La conspiration du Nouvel Age
Le Nouvel Age a vieilli mais n’a pas faibli. Se pourrait-il qu’il en vienne à former le creuset d’une nouvelle religion ? Possiblement au service d’un Nouvel Ordre Mondial ? Voici quelques chemins de pensées tortueux, broussailleux et épars pour tenter de baliser a minima un espace qui paraît d’autant plus périlleux qu’il semble être celui d’une course à l’auto-divinisation... de l’égo.
Introduction
Au sortir d’un Sommet sur la Santé Globale et du Développement personnel auquel l’occasion m’a été donnée d’assister dans ma région ultramarine, de nombreuses questions m’assaillent. Le plateau était de qualité avec des médecins comme Henri Joyeux, Jean Willemin, Olivier Soulier, des « psys » comme Guy Corneau ou Diane Bellego, des guérisseurs de tous horizons et des inclassables comme Lilou Macé. Toutefois, alors que le sommet était déjà bien avancé et que j’arpentais les allées ensoleillées entre les stands de pranic healing ®, de tisanes, de jus de fruits, d’emballages sous vide etc., dans des odeurs de couscous et de géranium en cours de distillation, mon esprit restait obnubilé par l’effort pour faire sens de ce à quoi j’étais en train d’assister.
Il faut dire que j’étais venu à ce sommet en compagnie d’un (déjà) vieux livre de Jean Vernette « Le Nouvel Age » que je m’étais enfin décidé à lire pour mettre à l’épreuve mes représentations a priori très favorables à cette mouvance. Il faut reconnaître qu’une adolescence dans les seventies, ça marque !
Ceci expliquant cela, j’ai longtemps pensé que (ce qui ne pouvait être que) les chicaneries pontifiantes d’un prêtre spécialiste des sectes étaient sans intérêt pour moi. Grossière erreur. Ce livre m’est très vite apparu visionnaire. Par exemple, l’idée d’un nouvel ordre mondial en gestation est à présent dans tous les esprits éveillés ou un peu attentif, mais dans le temps pas si lointain du « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » la chose était inconnue de la plupart des terriens alors que les adeptes de l’Ere du Verseau ne pensaient qu’à ça depuis des lustres !
Ainsi, par exemple, dans le livre L’Ere du Verseau de Paul le Cour (1937), on trouve une citation de H.G. Wells on ne peut plus claire :
« L’époque des tribus en lutte, des royaumes et des empires, qui commença il y a une centaine de siècles, touche à sa fin.
Le royaume de Dieu sur la terre n’est pas une métaphore, un état purement spirituel, un rêve, un projet incertain ; c’est ce qui nous attend ; c’est le destin prochain et inéluctable de l’humanité. Dans quelques vingtaines d’années, la foi au vrai Dieu se répandra. » p. 167
Quand on connaît Wells, grâce notamment à Pierre Hillard et sa remarquable autant qu’infatigable dénonciation du mondialisme, on ne peut pas ne pas avoir la puce à l’oreille et se demander si Marilyn Ferguson n’avait pas été bien inspirée en intitulant son fameux livre « La conspiration du Verseau » [1].
Aussi étrange et même saugrenue qu’elle puisse paraître du point de vue du rationalisme laïcard qui a été progressivement installé en France depuis la Révolution et qui domine tellement les esprits qu’il en devient transparent, l’invention d’une nouvelle religion universelle — donc pour vous et moi — est bien une idée d’actualité.
Pour s’en convaincre, il n’est que d’écouter le spécialiste Vincent Peillon du temps où il avait encore tout l’avenir devant lui. A l’entendre, faire de la laïcité une religion est, depuis longtemps, une nécessité, voire même une évidence... :
C’est donc dans cet état d’esprit mi-figue conspirationniste, mi-raison que j’ai voulu approcher l’actualité du Nouvel Age à ce sommet de la santé globale et du développement personnel. Alors que je l’avais toujours trouvé bon enfant et inoffensif, [2] je commençais à comprendre qu’il méritait quand même qu’on y regarde à deux fois.
