était à son sommet dans le monde occidental. Face à l’offensive américaine, les gouvernements européens, pour la plupart, laissaient flotter leurs monnaies sur les marchés et lorsque, la baisse du dollar menaçait trop les exportations nationales, ils faisaient intervenir des « fonds de stabilisation ». Les statuts du FMI n’étaient plus respectés. Des négociations s’imposaient pour les modifier et mettre en place un nouveau système monétaire international.

Les plus touchés par la surtaxe de 10 % furent les deux des plus importants partenaires commerciaux des États-Unis, i.e. le Japon et la RFA. Menacés de récession par la baisse de leurs exportations, ils étaient particulièrement sensibles aux pressions fiscales américaines.A l’entrevue des Açores (le 13 et 14 décembre 1971), les présidents Nixon et Pompidou fixent les bases d’un accord que le club des Dix (les Six d’Europe, la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Canada et le Japon) entérine et précise quatre jours plus tard, lors de la Conférence de Washington, les 17 et 18 décembre 1971.

Cet accord dit aussi du Smithsonian Institute rétablit le dollar dans sa fonction de monnaie d’intervention généralisée. Mais le dollar est dévalué de 7,89 % par rapport à l’or – l’once d’or fin est à 38 dollars –, la convertibilité du dollar en or n’est pas rétabli. Toutes les autres monnaies sont réévaluées par rapport au dollar. Le système des parités fixes est rétabli, mais la marge de fluctuation autorisée est portée de 1 % à 2,25 % en plus ou moins par rapport au dollar. Et la marge de fluctuation des autres monnaiespar rapport au dollar au sein du SMI est portée de part et d’autre à 2,25 %. Simultanément, les écarts entre deux monnaies autre que le dollar peuvent atteindre 4,5 %, et d’un jour à l’autre 9 %, par référence au dollar (cumul des marges).

Les nouvelles marges de fluctuation autorisées ne pouvant satisfaire l’organisation interne de la communauté européenne, dont les écarts risquent de se creuser entre les monnaies européennes et menacer tout le système des échanges, en avantageant, par les variations trop importantes des parités, les exportations des uns par rapport aux autres. C’est ainsi que, pour maintenir le système des prix agricoles communs et assurer une situation d’égale concurrence entre les pays-membres de la CEE, et après avoir consulté les quatre pays qui devaient entrer dans la Communauté le 1er janvier 1973 (Royaume-Uni, Irlande, Danemark, Norvège), les six États de la CEE créent au printemps 1972, par les accords de Bâle, le « Serpent monétaire européen ». Celui-ci réduit de moitié les marges de fluctuation entre les monnaies européennes, faisant passer les 4,5 % autorisés à 2,25 % en tout, i.e. plus ou moins 1,125 % entre deux monnaies (écart qu’elles ne doivent pas dépasser). Le 24 avril 1972, tous ces accords sont appliqués. Le serpent évolue à l’intérieur du tunnel imposé à l’ensemble des monnaies du monde occidental. Les accords de Bâle retirent aussi au dollar son rôle de monnaie de compte dans la CEE. Il est remplacé par l’unité de compte (UC) définie par 1/3 d’once d’or fin.

Il apparaît vite que les décisions prises à Washington et à Bâle ne peuvent stabiliser la situation monétaire. La livre sterling et la lire sont hors du « serpent monétaire ». Dès 1972, la livre sterling est attaquée par la spéculation, les prix intérieurs montent plus rapidement que ceux des autres pays, la balance commerciale s’est détériorée et le Royaume-Uni ne peut rembourser ses dettes au FMI ni ne peut se maintenir à l’intérieur du tunnel. Le 23 juin 1972, le gouvernement britannique décide de laisser flotter la livre sur les marchés de change. En janvier 973, l’Italie, se trouvant dans une situation analogue à celle du Royaume-Uni, institue un double marché des changes, avec une lire commerciale qui respecte les marges de fluctuation autorisées, mais une lire financière qui flotte, sortant à la fois du serpent et du tunnel. (Voir le mécanisme d’attaque spéculative d’une monnaie en annexe à la fin de l’article.)

