samedi 10 décembre 2016 - par Daniel Salvatore Schiffer

Epitaphe pour Greg Lake

C'est l'une des plus grandioses mélodies, des plus somptueuses mais aussi des plus douloureuses chansons de l'histoire du rock, fût-il qualifié, en l'occurrence, de « progressif », voire d' « alternatif » : Epitaph, gravé sur le premier et légendaire album, sorti en 1969, d'un groupe, anglais, devenu mythique, King Crimson. Mais, surtout, ce titre, véritable marche funèbre pour les temps modernes, ne se sera-t-il jamais révélé aussi actuel, malheureusement, qu'aujourd'hui : son auteur et chanteur, Greg Lake, musicien aussi discret qu'élégant, vient en effet de s'éteindre, ce mercredi 7 décembre 2016, à l'âge de 69 ans, après avoir lutté courageusement, mais en vain, contre les inexorables, mortifères et fatales avancées d'un incurable cancer.

 

UN AMPLE ET SOMBRE CHANT D'ADIEU

Cette superbe, à la fois ample, lente et sombre « Épitaphe  », la voici admirablement jouée, avec Greg Lake au chant et à la basse, et le fabuleux Robert Fripp distillant ses notes magiques sur son inséparable guitare électrique, en cet émouvant extrait d'un concert qui avait alors déjà, à l'évidence, d'étranges, et d'autant plus fascinants, accents prémonitoires. Les envolées lyriques y sont magistrales, tandis que ses paroles, à présent, résonnent, comme par anticipation, telles les bouleversantes strophes d'un chant d'adieu, quoique immortel : « Confusion will be my epitaph... I fear tomorrow, I'll be crying  ». De circonstance, cette plainte en forme de psaume !

Puis, après ce magnifique album, emblématiquement intitulé « In the Court of the Crimson King », vint, pour le beau Greg Lake, la non moins fructueuse collaboration, entre les années 70 et 80, au sein d'un autre groupe de légende, plus porté encore sur le rock symphonique : Emerson, Lake and Palmer.

 

LA VOIX DE « LUCKY MAN  »

Au sein de ce trio fantastique, dont les énormes performances scéniques ont marqué à jamais les jeunes générations de ce temps-là, évoluait alors, notamment, Keith Emerson, claviériste de génie, dont on a déjà pleuré (https://blogs.mediapart.fr/daniel-salvatore-schiffer/blog/120316/hommage-keith-emerson-le-lucky-man-du-rock-symphonique-et-progressiste), le 12 mars dernier, il y a donc neuf mois seulement, la mort, peut-être plus tragique encore puisqu'il choisit, lui, de se suicider, à l'âge de 71 ans, après avoir constaté que les folles articulations de ses mains comme de ses doigts étaient désormais trop vieilles, menacées par un début de paralysie, pour encore faire éclater comme autrefois, en cette époque bénie mais révolue de sa jeunesse, le brio de son piano, la furie de ses orgues, l'écho de ses synthétiseurs ou le son déchirant de ses moogs.

Emerson, Lake and Palmer ! Leur premier album, lui aussi, contenait une perle : « Lucky Man  », que chantait précisément, de sa voix pure et claire, toujours posée et pourtant extrêmement chaleureuse, nantie de subtiles mais viriles nuances de ton, Greg Lake. « O what a Lucky Man, He was !  ». Le choeur qui s'ensuivait était splendide : un refrain aux mystiques mais mélodieux accents de chant grégorien !

Ainsi cette maudite année 2016 finit-elle donc, au regard de l'histoire du rock, comme, avec la mort de David Bowie, advenue le 10 janvier dernier, elle avait commencé : la triste disparition, ce 7 décembre, de Greg Lake, qui, s'il n'avait certes pas l'aura ni le charisme ou la célébrité de son complice Keith Emerson, en avait bien, en tout cas, le talent musical, en plus de son propre sens poétique.

 

C'EST LA VIE

« C'est la vie  », la cruelle et parfois injuste vie, comme le scandaient encore magnifiquement bien, emplis d'une indicible nostalgie, Emerson, Lake and Palmer, au premier rang desquels émerge bien sûr, en ce jour de deuil, le cher, brave et sensible Greg !

 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

 

*Philosophe, auteur, notamment, de Philosophie du dandysme - Une esthétique de l'âme et du corps (PUF), Oscar Wilde - Splendeur et misère d'un dandy (Éditions de La Martinière), Lord Byron (Gallimard-Folio Biographies), Petit éloge de David Bowie - Le dandy absolu (Éditions François Bourin). A paraître : « Requiem Dandy - Méditation sur l'art de mourir, de Socrate à Bowie  ».

 



1 réactions


  • Rincevent Rincevent 10 décembre 2016 21:43

    Mauvaise année, en effet. RIP, Greg Lake ! Du coup, ce soir j’ai ressorti le roi pourpre et demain matin ELP au petit déjeuner. On n’est vraiment mort que quand personne ne se souvient plus de vous.


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