mercredi 22 février 2017 - par Olivier Perriet

La catastrophe des Primaires, ou la démocratie en phase terminale

Pour mémoire, « les Primaires » - un vote ouvert à tout citoyen inscrit sur les listes électorales (comme « une vraie élection ») moyennant un engagement moral aussi vague que brumeux - ont été lancées en 2011 par un parti socialiste soucieux de ne pas revivre, et son élimination dès le premier tour de la présidentielle (21 avril 2001), et les problèmes de leadership nés de l'aventure Ségolène Royal (2006-2008) 1.

Cette initiative purement partisane, une privatisation des listes électorales, fut baptisée à l'américaine « Primaires citoyennes ». Jean-Michel Baylet étant de fait la caution « diversité » de cette vraie-fausse élection (seul lui, que personne ne connaissait et qui n'avait aucune chance de gagner, n'était pas membre du PS).

 

L'opération fut menée avec la bénédiction du gouvernement de l'époque, qui s'est dit que ce précédent lui servirait sans doute bien dans 5 ans :

après quelques hésitations devant cet OVNI politique2, le ministre de l'Intérieur Claude Guéant n'y trouva plus rien à y redire. Et comme prévu, les « Primaires de la Droite et du Centre » sont sorties du chapeau en 2016, Jean-Frédéric Poisson (parti chrétien démocrate, inconnu au bataillon) y tenant le rôle dévolu 5 ans auparavant à Jean-Michel Baylet.

 

Conçues pour renforcer le bipartisme à la française (le clivage gauche droite, c'est-à-dire le duopole PS-UMP : qui songerait à des primaires ouvertes pour les écologistes ou l'extrême droite ?), pensées par des partis de gouvernement qui s'imaginent uniques propriétaires des moyens de l’État, les Primaires devaient tout à la fois légitimer un candidat, assécher les dissidents et retenir toute l'attention des médias avec une pré-campagne électorale interminable.

 

Après trois expériences, quel bilan ?

 

En 2011, les Primaires citoyennes ont abouti à la désignation de François Hollande avec une lapalissade en guise de programme (« si vous votez pour moi, Sarkozy ne sera pas réélu »).

 

Ce discours lui avait permis précédemment de se maintenir plus de 10 ans comme premier secrétaire du PS, jouant des oppositions internes qui se neutralisaient. Ca lui a aussi permis de "faire" Président de la République, de justesse (élu par 51,5 % des voix, alors que Sarkozy n'avait reçu le soutien de personne, et que presque tous les autres candidats, de Philippe Poutou à François Bayrou, avaient appuyé François Hollande)

 

Pour quels résultats, ça c'est autre chose, puisque le pays a eu la nette impression d'être gouverné à la godille pendant 5 ans, avec un exécutif flottant au gré des vents, quand il ne prenait pas le contre-pied des positions esquissées le temps d'une demi campagne électorale3.

 

Changement de modèle avec les primaires de la Droite et du Centre de 2016, qui débouchent sur la désignation de François Fillon au terme d'une surenchère délirante vers un programme économico-social punitif (moins d'impôts sur les entreprises, plus de flexibilité des salariés, plus de taxes sur la consommation, plus de réductions budgétaires, moins de fonctionnaires, plus de libéralisme….). Comme si, du jour au lendemain, notre monde du travail où domine encore l'organisation verticale archaïque salariés-employeur allait se régénérer par l'entrepreneuriat. Vu les contraintes pesant sur les salariés, demain, nous n'aurions plus le choix : tous auto-entrepreneurs avec NKM !

À ce petit jeu, même Sarkozy et ses burkinis ont semblé dépassé : il n'était plus question de « Travailler plus pour gagner plus » mais bel et bien de « Travailler plus pour gagner moins » .

Analysant la période 1995-1997, le regretté Philippe Cohen parlait du « bluff républicain » des politiciens qui, pour se faire élire, critiquent le néo-libéralisme (réduire la fracture sociale) et se dépêchent d'enterrer leurs promesses au bout de 6 mois4. Avec François Fillon(et tous les autres de cette primaires de la droite et du centre), ces pudeurs disparaissent et l'on peut, enfin, nous promettre clairement un retour simple vers le passé glorieux des années Thatcher.

 

Qu'importe au fond, puisque les électeurs les plus classiquement à droite (professions libérales, entrepreneurs, retraités), ceux qui se sont déplacés à la primaire, ne sont pas salariés.

 

Et qu'importe la cohérence du programme, qui prétend acclimater dans notre vieux pays individualiste un « ordo-libéralisme » à l'allemande5, sans les protections offertes par une société communautaire où chacun, malgré tout, a toujours sa place. Si, en Allemagne ou au Japon, on peut flexibiliser le travail et baisser les salaires, on oublie, ici, que c'est en échange d'un maintien dans l'emploi. Importez cette recette en France et vous aurez (presque) à coup sûr la flexibilisation du travail et les licenciements.