En réalité, c’est surtout la détérioration de la situation financière américaine qui provoque l’écroulement du fragile édifice construit depuis 1971. Les États-Unis, ne parvenant pas à rééquilibrer leur balance extérieure, une nouvelle vague de spéculation est déclenchée. Les achats de deutschemarks se multiplient, les autres monnaies sont protégées soit par leur faiblesse (livre, lire) soit par des contrôles rigoureux d’entrées de capitaux (franc, yen). La RFA prend à son tour des mesures de protection et les capitaux spéculatifs se rapportent sur l’or dont les cours montent rapidement.

 

Comme en 1971, les États-Unis tentent d’obtenir la réévaluation des autres monnaies, menaçant notamment le Japon de mesures de rétorsion douanières. Devant le refus de leurs partenaires, sans aucune consultation, ils dévaluent le dollar de 10 % dans la nuit du 12 au 13 février 1973. L’unité monétaire américaine, qui reste inconvertible en or, est définie désormais par 42,22 $ l’once d’or fin. Ne pouvant plus défendre les nouvelles parités fixées unilatéralement par les États-Unis d'Amérique, la plupart des pays vont décider de laisser flotter leurs monnaies. Et le système mis en place à Washington en décembre 1971 s'écroule.

Le 12 mars 1973, à la Conférence de Bruxelles, les neuf gouvernements de la CEE se mettent d’accord pour ne plus soutenir le cours du dollar, mais de maintenir les fluctuations de plus ou moins 2,25 % entre les monnaies européennes. « Le Serpent européen sort du tunnel. » Il flotte librement par rapport au dollar. Cet accord européen, mettant fin à l’existence du tunnel, pousse le dollar à flotter sur les marchés. Le change fixe des monnaies occidentales fait place au change flottant.

 

Le 3 avril 1973, les pays d’Europe mettent en place un Fonds européen de Coopération Monétaire (FECOM), chargé de gérer le financement à très court terme des crédits nécessaires pour soutenir les monnaies à l’intérieur du Serpent dans les limites de leurs quotes-parts. Ce Fonds préfigure la future Banque centrale européenne.

 

3. Le mécanisme de facturation du pétrole arabe en dollar dans la crise pétrolière de 1973

 

 La crise énergétique qui commença à l’automne 1973 a entraîné un bouleversement des structures industrielles des pays occidentaux et du Japon, fondées jusque-là sur une énergie à bon marché. Sa brutalité, sa soudaineté, et ses conséquences qui jouent encore aujourd’hui en 2016, lui confèrent un caractère d’événement majeur dans l’histoire économique contemporaine.

Cette crise énergétique a amené le monde arabe à entrer en force dans les affaires monétaires via le libellé monétaire du pétrole arabe en dollar. Et ce qui est le plus surprenant, c’est que cette intrusion du monde arabe dans les affaires monétaires internationales aura un effet salvateur dans les crises monétaires qui divisent les puissances occidentales. Evidemment cette intrusion arabe n’est pas venue ex nihilo, mais relève de forces historique en lien avec l’évolution du commerce mondial et l’avènement de plus d’une centaine de nations depuis la décolonisation qui a commencé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et s’est pratiquement terminé en concomitance avec la fin des « Trente Glorieuses ».

Ce sont les pays Arabes en accord avec les États-Unis qui vont imprimer un tournant aux crises monétaires, qui ne cessaient dedéstabiliser l’économie occidentale. A l’époque, le Secrétaire d’État Henry Kissinger qui faisait la navette entre les États-Unis et les pétromonarchies du Golfe aurait déclaré : « Si vous contrôlez le pétrole, vous contrôlez toutes les nations. » Et, c’est ce qui s’est passé, les Américains, en s’alliant avec les Arabes, ont réussi ce tour de force, « substituer le dollar-or par une monnaie de facturation du pétrole en dollar, communément appelé «  pétrodollar ». Le pétrole arabe, et par extension, le pétrole du cartel pétrolier, l’OPEP, va jouer un rôle central dans les relations monétaires internationales.