Quitte à décevoir le lecteur, je précise d’emblée que je n’ai observé aucun flagrant délit ni recueilli aucune preuve de ce que « la conspiration du Verseau » en serait bien une. Les choses sont beaucoup plus subtiles que cela et pour tenter d’objectiver ce qui m’a empêché d’adhérer aux belles paroles que j’ai entendues ici et là, il faudrait probablement une infinité d’explications détaillées.
Comme le temps et l’espace me manquent, je vais me contenter d’aller droit à ce qui m’a paru le plus dérangeant ou le plus « clivant » dans les pratiques de développement personnel, à savoir, ce discours latent et diffus du « Vous serez comme des dieux ». Même s’il constitue un « passage à la limite » logique pour ceux qui cultivent l’affirmation de soi et la pensée positive — avec, parfois, l’énergie du désespoir ;-) — il pose, me semble-t-il, problème tant du point de vue psychologique, moral que sociétal.
Sans nous attarder sur la misère psychologique de la méthode Coué avec son « je vais bien, tout va bien... » dont le comique Dany Boon a donné une illustration magistrale, venons-en de suite à ce qui est au cœur de la psychologie humaine et qui nous intéresse au premier chef : la pulsion d’emprise, le « désir de contrôle » ou la « volonté de puissance » qui nous animent depuis notre plus jeune âge et dont les effets se font sentir dans tous les aspects de la vie en structurant l’égo aussi bien que la géopolitique mondiale.
En raison du primat de cette tendance dans notre psyché, on pourrait dire que tout le travail éducatif consiste à amener l’enfant à construire simultanément une très désirable capacité d’emprise sur le monde (dont toute réussite est le produit) ET la conscience claire que ladite emprise doit s’exercer dans un absolu respect des autres ; ce que la Déclaration des droits de l'homme a judicieusement traduit par l’idée que la « liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4).
Une telle conception, évidente pour le citoyen lambda, l’est a fortiori pour l’adepte de la pensée positive qui est généralement engagé dans une démarche individuelle aussi bienveillante pour son prochain que pour lui-même. Mais de là à lui donner le Bon Dieu sans confession, il y a un pas dont je me garderai.
Deux questions, en effet, se posent avec insistance :
1. la première est de savoir qui est « autrui » ou, comme demandait le docteur de la Loi pour mettre Jésus à l’épreuve : « qui est mon prochain ? ».
2. La seconde est celle, encore plus problématique, qui consiste à savoir si l’Homme pourrait être la seule limite à la volonté de puissance de l’Homme ou si ce dernier ne devrait pas reconnaître une réalité qui le transcende, lui assigne une place et, par là-même, le limite.
C’est bien cette dernière limite que le serpent suggère à Eve d’outrepasser en goûtant au fruit défendu. « Vous serez comme des dieux ! » Promesse diablement tentante lorsque l’on vit au paradis mais qui devient irrésistible pour des humains égarés dans leurs vallées de larmes respectives.
Il n’est que de voir avec quel véhémence les enfants gâtés de nos sociétés individualistes prennent et défendent à corps et à cri un pouvoir absolu sur leur maisonnée. Le moindre obstacle à leurs caprices leur apparaît comme une offense intolérable qu’ils font payer chèrement aux soignants à leur service, ceux qui n’ont plus de parents que le nom. Tel Moïse ou Ulysse, entre terreur et joie infinie, bébé vit, dès le berceau, une odyssée dont le pire des pièges est celui consistant à devenir « tout puissant », tel un petit dieu. Un piège dont il ne peut sortir que si ses parents savent lui donner ce dont il a besoin : des limites. Il ne peut être « sauvé » que s’il accepte d’être un enfant, c’est-à-dire, un « infans », celui qui « n’a pas la parole », autrement dit, celui qui écoute la parole des adultes.
