samedi 5 septembre 2009 - par Christian Delarue

Emancipation globale : Stratégie, alliances au sein du peuple-classe

Sur le thème de l’émancipation des couches sociales dominées en période de crises multiples et de césarisme démocratique en France, il importe de dégager les catégories d’analyse qui permettent d’avancer ensuite sur une ou plusieurs stratégies compréhensibles de tous. D’autant que cette dernière stratégie est plus aléatoire. Elle dépend de la zone territoriale considérée, de l’époque, etc. Les éléments techniques avancés sont matière à débat et à évolution. En l’espèce, on verra qu’il s’agit de penser et promouvoir une double alliance entre couches populaires.

PARTIE UN :
 
EMANCIPATION : LE DEVOILEMENT DES DOMINATIONS GLOBALES

Dans le maêlstrom des dominations multiples écrasants la majorité des humains il importe de pointer les dominations globales des dominations sectorielles. Ces dernières ne sont pas qualitativement négligeables ou secondaires. Simplement elles frappent pas les mêmes individus. Il s’agit du sexisme, du racisme, du classisme, de l’emprise excessive du religieux sur l’Etat et la société, des résidus de relations coloniales (postcolonialisme),etc.

S’agissant des dominations globales deux ordres de dévoilement critiques apparaissent : les dispositifs abstraits (Jean-Marie VINCENT) et derrière eux la classe dominante (Monique et Michel PINCON-CHARLOT). Ce dévoilement se poursuit de façon complémentaire avec la notion de peuple-classe (Christian DELARUE). Dernière question : La fonction critique et rassembleuse de la notion de peuple-classe peut-elle en outre nommer le sujet porteur du projet altermondialiste ?

1 - Dévoilement vers le haut.

* Les dispositifs abstraits sont de nature technico-juridiques. Ils sont une rationalisation et une instrumentalisation du savoir scientifique et technique érigé en dispositif normatif "d’en-haut". L’instrumentalisation se dédouble en un montré et un caché . Ce qui est valorisé donc montré relève de la rentabilité, du résultat de la performance et ce qui est caché dans la machine (le plus souvent) c’est le contrôle unilatéral des "faisant fonction" des dominants sur les dominés. Ces dispositifs ont pour particularité de surplomber les humains dans une relation fétichiste : élévation du non-humain et rabaissement de l’humain . La marchandisation accroit ce phénomène . Le marché des biens et services ou celui de la force de travail vient renforcer ce fétichisme devant lequel une fraction des humains doit s’agenouiller comme devant un Dieu.

* La bourgeoisie est la classe dominante sous le capitalisme. C’est d’abord une classe sociale au sens ou elle est classe en soi et classe pour soi . En ce sens on peut dire qu’elle est la seule classe sociale organisée dans la défense unie de ses intérêts et notamment le maintien et l’accroissement de son capital économique (richesse financière) et de ses autres pouvoirs sociaux, relationnels, symboliques (prestige). Elle réunie de façon très forte, très soudée des industriels, des hommes d’affaires, des banquiers, de vieille souche ou de récente extraction, des grands exploitants agricoles, des hauts fonctionnaires, des membres de l’Institut, des généraux… Monique Pinçon-Charlot affirme qu’elle est collective et même collectiviste à son profit.

* Sous ces deux aspects, la domination capitaliste porte sur la nature et sur le peuple-classe. Les vecteurs de la domination capitaliste au profit de la classe dominante forme système . Il s’agit de la régression démocratique accélérée, les privatisations en chaine, le dépérissement des services publics, et en contrepoints la marchandisation généralisée, le libre-échange. L’appropriation privée des moyens de production orientée vers l’obtention infinie du profit ne cesse de promouvoir ce qui relève de la valeur d’échange contre la valeur d’usage, etc. Le système capitaliste peut se transformer mais son but reste de ne jamais cesser de produire de la plus-value. En somme changer constamment pour rester à l’identique sur sa logique.

2 - Dévoilement vers le bas.


Parler du peuple-classe. Le peuple-classe n’est pas vraiment une classe sociale proprement dite . Il rassemble par opposition à la classe dominante la diversité des dominés. La notion de peuple-classe a été mobilisée en rapport distinctif avec le peuple-nation mais dans une double fonction de dévoilement. Son rôle a été de montrer vers le haut une classe dominante bourgeoisie maintenant mais aussi couche bureaucratique jadis. En ce sens, le peuple-classe n’est jamais que le peuple diminuée de la classe dominante. Le second dévoilement porte sur l’oubli des résidents étrangers n’ayant pas de droit de vote.