 

Du côté du parti socialiste, les choses ne se sont décantées que lorsque l'hypothèque François Hollande a été levée par l'intéressé lui-même, qui comptait visiblement faire durer le suspens le plus longtemps possible afin de décourager d'autres postulants.

La primaire 2017, organisée dans l'urgence par un PS affaibli, n'a bien évidemment guère rassemblé au-delà du parti même s'il y a eu un nombre étonnamment important de candidats alibis (1 radicale de gauche et 2 écolos en rupture de ban).

 

Au final, la désignation du sympatique Benoît Hamon contre Manuel Valls a pu sembler plus rassurante que celle de François Fillon à droite. Une seconde analyse conduit toutefois à nuancer fortement cette impression, et à constater qu'elle a, au fond, fait appel aux mêmes ressorts.

 

Manuel Valls avait certes à son débit d'être l'homme du bilan d'un quinquennat libéral, de la loi El Khomri, du 49.3. Le clone de Sarkozy devenu Premier Ministre, alors que « le changement, c'[étai] maintenant ».

 

Mais n'est-ce pas aussi le partisan de la fermeté en matière migratoire contre l'Allemagne de Merkel en 2015, le « sioniste » qui a fait interdire Dieudonné lorsqu'il était ministre de l'Intérieur en 2013, le maire qui s'inquiétait de longue date de la monochromie des banlieues d'Evry, qui a été rejeté par « le peuple de gauche » ?

 

Benoît Hamon, comme François Fillon, a construit son discours sur un programme économique et social délirant, mais à l'inverse. Là où le premier a promis du sang et des larmes, le second a dit vouloir un revenu universel inconditionnel, de 18 ans jusqu'à la mort.

Là encore, peu importent les lacunes graves du raisonnement, qui disserte sur « la fin du travail » dans une société de consommation qui importe la majorité de ses biens manufacturés et a délocalisé toutes ses industries, ou qui évoque un « État nourricier » sans parler de ses implications, un monde homogène, ou une société autarcique. Instaurer un revenu universel dans une France ouverte à tous les vents, alors qu'à quelques heures d'avion de Paris, les paysans du Sahel peinent à produire assez pour se nourrir est une vaste blague.

Peu importe car il ne s'agit pas de développer un programme de gouvernement, mais de remobiliser une base électorale « terra novienne », urbaine et aisée, immigrée et modeste, « généreuse » et « ouverte ».

 

Pour conclure les Primaires PS LR, si elles réussissent parfaitement à saturer l'espace grâce aux médias amis, ont complètement manqué l'objectif d'ouvrir les partis sur la société et de légitimer les candidats ; c'est même le contraire qui se produit, puisqu'elles ont amené des candidats rétractés sur une étroite base clientéliste.

Or le but reste toujours de rassembler 50 % des voix plus une au second tour.

 

On pouvait ainsi penser, une fois François Fillon désigné, qu'il passerait les 5 prochains mois en position défensive, retranché derrière la ligne Maginot de son programme, à déminer les inquiétudes.

 

La suite des événements a été bien pire encore, et a confirmé que le candidat s'était bel et bien piégé tout seul :

Faire pression sur les salaires, les retraités s'en moquent, mais faire mine de s'en prendre à la sécurité sociale, ce n'était pas très malin.

De même, les « révélations » du « Pénélopegate », qui ne cadrent pas vraiment avec le discours sur « l’État en faillite » ou « la rigueur budgétaire », et alimentent des polémiques sans fin.

 

Au point que certains, dans son propre camp, estiment qu'ils ne peuvent plus faire campagne et veulent changer de candidat ! Tout ça pour en arriver là…

 

La manipulation de la démocratie accentuée ou François Fillon dans les pas de François Hollande.

 

Les Primaires, en ce qu'elles instaurent un vrai-faux vote, contribuent à renforcer une démocratie de manipulation de l'opinion qui se perd dans des petits calculs sondagiers et se polarise excessivement sur le scrutin lui-même et les manœuvres des partis, au détriment des débats de fond sur l'avenir du pays (ce qui est tout de même le but des élections !).

 

 

Ainsi, le comportement de François Fillon apparaît comme une distorsion monstrueuse de « l'effet essuie-glace » analysé en 2002 par Jean-Pierre Chevènement : « un coup à droite, et lorsque la droite a déçu, un coup à gauche, et après on recommence » :

« La gauche est dans les choux, donc vous n'avez pas le choix, ce sera moi. Je n'ai même plus besoin, comme mes prédécesseurs, de m'imposer la corvée de chercher à vous convaincre ».

 

Le scénario s'est enrichi avec la survenue d'un troisième larron, le Front National, et le « vote républicain » : dans le cas d'un duel contre le FN, plus d'effort à faire, puisque ce sera « Moi ou Le Pen, moi ou le chaos ! ».

 

Le drame, pour François Fillon, c'est qu'il est à présent obligé de tenir ouvertement ce discours...à son propre camp. D'une façon à peine voilée, c'est une adresse à nous aussi.