Une fois ceci à l’esprit, la question qui se pose est de savoir pourquoi ce qui serait un danger pour l’enfant ne le serait plus pour l’adulte ? Pourquoi ce qui serait une solution pour l’enfant ne le serait plus pour l’adulte ? Pensons-nous réellement pouvoir cultiver un idéal de toute-puissance impunément ? L’état du monde présent ne fait-il pas craindre que, livrée à elle-même, l’humanité aille à sa perte ?
Nous reviendrons sur cette question après avoir traité de la première, à savoir : qui est le prochain, autrui, l’autre pour celui qui est en quête de toute puissance ?
Pour bien en saisir le sens, demandons-nous, par exemple lors de la conquête des Amériques, si les indiens du Sud comme du Nord étaient vus comme leurs prochains par les conquistadors, les pèlerins ou les « pionniers » ? Sans même avoir à évoquer la controverse de Valladolid, le fait qu’ils aient été victimes de véritables génocides permet d’en douter.
Pour réfléchir à cela adéquatement, il importe de comprendre que le terme autre désigne ici précisément celui qui, tout en étant « autre que moi-même » (moi ipse) est même (idem) que moi. Quel qu’il soit, l’autre est donc, par principe, mon semblable. Si l’autre est même, l’autre est homo (sapiens), l’autre est homme, l’autre est humain. Il s’ensuit que tout ce qui n’est pas mon autre, donc mon semblable, est tout simplement non humain : monstre, cafard, cloporte, vermine ou tout simplement animal, je peux légitimement me comporter à son égard de manière... inhumaine. Il n’est pas mon prochain.
C’est justement ce que reprochent les antispécistes à leurs congénères : d’exclure les animaux de leurs semblables en portant attention sur les différences de manière à pouvoir être impitoyables et même barbares à leur égard en toute insouciance, en toute innocence. Reconnaître les animaux comme ses semblables serait le meilleur moyen de cesser de les tuer. Non pas seulement parce qu’il est dit « Tu ne tueras point » — (sous-entendu) ton prochain — mais parce que les percevoir comme ses semblables porterait tout naturellement à les aimer au lieu de rester indifférents à leur sort. Le bon samaritain de la parabole n’est-il pas celui qui a su aller au-delà des conventions, castes et autres barrières sociales qui entravent l’élan naturel de solidarité ?
Ce que nous voyons se profiler ici, c’est l’usage de la différence perçue comme fondement de la violence légitime. Si celui qui est a priori mon autre, mon semblable, devait faire obstacle à ce formidable désir de toute-puissance à l’égard duquel toutes les cultures (religieuses) humaines nous mettent en garde, alors il est peu douteux que je serais ultramotivé pour le considérer comme un « tout autre », comme un non humain, un monstre, etc. vis-à-vis duquel je n’aurai aucune obligation morale, ce qui me donnerait toute liberté d’agir à ma guise, serait-ce de manière inhumaine, pour m’en débarrasser en toute légitimité et en toute innocence. Il importe de comprendre que la violence est interdite parce qu’elle n’existe qu’entre frères, entre semblables. Terrasser, écraser, exterminer des monstres n’est généralement pas vu comme faire violence mais comme un devoir sacré de protection de soi et de ses... semblables !
Il devrait apparaître assez clair à présent que le « Vous serez comme des dieux » est porteur d’un sens des plus inquiétants lorsqu’on l’appréhende sous le rapport de la question du prochain. Il est alors à peine besoin de s’interroger à son sujet. Nous connaissons déjà la réponse car nous savons trop bien ce que font aux hommes ceux qui se prennent pour des surhommes ! Ils les regardent mourir comme des mouches sans sourciller car ils s’en sont toujours déjà fait une raison qui est, justement, celle de la différence, qui autorise l’indifférence. [3]
Voyez par exemple comment la secrétaire d’Etat étasunienne Madeleine Korbel Albright répond en acquiesçant à la question d’une journaliste lui demandant si la lutte contre le régime de Saddam Hussein valait effectivement la mort de plus de 500.000 enfants irakiens. Comparez à présent avec les réactions indignées lorsqu’un ou deux journalistes étasuniens sont décapités par des (barbares) terroristes.
