Essai de déconstruction du mythe de « choc des civilisations » (3)
Il n’est pas exagéré de conclure, peut-être un peu hâtivement, que les guerres, qui ont eu lieu ces dernières années dans les pays musulmans (Afghanistan, Irak) et même actuellement au Mali, vont assurément à l’encontre de cette théorie puisque, et ce n’est un secret pour personne, ne serait-ce que sur le plan pécuniaire, ces guerres sont presqu’entièrement financées par les bailleurs de fonds que sont l’Arabie Saoudite, le Qatar et autres pays du Golfe.
Ainsi donc, ce qui se dessine en filigrane de ces guerres est beaucoup plus d’ordre géopolitique et par conséquent économique que religieux, la religion musulmane n’entrant en ligne de compte que pour leurrer les opinions publiques occidentales qui se trouvent de plus en plus en butte à des difficultés existentielles (délocalisations d’unités industrielles dans les pays où la main d’œuvre est à bas salaire, inflation galopante du fait de la crise économique, chômage endémique…etc.). Il est clair que pour détourner l’attention de ceux qui attendent désespérément que les promesses électorales soient tenues, et elles ne peuvent être tenues vu le contexte de crise économique actuel qui prévaut aux Etats-Unis et en Europe, l’on crée un problème de toutes pièces. Pas seulement en Occident mais partout ailleurs. L’on crie au loup ! Cette politique est bien connue et elle trouve, malheureusement, toujours des naïfs qui la prennent pour argent comptant. D’autant plus que dans la plupart des pays de l’Occident où, circulation des personnes oblige, vivent des musulmans, les autochtones sont parfois les témoins de certains comportements « culturels » jugés négatifs (négatifs dans la mesure où ils sont en contradiction avec les valeurs de l’Occident) de bon nombre de ces premiers. Profitant de la liberté de culte, de la liberté de penser et d’agir, de la liberté en tous genres, toutes libertés qui son sacrées en Occident, les musulmans vivant en Occident ne se gênent pas d’étaler au grand jour leur différence culturelle. Et cela, forcément, ne peut que déplaire aux « autres ». C’est le cas, par exemple, de la prière du vendredi qui se déroule parfois en dehors des mosquées ou du moins des salles prévues à cet effet obligeant les fidèles à s’emparer de l’espace public qu’est la rue. En plus de la gêne que cela occasionne aux passants (qui ne sont pas forcément d’accord avec cette façon de faire des musulmans, dans un pays laïc comme la France par exemple), ce comportement consistant à étaler ostensiblement sa différence religieuse et culturelle est mal digéré par les autochtones. Ceux-ci se sentent alors envahis. Cela fait naitre en eux des peurs injustifiées. Des faits mémoriels très anciens, en rapport avec la conquête de l’Islam du temps de sa splendeur, remontent à la surface. Alors, ils ne manqueraient pas de réagir de façon intempestive à la moindre occasion.