Précisément, alors qu’ils cherchaient à se libérer des dollars issus des déficits commerciaux américains (monétisation), en décidant en mars 1973 (Conférence de Bruxelles) de ne plus soutenir le cours du dollar, les pays européens se retrouvaient paradoxalement forcés, suite au premier krach pétrolier (quadruplement du prix de pétrole), à soutenir son cours par des achats massifs de dollars sur les marchés monétaires pour régler leurs importations de pétrole. Les pays arabes et ceux de l’OPEP vont forcément, via leurs exportations pétrolières, accumuler des montants considérables en dollars.

Cependant, ce mécanisme monétaire qui, par la facturation du pétrole en dollar, et donc en obligeant les pays d’Europe à acheter des dollars, permet de répercuter les déficits américains sur le reste du monde, ne va pas amener la seule Amérique à en tirer bénéfice. En effet, monétisant leurs déficits, et émettant massivement des dollars dans le monde, les États-Unis créent une grande quantité de dollars sur les marchés financiers. Certes, une grande partie des dollars est absorbée par les pays consommateurs de pétrole, dont les pays d’Europe, puisque ces derniers règlent leurs importations de pétrole en dollars. Ainsi les masses de liquidités en dollars que les pays arabes enregistrent dans la vente de leurs pétroles vont financer les biens et services importés d’Europe, du Japon et des États-Unis.

Si les pays arabes importent des biens et services des États-Unis, le problème monétaire ne se pose pas puisque ces pays règlent leurs importations en dollars. De même quand ils investissent leurs excédents pétroliers en bons de Trésor américains. Il n’y a pas l’utilité de convertir leurs dollars en une autre monnaie pour régler ou placer des excédents aux États-Unis.

En revanche, la situation est autre quand les pays arabes importent des biens et services d’Europe et du Japon. Ces pays se trouvent obligés de convertir lesdollars en franc, en livre sterling, en deutschemark, en yen, etc., sur les marchés pour régler leurs importations aux pays d’Europe et du Japon. Le problème qui se pose pour l’Amérique est que ces dollars qui retournent sur les marchés font forcément déprécier la monnaie américaine. D’autant plus si les déficits américains sont importants, et que les placements arabes en bons de Trésor n’arrivent pas à pondérer les émissions monétaires américaines. Dès lors, les pays européens et le Japon vont se retrouver doublement pénalisés. D’abord par l’achat du pétrole auprès des pays arabes qui se fait en échange de richesses réelles par les pays d’Europe et du Japon, alors que les États-Unis règlent leurs importations de pétrole que par des dollars qui ne leur coûte que le prix de l’impression (planche à billet). Le deuxième facteur, tout aussi important, est le fait que le retour des dollars sur les marchés via les conversions monétaires opérées par les Arabes pour régler leurs importations de biens et services d’Europe et du Japon font apprécier les monnaies de ces derniers. Ce qui nuit à leur commerce extérieur. Leurs monnaies (franc, livre sterling, deutschemark, yen…) seront plus chères par rapport au dollar qui ne cesse de se déprécier, eu égard à la dégradation des déficits extérieurs américains. 

 

4. Le « privilège exorbitant du pétrodollar » partagé entre les États-Unis, l’Europe, le Japon et les Arabes

 

Quelle sera alors la réaction de l’Europe et du Japon pour défendre leur compétitivité dans les échanges internationaux ? Sans alternative, ces pays vont opter pour la création monétaire, i.e. émettre des liquidités ex nihilo (planche à billet) », sans contreparties de richesses réelles, dans le but évident de dégonfler leurs monnaies appréciées, et regagner de compétitivité. Cette réaction de défense qui leur permet, par simple création monétaire, de régler leurs importations pétrolières en leurs monnaies, préalablement convertis en dollars, de bénéficier de ce pouvoir de créer de l’argent à partir de rien, pour simplement abaisser le taux de change de leurs monnaies.

Par conséquent force de dire que les pays d’Europe et le Japon bénéficient, à l’instar des États-Unis, ce que tout le monde appelle le « privilège exorbitant du dollar », qui n’est, en réalité, que le droit de seigneuriage partagé entre les États-Unis, les puissances monétaires européennes et le Japon, et que ces grandes puissances ont sur le reste du monde.