Ne trouvez-vous pas que l’expression « nous ne faisons pas partie du même monde » prend ici toute sa signification ?
Aussi étrange que cela puisse paraître a priori, j’ai vu poindre une semblable absence de pitié dans certains des ateliers new age auxquels j’ai assisté. Dans cette mouvance où domine la pensée positive, la pitié c’est mal pour au moins deux raisons :
1. La première c’est que nos pensées créant leur propre réalité, nous n’aidons pas ceux que nous considérons avec pitié. Tout au contraire, nous contribuons à entretenir ou aggraver leur situation... pitoyable.
2. La seconde vient de ce que, le cycle des réincarnations étant ce qu’il est, nous serions responsables à 100% de nos vies, vu que nous les aurions choisies avant de descendre nous incarner. Les épreuves que chacun traverse sont censément celles qu’il a choisies pour apprendre ce qu’il a à apprendre. Autrement dit, personne n’est à plaindre ! Bien sûr, on peut aider, nous disait la guérisseuse, mais s’apitoyer, ça non, jamais !
Cette dernière a d’ailleurs par la suite demandé plusieurs fois à l’assemblée « Vous croyez à la crise ? » pour s’assurer que nous avions saisi qu’il n’existe rien de tel actuellement.
Ce que nous étions explicitement invités à comprendre c’est que les autres sont grosso modo des « hologrammes » dans la « matrice divine » dont nous faisons partie, vu que, selon elle et son partenaire, nous sommes tous des dieux attendant que s’ouvrent bientôt les portes intergalactiques vers les multi univers où tout se déroule en même temps vu que le temps est, comme l’espace, une illusion. Bien que cette perspective apparaisse presque caricaturale, le public semblait tout acquis et parfaitement disposé à l’idée que les guerres, la tyrannie, l’esclavage, les génocides, etc., tout cela servirait au progrès des âmes. Dès lors, pourquoi s’en préoccuper ? Ainsi, les choses seraient exactement comme elles doivent être. Chacun aurait seulement à travailler sur soi — et surtout ne pas faire de politique !
Au-delà de leur caractère plus ou moins exotique, nombre de conceptions croisées à ce sommet convergent vers l’idée que notre progrès personnel viendra principalement de la capacité à dépasser l’apitoiement sur soi pour se convaincre de sa propre toute-puissance, du fait que nous serions tous des dieux disposant du pouvoir que « la source » met à notre disposition : ce fameux secret (sic) que constitue la « loi de l’Attraction. »
Parvenu à ce point, la question est bien sûr de savoir ce qu’est ou qui est « la source » ? Car, en dépit et sous couvert d’une élévation de tout un chacun au rang divin, nous voilà quand même mis en présence d’une « transcendance » dont il importe de comprendre la nature.
Il se pourrait qu’il s’agisse du Dieu des croyants. Mais encore faudrait-il le reconnaître comme tel — c’est-à-dire, lui être reconnaissant des potentialités infinies offertes à l’Homme. Mais dans l’espace au sein duquel peut être poursuivi le rêve du « vous serez comme des dieux » et qui va du matérialisme au panthéisme, Dieu est rarement évoqué et le danger pourrait être de suivre « à l’insu de son plein gré » un tentateur : celui qui voulait être l’égal de Dieu, l’ange déchu.
Evidemment, les matérialistes, les athées et autres mécréants refuseront de poser la question dans ces termes. Mais c’est simplement parce qu’ils y ont déjà répondu à leur manière. Celle du « je ne veux pas savoir » dont la science et la « « libre pensée » » ont fait leur credo (sic).