Là, il me semble utile d’ouvrir une parenthèse. Car, nous l’oublions pas, l’Islam avait conquis une partie de l’Europe, les combattants portant le livre saint (le Coran) d’une main et le glaive de l’autre. Et de cette longue période qui s’est étalée des siècles durant, il ne nous reste que deux choses, deux anecdotes pour être précis qui sont, me semble-t-il, très significatives de l’état d’esprit des musulmans d’alors. Lors de la conquête, débarquant sur la côte espagnole, Tarik Ibn Ziad fit brûler ses navires et lança à ses troupes cette sentence restée célèbre : « Il n’ ya point d’issue. La mer est derrière vous et l’ennemi devant ». Ceci ne put que stimuler ses hommes et les convaincre d’une chose : vaincre ou mourir. La deuxième anecdote, c’est qu’à la chute de Grenade, quelques siècles plus tard, le dernier roi de l’Espagne musulmane, Boabdil, après avoir été contraint de quitter son palais et son harem, du haut d’une colline, se retourna pour jeter un dernier regard sur la ville qu’il venait de laisser aux chrétiens et ne put s’empêcher de verser une larme. C’est alors que sa mère le tance d’un « pleure comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme ». Autrement dit, deux périodes, deux états d’esprit différents. L’un, représenté par un courage à toute épreuve et une foi inébranlable sur ce qu’l’on entreprend, est lié à la conquête et l’autre, fait de lâcheté et de pleurnicherie, à la défaite. Mais, tout cela est de l’Histoire ancienne. Aujourd’hui, l’Etat d’esprit du monde musulman est tout autre. Il n’est pas à la conquête et il n’a pas non plus besoin d’une autre défaite. Ayant vécu trop longtemps sous le joug des colonialismes français et britanniques, il n’aspire, depuis qu’il s’en est libéré, qu’à vivre en paix avec l’ensemble des peuples de la planète. Et ce n’est pas quelques djihadistes, sans culture politique et sans vision des choses à long terme, qui vont nous contredire.
A notre avis, les musulmans, où qu'ils soient, doivent épouser la modernité tout en restant attachés à leur islam (ité). Cela couperait l’herbe sous les pieds de pas mal de gens malintentionnés qui voient dans le moindre signe distinctif des musulmans rien de moins que la marche inexorable vers le « choc des civilisations ». Ce choc n’est dans l’intérêt de personne. Ni de l’Occident ni du monde musulman.
Voilà pourquoi, à notre avis, lorsque S.Huntington a proposé cette théorie, tout le monde, en Occident, l’a pris au mot. Et lorsque la nébuleuse islamiste s’est attaqué aux tours jumelles de Manhattan, beaucoup parmi ces gens-là n’y ont vu qu’une confirmation flagrante de ce « choc des civilisations ». Or, en terme de nombre, que représentent les Kamikazes du World Trade Center et les djihadistes qui sont, depuis, disséminés ça et là, sur le milliard et demi de personnes qui se reconnaissent dans la religion musulmane ? La réponse, tout le monde la connaît : pas grand-chose. Peut-on, à travers l’activisme djihadiste de quelques illuminés qui, je le répète encore une fois, font beaucoup plus de mal à leurs concitoyens respectifs qu’à l’Occident, conclure que les civilisations judéo-chrétienne et musulmane sont en conflit ?
L’un des intellectuels arabo-musulman qui a battu en brèche la théorie de S. Huntington, et cela dès l’apparition du premier article qui constituera plus tard le socle sur lequel sera bâti le « choc des civilisations », est sans conteste Edward Saïd. Celui-ci n’avait d’ailleurs pas hésité à parler carrément de « choc de l’ignorance » tant l’article en question, très médiatisé par ailleurs aux Etats-Unis et dans le reste du monde occidental, dès lors qu’il a été publié dans l’une des plus prestigieuses revues américaines (revue Foreign Affairs), se caractérisait par des contre vérités historiques flagrantes. L’appartenance d’Edward Saïd aux deux civilisations (occidentale et arabo-musulmane en même temps) lui conférait une position assez confortable pour s’adonner à une critique en règle de cette thèse. Rappelons-nous, qu’intellectuellement parlant, la réponse d’Edward Saïd à Samuel Huntington avait provoqué, en elle-même, un choc dans le milieu universitaire américain, choc que l’on pourrait qualifier, à son tour, de « choc des titans ». Ce qui fait que, désormais, il n’est pratiquement plus possible de parler de la théorie de l’un sans évoquer la réponse de l’autre. Parler de « réponse du berger à la bergère » serait mal venu et incorrect car, dans ce cas, force est d’admettre qu’il s’agit de deux sommités des sciences sociales, deux professeurs d’universités prestigieuses, appartenant, certes, à un même pays, les Etats-Unis, mais d’horizon et de cultures originels divers.
FIN.