Si on partait du cas de figure que seuls les États-Unis ont ce droit d’imprimer de l’argent, et les pays d’Europe comme le Japon seraient astreints à régler leurs importations pétrolières du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord au prix fort, que serait-il passé ? Il faut rappeler que le krach pétrolier de 1973 a vu le prix du baril de pétrole quadrupler, le second krach de 1979, le prix du pétrole a triplé. Il se serait transféré un formidable pouvoir d’achat de l’Europe et du Japon vers les pays exportateurs du pétrole. I.e. une masse d’argent transférée aurait certainement poussé les gouvernements européens et japonais, à l’époque, à pallier la décroissance par une croissance des déficits publics. A l’instar de ce qui s’est passé en 2008, après la crise financière, les déficits et les dettes publiques des pays européens et américain exploser. Aujourd’hui encore, ces déficits ne sont pas tout à fait assainis (France, Espagne, au Portugal, en Grèce..) parce que ces pays recourent encore à la dépense publique pour atténuer la crise économique et financière.

 

Or, à l’époque, les dettes publiques des États-Unis et des pays d’Europe n’ont pas augmenté. Donc ils n’ont pas enregistré de déficits publics. La dette publique de la France s’établissait en 1954, à 35 %. En 1970, elle descendit à 20 %. Hormis une brève remontée en 1973 (premier krach pétrolier) de 1973, qui ne dure pas, vite résorbée en 1975, elle resta pratiquement constante au ratio de 20 % du PIB jusqu’en 1982. Donc la dette publique a été très peu influencée par les krachs pétroliers. Et cela a été pratiquement le cas pour tous les pays d’Europe qui étaient assujettis aux mécanismes de stabilisation monétaire européen. 

La dette publique des États-Unis, par exemple, est passée de 30 % du PIB en 1970 à 0 % en 1980. Elle n’a commencé à augmenter qu’à partir de 1982. (2)

 

Si le Japon a vu sa dette publique passer de 10 % en 1970 à 40 % du PIB en 1980 (2), cela est dû probablement aux politiques keynésiennes menées par le gouvernement qui visait le plein emploi. Et qu’explique les grands chantiers de modernisation et d’innovation au Japon (grands travaux publics : universités, autoroutes, voies ferroviaires, centrales électriques…).

On comprend dès lors par cette corrélation entre des dettes publiques occidentales qui sont restées faibles et la violence des krachs pétroliers qui auraient dû influer que les pays d’Europe et du Japon, en tant que seuls émetteurs de monnaies de compte et de réserve internationale, avec les États-Unis, partagent le pouvoir exorbitant du dollar américain, qui passe évidemment par le pétrole arabe, et par extension, au pétrole exporté par les pays d’OPEP et facturé en dollar.

 

Dans les faits, on peut aussi énoncer que ce droit de seigneuriage qui a permis d’augmenter les cours du pétrole et des matières premières a été paradoxalement favorable au reste du monde, en particulier les pays arabes exportateurs de pétrole, le reste des pays de l’OPEP et non-OPEP, et dans une moindre mesure aux pays exportateurs de matières premières. Cependant, les pays arabes qui n’ont pas de droit de droit de seigneuriage, mais bénéficient d’un transfert de pouvoir d’achat (hausse des prix du pétrole), et partagent précisément, par ce transfert de pouvoir d’achat, le pouvoir exorbitant des États-Unis, de l’Europe et du Japon.Tout compte fait, il apparaît dès lors, par l’accroissement des échanges de biens et services, que le pouvoir exorbitant du pétrodollar qui dope l’économie mondiale relève d’un processus naturel dans l’évolution du monde. Il constitue en quelque sorte, dans la croissance de l’économie mondiale, une « ruse de l’histoire ».

D’autre part, sans ce reste du monde, i.e. l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud, et sans le pétrole des pays arabes, il est certain que les krachs pétroliers n’auraient pas existé. Les crises monétaires intra-occidentales se seraient certainement envenimées, en divisant encore plus l’Occident. Le monde aurait abouti aux zones monétaires qui rappellent celles des années 1930, et partout serait érigé des barrières protectionnistes, accentuant le compartimentage de l’Occident. Se rappeler ce qui s’est passé dans les années 1930, avec les 15 millions de chômeurs aux États-Unis pour une population trois fois moindre et les 6 millions de chômeurs allemands qui ont fait venir Hitler au pouvoir.

