lundi 1er mai 2017 - par

Je n’est plus du tout un autre

A notre époque on n'a jamais autant évoqué l'autre, le « vivrensemble », l'altérité, l'empathie. Et le tout n'a jamais été aussi peu pratiqué. Bien entendu, demeurent quelques « autres » emblématiques. Ces « autres » sont forcément d'origine étrangère, pratiquent l'Islam en général, une religion « exotique » pour quelques uns. Ce n'est pas que la société ou ce qu'il en reste après le détricotage méthodique de tout ce qui faisait lien, excepté l'argent, se soucie réellement de la « différence » emblématique de ces populations, qu'elle s'en inquiète. Elle y serait même complètement indifférente.

Ce sont juste comme les anciens bourgeois qui avaient « leurs » pauvres, elle a les « siens ». Les nantis ont ainsi l'impression d'être de grands humanistes, d'être soucieux du progrès. Le tout renvoie d'eux une image flatteuse. Et il est intimé au reste de la population d'emprunter cette voie sans se poser de questions.

Si d'aventure, quelqu'un se moque de ces hypocrisies, ne serait-ce que de façon embryonnaire, timide, il risque instantanément de se voir assimilé aux nostalgiques des systèmes politiques les plus totalitaires du début du XXème siècle. Il se fera injurié, traîné dans la boue. On rappellera abjectement Oradour, Vichy etc....

Pourtant l'hypocrisie est pregnante, il suffit d'observer les personnes autour de soi dans la rue, de lire les « statuts » facebook ou autres réseaux dits sociaux. Bien sûr cela trompe de moins en moins de monde et la chape de plomb politique moralisatrice est de plus en plus inefficace. Les habitants de la « France dite périphérique » ne sont plus dupes en particulier.

Que ce soit dans la rue ou dans les transports en commun, que ce soit à Paris, dans les grandes villes ou ailleurs, plus personne ne supporte le regard d'autrui. C'est tout un ensemble de stratégies d'évitement systématique de toute interaction sociale. On sort son « smartphone » machinalement, on fait mine de se passionner pour la lecture des articles des journaux gratuits, on se tourne obstinément vers la fenêtre. Le regard de l'autre est vécu comme une agression insupportable. L'autre n'existe plus, excepté virtuellement, ce qui n'a bien sûr rien à voir. Ne comptent que les « mêmes », les reflets presque identiques dans le miroir. On se regroupe en « tribus » ou en « communautés » selon des critères extrêmement basiques, des plus primaires :

l'apparence, les vêtements, les goûts musicaux, l'âge, l'origine régionale ou ethnique fantasmée.

Quand je pense que d'aucuns parmi les bons apôtres trouvent formidable ce retour à la tribalité, je suis effaré car il signe la fin de notre société, l'atomisation « façon puzzle » de ce qui reste de notre civilisation. Je remarque qu'eux protègent leurs enfants, les envoient ainsi que le font les cadres de « Google » dans des écoles non « connectées », où les milieux sont des plus protégés, en particulier à toute influence du décervelage intensif qui est toujours assez bon par contre pour le reste de la population. Pour les précaires, les classes moyennes en voie de paupérisation, c'est sans doute moins grave.

L'inquiétant ce ne sont pas les élections prochaines, c'est le fait que plus rien ne nous relie concrètement dans cette société, qu'aux yeux du tout économique qui prédomine nous ne sommes plus que des consommateurs les uns aux autres...

L'important est de s'inquiéter de refonder notre société.

 

Sic Transit Gloria Mundi, Amen

Amaury – Grandgil

illustration (toile de Bacon, « Self portrait » ) empruntée ici

 

Ci-dessous la lettre de Rimbaud à Paul Demeny « Lettre du voyant », 15 mai 1871

Rimbaud à Paul Demeny (Lettre du Voyant, 15 mai 1871)

 

« Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ! ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs ! (…) La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple ... »

 

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