 

En dépit de la grossièreté de ces manipulations, « effet essuie-glace » et « vote républicain », le précédent de 2012, avec un François Hollande élu de justesse sur un non-programme, ne rend pas optimiste sur les capacités de la société à faire pièce à ce système qui contraint les choix collectifs.

 

À ce rythme, Emmanuel Macron, qui adopte un positionnement identique à celui du François Bayrou de 2007, pourrait fort bien réussir à apparaître comme le « conformiste anti conformiste », moins inquiétant que François Fillon (mais proposant à peu de chose près la même chose), et à capitaliser sur le rejet de cette aliénation. Au risque de décevoir, lui aussi, bien évidemment.

 

Ou alors, comme le prophétisait Philippe Cohen dans un autre contexte 6 « […] les Français n'auront plus le choix qu'entre cultiver leur jardin - « à l'américaine si possible » - ou s'en remettre à ceux qui risquent d'apparaître comme les derniers dinosaures républicains : Bruno Mégret ou Jean-Marie Le Pen – ou les deux ».

 

21/02/2017

1Contestation diffuse dès 2006 contre une candidate charismatique désignée par « des adhérents à 20€ », « Marche sur Solférino » de la candidate au soir du 9 mai 2007, empoignade épique avec la candidate de la « bureaucratie » Martine Aubry pour le poste de premier secrétaire du Parti.

2Le problème principal soulevé portait sur la préservation du secret du vote, dans la mesure où les organisateurs de la Primaires citoyennes pouvaient utiliser les listes électorales pour leur vote, par conséquent savoir qui avait une sensibilité de gauche. Voir les archives du Point http://www.lepoint.fr/politique/gueant-les-primaires-socialistes-posent-un-probleme-grave-21-06-2011-1344333_20.php et du Ministère de 'Intérieur http://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-actualites/2011/Claude-Gueant-a-recu-le-depute-Lamy-au-sujet-des-primaires-au-Parti-socialiste

3À la place d'une réforme fiscale, il y a eu le CICE, une nouvelle niche fiscale, et une hausse de la TVA.

4Le Bluff républicain. À quoi servent les élections ?, Arléa, 1997 https://www.amazon.fr/bluff-républicain-quoi-servent-élections-ebook/dp/B01KC5XEA0

5Expression décrivant principalement la politique économique allemande, transposée depuis les années 90 à toute l'actuelle zone euro : monnaie forte, rigueur budgétaire, compression des salaires, ouverture très importante sur le marché mondial.

6« [Si demain, le gouvernement Jospin s'avère impuissant à réduire la fracture sociale et le chômage, et incapable de modifier le rapport de force entre capital et travail], les Français n'auront plus le choix qu'entre cultiver leur jardin - « à l'américaine, si possible » - ou s'en remettre à ceux qui risquent d'apparaître comme les derniers dinosaures républicains : Bruno Mégret ou Jean-Marie Le Pen – ou les deux, Le Bluff républicain, déjà cité, dernière phrase.



5 réactions


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 22 février 2017 11:08

    Désespérant, mais tellement vrai !


    (Mégret et Le Pen ne sont que des épouvantails ou faire-valoir qui n’existent que par la nécessité de présenter un produit visiblement moisi pour vendre du rata de cantine ou de caserne, mais à part ce « détail de l’histoire », le tableau est réaliste).

  • LE CHAT LE CHAT 22 février 2017 11:39

    et en plus les candidats à ces primaires n’ont aucun honneur , tel François De Rugy qui maintenant suit Macron après s’être engagé à soutenir le vainqueur de la « belle entente »,alors que Jadot va lècher les boules d’Hamon

    écolo rime avec opportuniste désormais .....


  • Ruut Ruut 23 février 2017 09:58

    C’est le problème avec les primaires pipées, seul des faux candidats peuvent se présenter.
    C’est comme les Informations Facebook a trop se regarder le nombril le Réel devient violence.


  • G. N’Doutpa 6 mars 2017 14:51

    Très belle analyse.
    Il y manque peut-être une réflexion ce ce que nous, le peuple infantilisé, d’individus « en marche » fendant la foule des autres ramenés à des objets à contourner, le nez ou l’oreille sur l’écran portable, sommes devenus capables ou incapables d’élaborer collectivement.
    La réactivité émotionnelle amplifiée et rapide (ne pas confondre avec « collective ») est en train de prendre le pas sur la capacité à projeter un avenir lucide et raisonnable. D’où une nouvelle dynamique qui renvoie plus à la théorie du chaos qu’à la science politique.
    Stade infantile nommé « phase d’opposition » (J-L-M dit : « dégagisme »). Cela dure plus ou moins longtemps selon les individus, Olivier.
    Il ne reste plus qu’à se laisser glisser douillettement dans les bras d’un « père tout puissant », fût-il en jupons.
    Regardez la sérénité qui l’habite !
    Regardez son pouvoir attractif ! Comme si les autres candidats multipliaient les erreurs qui ne seraient expliquées que par cette attraction...Pour l’instant je vois deux de ces « attracteurs étranges », mais pour combien de temps encore ? L’attente est passionnante...Quel suspense !


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