Le peuple-classe est plus large que le prolétariat avec sa définition complète qui porte sur l’épuisement du salaire mensuel en fin de mois (1 ). Le peuple-classe rassemble la quasi totalité du salariat, une large fraction des indépendants (payants, artisans, petits commerçants) mais aussi le petit-patronat. On comprends que le peuple-classe est une notion qui rassemble des couches sociales qui peuvent avoir des intérêts divergents surtout si l’on y intègre le patronat des petites entreprises qui exploite parfois aussi férocement que le grand la force de travail salariée. Cet ensemble large de peuple-classe a une frontière mobile mais qui ont pour caractéristique de ne pas être riche.

3 - Le peuple-classe peut-il devenir le sujet de l’altermondialisme ?


Ceux-d’en bas n’ont pas d’existence car pas de nom (sauf celui de multitude dont l’emploi est très lié à la thèse d’Empire d’A Négri et M Hardt ). Parler de peuple-classe revient à nommer les non-riches par rapport aux très très riches, donc à donner nom à ceux d’en-bas. Ce n’est pas négligeable . La question suivante est : peut-il être le nom du nouveau sujet porteur de l’autre monde possible et nécessaire ? Certainement pas en mode exclusif, en mode dominant et excluant des autres problématiques. C’est une leçon des nombreux débats menés dans ATTAC ou dans les Forum altermondialistes.

Eu égard à la prise en charge de la diversité des dominés la notion ne peut intervenir que dans un discours ou un projet qui articule de façon dialectique l’unité et la diversité. On peut penser l’alternative comme la convergence des alternatives. On peut espérer que les émancipations se combinent et se déploient parallèlement. Mais l’histoire réelle montre plutôt des décalages temporels.

Il y a aussi des luttes de classes sans classe. Pendant plusieurs années les fonctionnaires de base ont menés des luttes qui concernaient tout autant leur statut que le service public. D’autres couches sociales, tel les paysans ont mené des luttes contre l’agriculture productiviste.

Il y a aussi des luttes dont la portée émancipatrice n’est pas évidente. On peut dire que chaque lutte a son ambivalence, car elle est travaillée pour être maintenue dans le cadre de l’existant à savoir la recherche de la production pour le profit mais aussi tendue pour sortir du cadre existant.

Pour autant on ne saurait oublier de noter que le peuple-classe est une notion universalisable valable en Europe, en Amérique latine comme en Chine ou en Corée. Même là ou l’on évoque des peuples au sens ethnique il est toujours possible d’évoquer un peuple-classe. Reste que la notion s’adapte difficilement dans certaines situations. Dans quelle mesure peut-on parler de peuple-classe palestinien, dans la mesure ou celui-ci est un peuple qui aspire en quelque sorte à devenir peuple-nation ?

Notes

1) En défense des prolétaires à 3000 euros par mois et moins !
PARTIE DEUX :

LES DEUX ALLIANCES ENTRE COUCHES SOCIALES AU SEIN DU PEUPLE-CLASSE

Le peuple-nation distingue la bourgeoisie nationale et internationale du peuple-classe qui lui en outre intègre les résidents étrangers extracommunautaires. Toute pensée démocratique se doit aujourd’hui plus encore qu’au siècle passé d’intégrer ces résidents étrangers car les migrants sont devenus un phénomène mondial massif sans commune mesure avec le phénomène observé il y a 20 ans.

La notion de peuple-classe pose un cadre d’alliance interne car il s’agit d’une proto-classe, d’une classe en puissance hétérogène, très divisée. La bourgeoisie est très unie pas le peuple-classe. Penser la convergence des intérêts et l’unification sur un commun malgré les différences existantes procède donc d’une analyse et d’une stratégie.

Quelles couches sociales ? Quelles alliances ? Comment ?

I - Présentation d’une nouvelle vision stratificationniste de la société française.


Cette approche n’exclue pas une compréhension en terme de lutte de classe. Ces approches sont complémentaires.

A ) Quelques repères

D’après les chiffres donnés par le magazine L’expansion de sept 2009 « spécial salaires des cadres » on repère la grille des salaires de deux catégories distinctes celle des dirigeants et celle des cadres du secteur privé. Deux tranches de rémunération moyenne brute sont clairement perceptibles. On voit


- toute la palette des directeurs (18 types recensés ) payés entre 85 000 euros et 150 000 euros par an .


- les ingénieurs et cadres plus « modestement » payés entre 35 000 à 45 000 euros par an.