Ainsi, tout se passe comme si chacun d’entre nous se trouvait, comme dans l’éducation du demi-dieu Hercule, face à un choix prodigieux par les enjeux qu’il revêt : ou bien il croit effectivement qu’il peut être comme un dieu et suivre la voie de la facilité, de la puissance, du pouvoir de réaliser ses désirs quels qu’ils soient, ou bien il se reconnaît homme en tant que « créature » de Dieu et accepte que ses potentialités lui soient toutes consacrées, donc sacrifiées, ce qui veut dire mises au service des autres, terme à entendre dans sa plus large acception : celle qui, charitable au possible, couvre tout le genre humain et, au-delà, la création. [4]
Chacun ayant à se situer entre l’Homme et le divin, nous avons tous à faire ce choix. Et ce que je me dis, c’est qu’en ce bas monde, l’élite choisit toujours grosso modo l’« être comme des dieux. » Elle n’a donc pas l’ombre d’un remord à sacrifier autant que nécessaire le bon peuple qui se trouve soit : a) mis en esclavage — le pire étant l’esclavage économique — soit b) massacré dans des guerres profitables et tellement efficaces pour façonner les mentalités en vue du Nouvel Ordre Mondial.
Commentaire
Les grandes traditions se rejoignent autour de l’idée que le chemin de libération pour l’homme est celui de la libération de l’égo. C’est donc celui du dépouillement, du détachement qui vient naturellement quand on se sait aimé et protégé de sorte qu’on peut vivre avec la certitude qu’il n’y a pas à craindre la mort mais bien plutôt de se perdre en tentant de « gagner sa (belle) vie. »
Epictète, sage grec s’il en fut, n’écrivait-il pas : « Anytus et Mélitus peuvent me tuer, ils ne peuvent pas me nuire » ? [5]
La loi d’attraction me paraît une réalité peu contestable à laquelle j’ai toutes les raisons théoriques de consentir. Même le Christ en suggère l’idée avec force lorsqu’il pointe le manque de foi des hommes et assure que celui qui aurait de la foi comme un grain de sénevé (la plus minuscule des graines) pourrait dire à la montagne de se jeter à la mer et elle le ferait (Mathieu 21:21).
Le problème n’est donc pas qu’elle soit enseignée mais que sa réception se fasse dans le contexte d’un humanisme négateur de la transcendance ou porteur d’auto-transcendance, ce qui revient au même.
Qu’un outil si puissant en vienne à nourrir l’égo, voilà une promesse de désastre dont l’état présent du monde semble déjà constituer les prémices.
Chacun comprend bien qu’on ne peut servir deux maîtres à la fois, mais ce qu’il importe encore plus de comprendre c’est qu’il est extrêmement facile de se raconter qu’on vit dans l’innocence d’un désir naturel alors qu’on s’est laissé mimétiquement séduire par l’air du temps qui porte à tout sauf à la pureté. Bref, comme le héros d’Angel Heart, il ne faudrait pas qu’au soir de notre vie nous ayons à découvrir que, par paresse, négligence, cupidité ou hédonisme nous avons suivi et servi le Mal.
Pour qui prête un peu attention à ce qui se joue sur la planète, il semblerait que le temps des grandes tribulations soit venu car ce monde est déjà complètement à l’envers, les vraies valeurs sont piétinées, les faux prophètes pullulent. La société semble un grand supermarché dans lequel à chaque rayon on trouve des bonimenteurs qui nous promettent la libération. Dans cette lutte du chacun pour soi, comment ne pas désirer une vie de « luxe, calme et volupté », comment ne pas avoir envie d’être comme des dieux ?