Donc, force de dire que, à la fois l’avènement du monde décolonisé et le pouvoir exorbitant du pétrodollar américain « partagé  » a joué une fonction salvatrice idoine pour le maintien de la croissance mondiale puisqu’il a évité l’apparition de zones monétaires, les barrières protectionnistes et la destruction de dizaines de millions d’emplois dans le monde.

 

Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
www.sens-du-monde.com

 

  •  : Attaque spéculative 

 

 Pour comprendre la gravité d’une « attaque spéculative », partons d’un cas concret. Qu’un spéculateur (Hedges funds, Entreprises financières, assurances, etc.) emprunte, par exemple, auprès de la Banque d’Angleterre ou du système bancaire anglais « 1 milliard de dollars », qui lui remette0,4 milliard de livres sterlings au taux d’intérêt de 10% et au taux de change de 1 GBP=2,5 USD, ou 0,4 GBP pour un dollar. Et que ce Hedge fund convertit sans attendre ce capital en dollars, et les réinvestit à un taux de 5% dans un autre Etat. Le spéculateur n’opte pas pour un taux d’intérêt supérieur et accepte, en suivant sa stratégie, une perte de 5%. Cette opération lui fera perdre donc 5% d’intérêt du capital. A l’échéance de l’emprunt, il doit rembourser 105% du capital emprunté. 

Prenons le fait que ce n’est pas un Hedge fund mais plusieurs Hedges funds qui s’accordent et empruntent auprès du système bancaire anglais des capitaux au même taux d’intérêt et au même taux de change dollar/livre sterling. Supposons que l’ensemble des emprunts par les Hedges funds s’élèvent à 100 milliards de dollars soit 40 milliards de livres sterlings empruntés, et que ces montants en GBP sont aussitôt convertis en dollars et investis dans d’autres Etats au taux d’intérêt de 5%. Ces fonds spéculatifs, à l’échéance des emprunts, comme on l’a dit, doivent rembourser 105%. Donc des pertes puisqu’ils doivent payer 5% de plus sur les capitaux empruntés.

 Supposons maintenant que la conversion massive des GBP en dollars sur les marchés a entraîné une forte dépréciation de la monnaie britannique. Et qu’à l’échéance des emprunts, le taux de change est passé de 0,4 à 0,5 GBP pour un dollar, les Hedges funds n’auront alors à rembourser au système bancaire anglais que 80 % du capital emprunté plus les intérêts. Les 40 milliards de livres sterlings empruntés, au taux de change de 0,5 livre sterling pour un dollar, ne constituent plus que 80 milliards de dollars. Donc ils ont fait un gain de 20 milliards de dollars. De même, le différentiel de taux d’intérêt de 5% au profit du système bancaire anglais, rapporté au capital emprunté et au nouveau taux de change dollar/GBP, ne représente plus que 4 %. A l’échéance des emprunts, les Hedges funds n’auront à rembourser que 84% des capitaux empruntés. Les Hedges funds auront donc enregistré un gain de 16 % du capital emprunté.

 Une échéance à trois mois, par exemple, amènerait la Banque d’Angleterre à perdre 4 milliards de dollars sur les 100 milliards de dollars prêtés en équivalent-livres sterlings avant la dépréciation. Une échéance sur six mois occasionnerait une perte de 8 milliards de dollars pour le Royaume-Uni. Sans compter que les dépenses deviennent onéreuses pour financer ses importations de biens et services, par la dépréciation de la livre sterling. Et une hausse généralisée des prix intérieurs suivie d’inflation.

 

Notes de renvoi :

 

1. « Les dettes publiques USA-Europe-Japon condamnées à croître ? La baisse du cours du pétrole, une solution pour les dettes publiques ?  », publié par Medjdoub Hamed. Le 15 septembre 2016
www.sens-du-monde.com , www.agoravox.fr , www.lequotidien-oran.com

2. « L'endettement des pays riches s'envole, le FMI s'affole », par Challenges.fr, le 8/11/2012
http://www.challenges.fr/economie/20121107.CHA2748/l-endettement-des-pays-riches-s-envole-le-fmi-s-affole.html

 




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