B ) La hiérarchie sociale : par ordre décroissant nous trouvons 4 couches sociales :

4 - LES NANTIS : Ils sont dans la zone entre peuple-classe et bourgeoisie ; ce sont les dirigeants de sociétés anonymes. Il gagnent de 8500 euros à des sommes exorbitantes. Ils sortent rapidement du peuple-classe pour passer dans la classe bourgeoise, celle la plus collectiviste qui est prêt à tout pour défendre ses intérêts, ses privilèges et ses pouvoirs.

3 - LES TRAVAILLEURS AISES : ils appartiennent au peuple-classe. Ce sont les cadres, les indépendants et le petit patronat. Ils gagnent entre 3200 et 5000 euros. Ils gagnent beaucoup moins que les riches, les nantis.

2 - LES PROLETAIRES : Ils épuisent leur revenu mensuel en fin de mois ou pour les "plus aisés" arrive à épargner modestement. Ils gagnent tous moins de 3000 euros par mois. La zone frontière du prolétariat tourne entre 2600 et 3200 euros par mois selon les situations, les modes de vie et les lieux de vie.

1 - *LE SOUS-PROLETARIAT : Ils gagnent moins que le smic.Ils peuvent travailler et être pauvre. C’est la honte des pays riches. Chaque matin en se levant il est bon d’y penser pour agir.

II - Les deux alliances fondamentales
.

La première est à renforcer impérativement mais la seconde permet le succès du projet d’émancipation globale (partie 1 ci-dessus)

A) L’alliance impérieuse en-bas

Il s’agit d’améliorer le sort de ceux-d’en-bas disposant de quasiment rien à ceux vivant avec moins de 3000 euros par mois. Il faut alors travailler à l’union des sous-prolétaires et des prolétaires . Cela passe par des revendications concernant l’accès au travail, l’accès au revenu décent, une certaine fiscalité protectrice des moins de 3000 euros par mois (y compris pour la taxe carbone), une possibilité de ne pas rester "collé à vie" au niveau du SMIC pour monter vers le double ou le triple dans la seconde partie de sa vie.

B) L’alliance du succès : rallier les cadres.

Il s’agit d’unir les prolétaires avec les "travailleurs aisés". Les revendications à poser vise à faire reporter la contribution financière sur les couches sociales au-dessus du "seuil hédonistique" (4500 euros par mois) et surtout sur la classe bourgeoise via la redistribution primaire (salariale) et secondaire (fiscale) .

Christian Delarue
 
Quelques textes indicateurs d’un profil alter.
 
L’entrepreneur ou l’individu appelé à se concevoir comme une entreprise
http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/l-entrepreneur-ou-l-individu-60888

En défense des prolétaires à 3000 euros par mois et moins !
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article789

Racisme anti-fonctionnaire(s). Des privilégiés, des fainéants et des improductifs !

http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/racisme-anti-fonctionnaire-s-des-60108

Sobriété pour les très riches de tous les pays.
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article717

Eléments de critique de la compassion sociale
 


6 réactions


  • anny paule 5 septembre 2009 17:43

    Article très intéressant.
    Une phrase retient particulièrement mon attention : « La bourgeoisie est très unie, pas le peuple classe », et c’est en effet le coeur-même du problème de l’émancipation (ou de la non émancipation).
    Quand vous catégorisez les composantes du peuple classe (tel que vous l’avez défini), il me semble très utopique (je ne dis pas impossible) de coordonner les aspirations de groupes qui n’ont pas de réels points communs (hormis des grilles de revenus).
    La société à laquelle nous avons affaire est celle de l’individualisme, de l’égocentrisme et il faudrait que chacun porte un regard nouveau sur l’Autre... qu’il ne le considère pas comme un concurrent mais comme un pair, qu’il prenne conscience que ce contre quoi il convient de se battre est situé bien plus haut, bien plus loin... Et là, il reste encore bien du chemin à parcourir. 
    Les médias, TV, Radios, (qui constituent pour une très large partie de nos concitoyens la seule source d’information) véhiculent d’autres modèles et jouent en permanence sur le subliminal. Il faut déjà un degré de conscience et de connaissances suffisants pour s’en distancier et pour agir.
    Ceci fait que j’aimerais bien que vos idées puissent éclore un jour, dans l’intérêt général... mais que je ne peux masquer mon pessimisme. 


  • Frabri 5 septembre 2009 23:31

    Dans le « peuple- classe », il y a la « fracture sociale », entre ceux et celles qui ont un travail intéressant, stable, bien payé, et ceux et celles qui ont un travail ni intéressant, ni stable, ni bien payé et que l’on appelle le ’précariat« .
    Sur le terrain politique ils ne sont pas dans le même camp. Les premiers ont intérêt a soutenir les couches dirigeantes de droite et de gauche (l’UMPS et leurs satellites), le précariat n’a pas intérêt a les soutenir.