Pour se déprendre d’une telle tentation, il est nécessaire de comprendre qu’il n’y a là qu’un mirage engendré par nos peurs et le discours d’un serpent qui comprend nos besoins et nous suggère de « doux rêves. » Comme dit la chanson sweet dreams des Eurythmics, ceux-ci proviennent du simple fait que « tout le monde cherche quelque chose. » [6] Cela nous rend aussi vulnérables que les enfants en quête de toute puissance qui n’ont que faire de la réalité dès lors qu’elle ne se conforme pas à leurs désirs. Quand on est pris par la puissance de l’affect, du désir, il est possible ainsi d’occulter des pans entiers du réel et, notamment, tout ce que la culture nous dit de ceux qui se voulaient tout-puissants, « comme des dieux ! »
Ainsi que l’a fait apparaître l’anthropologue René Girard, les religions, les royautés de ce monde ont probablement eu une origine sacrificielle. Ces dernières dériveraient du sacrifice d’une victime à qui, dans le but de lui faire incarner aussi concrètement que possible le divin qu’elle aura mission de rejoindre, il est laissé tout pouvoir jusqu’au moment suprême de la mise à mort. Un roi aurait ainsi d’abord été une victime « en puissance » et, par principe, consentante à son propre sacrifice. Celui-ci ayant été secondairement délégué à quelque substitut [7]et/ou différé indéfiniment, il en aurait résulté la royauté telle que nous la connaissons, avec un peuple clamant « le Roi est mort » seulement après que celui-ci se soit « spontanément » éteint. Autrement dit, en ce bas-monde, la toute-puissance a partie liée avec la mort et si tant qu’on voit les dieux comme des immortels, les humains les ont surtout (re)connus au moment où ils acceptaient de mourir...
Tout cela pour dire que s’il paraît assuré que nous ayons effectivement à nous rapprocher de notre nature divine originelle, nombre de connaissances anthropologiques et psychologiques concourent à l’idée que le chemin à parcourir devrait être celui de la simplicité (volontaire), du dépouillement, de l’abandon, du renoncement, de la reconnaissance de ses erreurs [8], de la responsabilité, etc. toutes sortes de petites morts, de petits sacrifices de soi qui semblent former un chemin de croiix mais qui ont le pouvoir souvent presque miraculeux de contribuer à la paix au lieu de nourrir le conflit des égos et la guerre permanente qui ravage la planète.
Nous avons tous, à tout instant, à refaire le choix d'Eve. La pilule rouge semble amère mais choisir la bleue, c'est courir à sa perte !
[1] La traduction française a édulcoré le titre qui est devenu « Les enfants du Verseau. »
[2] Etant psychologue social de formation, j’ai une idée précise des sectes que je ne crains pas du tout, sachant que nous sommes déjà dans la grande secte de l’individualisme hédoniste et consumériste bobo bien-pensant (nous c’est les gentils, eux c’est les méchants) dont les médias nous font la propagande depuis un siècle au moins.
[3] Vous savez à présent à quoi nous préparaient tous les beaux discours du « il faut accepter la différence » quand il est tellement évident que ce qui importe est de reconnaître les ressemblances.
[4] Sans doute est-il bon de préciser ici que je suis darwinien et qu’à mon sens, la théorie de l’évolution est une bonne description des voies que le Ciel emploie pour parvenir à ses fins. Autrement dit, concession à la pensée new age : je ne crois pas au hasard, mais alors pas du tout. Il n’est associé qu’à la version réductrice et désormais réfutée du darwinisme : le néo-darwinisme de la biologie moléculaire (cf. par exemple Le hasard et la nécessité de Jacques Monod).
[5] Il faut ici comprendre qu’Epictète s’identifie non à son corps mais à un système de valeurs qu’il a fait sien, qu’il incarne par ses actes et qui se trouve hors de portée de la violence de quiconque. Il a fait le choix conscient de l’intégrité de son être et sait que celle-ci dépend seulement de ses actes. Elle ne dépend pas des autres et, par conséquent, il ne risque rien : nul ne peut lui nuire.
[6] Everybody is looking for something.
[7] ou substitut de substitut, etc.
[8] Plutôt que l’accusation d’autrui