    Sur internet, avec un moteur de recherche on trouve de nombreuses pages sur la »fracture sociale« , et sur le »précariat".


    • Christian Delarue Christian Delarue 6 septembre 2009 11:50

      à propos de la seconde fracture présentée comme la première.
      C’est un bon coup des idéologues de la bourgeoisie.

      Il est exact qu’il y a cette différence. Il faut la réduire pour gagner.

      Or certains auteurs l’ont valorisée à des fins idéologiques très conservatrices en parlant d’inclus et d’exclus alors que d’autres comme CASTEL on évoqué des processus de désaffiliation du cadre commun du travail qui montre le besoin d’un cadre sécurisé et sécurisant pour tous..

      Il est faux de dire que les mieux protégés défendent les dominants. Les fonctionnaires de base sont ceux qui se battent le plus contre la dégradation des conditions de travail de tous. Le nombre de jours de grève et de manifestation de ces agents est très fort. Il est vrai qu’ils disposent de syndicats actifs. De plus même si votre vision était exactei ce ne serait pas une raison pour l’accepter comme politique juste. Ce serait une politique de division illusoire et donc nuisible aux deux fractions du salariat qui doivent se battre ensemble pour gagner.

      Exemple de combat :

      http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article803

      La revendication de Nouveau Statut du Travail Salarié a été élaborée depuis le début des années 2000 par la CGT, celle d’un Statut du Travailleur mise au point par la CFTC, et celle d’un Nouveau Statut du salarié élaborée par l’Union syndicale Solidaires. Le point commun à ces revendications est la création d’un statut du travailleur qui lui serait attaché depuis la fin des études jusqu’à sa retraite, et qui lui assurerait le maintien de son contrat et de son salaire en cas de perte d’emploi, jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi correct. Toutefois, à la CGT, ce NSTS est très peu porté sur le terrain concret des luttes et rencontre des résistances internes à la Confédération, de syndicalistes qui lui reprochent de s’accommoder de la flexibilité et d’abandonner la lutte contre les licenciements et pour l’emploi.

      De leur côté, les Intermittents du spectacle, dont le régime d’indemnisation a été attaqué en 2003, ont mené des grèves longues et spectaculaires (annulation de festivals comme celui d’Avignon) et ont élaboré en 2004 la proposition d’un nouveau modèle d’indemnisation, leur assurant le maintien d’un revenu décent compris entre un SMIC et 2,5 SMIC.


  • Bardamu 7 septembre 2009 14:09

    Ah, mon censeur !
    Bonjour, le peu-talentueux ! 


  • Bardamu 7 septembre 2009 14:10

    Peu vous lisent !


  • Christian Delarue Christian Delarue 8 octobre 2009 07:39

    III - Baisser les revenus des uns, augmenter les salaires des autres.

    Eléments pour une politique salariale et fiscale de classe.

    Il s’agit de mener une politique salariale et fiscale qui s’appuie sur les considérants politiques dégagés précédemment en I et II ci-dessous. Le texte 1 est lle cadre général, le texte 2 une théorisation intermédiaire.

    Le texte III est à écrire collectivement, notamment sur des prérequis tels que la nécessité de prendre des mesures pour réduire les taxations sur la consommation, et donc à terme abolir la TVA. Mais certaines taxes méritent d’être maintenues. C’est au débat démocratique de trancher sur la base d’une discussion ouverte et argumentée. De même, on va ici faire l’impasse sur la présence ou non de service public alors qu’il s’agit d’une différence de situation très importante entre deux pays qui par ailleurs peuvent avoir une distribution des revenus similaire. C’est là un fait avéré, démontré.

    Passons à des rudimments qui fournissent la ligne d’une politique de classe en matière de pouvoir d’achat.

    1 - Pour les nantis (revenus mensuels supérieurs à 8500 euros) : réduction des revenus, plus forte fiscalisation. Recherche internationale des prédateurs économiques financiers.

    2 - Pour les travailleurs aisés (entre 3000 et 5000 euros par mois) : blocage des revenus, fiscalité moyenne.

    3 - Pour les prolétaires (moins de 3000 euros) : Augmentation des salaires de tous et et toutes pour les moins de 2600 euros. Très faible imposition des revenus.

    4 - Pour les sous-prolétaires : Aucune imposition, forte augmentation de salaire.

    Christian Delarue


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