lundi 21 août 2017 - par Gabriel

La cour des miracles

   Rue montorgeuil au petit matin, une bise glaciale et lumineuse ondule son brouillard mélangé aux fumeroles vaporeuses des bouches dégouts éructant leurs relents. Une odeur capiteuse d’eau croupie et de pourriture flotte dans l’air. Dans cette partie du village surplombée par une église désertique, une petite vieille à la gueule défoncée tire un chariot bouffé par la rouille qui couine sa misère à chaque mètre effectué. Essoufflée, elle s'arrête devant la terrasse du café « Chez Maurice » où la faune matinale des paumés, alcoolos et autres chômeurs se donne rendez vous pour refaire le monde à coup de blanc casse. Elle a soif mémé mais, côté finance, elle est raide alors elle regarde les autres boire.

   Il y a là l'inénarrable René qui, le bide en tension sous son Marcel crade joliment coloré des reliefs du menu de la semaine, accuse le gouvernement, la presse et ces empaffés d'arabes qui viennent envahir nos campagnes avec leurs mosquées, de sa situation d'assisté. A ses côtés, les ongles noirs de Rachid, alcoolique en phase terminal, raclent le comptoir à la recherche des restes de cacahuètes salées abandonnées la veille au soir pour agrémenter son 51. Aujourd’hui, il demande un glaçon pour son apéro, René lui explique que c’est un cube d’eau, serait-ce un pas vers la guérison ? A chaque passage derrière le présentoir, le gérant vérifie que sa pétoire est bien en place près du tiroir caisse au cas où, un indélicat aurait l'incongruité d'en vouloir à son investissement.  

   Dans sa veste maculé de sang et son parfum de saucisson à l’ail, Bébert le charcutier, habitué au Picon bière dés matines, acquiesce très positivement aux conneries de René et pour cause, ils collent ensemble les affiches pour les municipales et n'hésitent pas à faire le coup de force si la faction adverse empiète sur, ce qu'ils estiment être, leur territoire. Pour eux le vin d’ici vaut mieux que l’eau de là. La bêtise n'a pas de camps, elle bascule d'un côté à l'autre, le principe même des vases communiquant.

   Dés l'ouverture, Mario cauchemarde devant un verre d'alcool. Peu importe la marque ou le contenu, pourvu que ça tape, que ça cogne mais surtout que ça efface de sa tête la Marianne qui a foutu le camp avec son ouvrier polonais. Depuis son entreprise, comme lui, boit la tasse et si les degrés frappent à ses tempes, les huissiers frappent à sa porte.

   Impossible d'oublier Philippe de Kervalec, écrivain raté qui se l'a joue Rimbaud et, faute d'absinthe, se torche au pastis en scribouillant ses délires sur des serviettes en papier. Entre deux verres, sa prose déclamée laisse ahurie les consommateurs du l’illustre établissement. Dans un coin, près du lieu d'aisance, Laura et sa copine se racontent les passes de la nuit. Le maquillage a coulé, il a du mal à cacher le mauvais traitement des années trottoir et, le visage des deux prostituées brille comme le formica crasseux de la table sur laquelle elles sont accoudées.  

   Un vieillard sans âge équivoque, ridé comme l'écorce d'un chêne centenaire, se perd dans la lecture d'un torchon quotidien à la rubrique nécrologie. Tel un limier près du but, il cherche des connaissances qui dans cette liste, nourriture inépuisable de la grande faucheuse, sont parties avant lui. Près d'une antiquité musicale à galettes de vinyle qui crachote en boucle les portes du pénitencier, trois ou quatre sans papiers sirotent un café. Dans quelques minutes, un fourgon passera les prendre et les déposera sur un chantier dirigé par un enfoiré qui, pataugeant lui même dans sa petite vie de merde, se fera une joie de maltraiter ces déracinés. Un punk, les doigts jaunis par le tabac et les dents pourries par une absence d'hygiène rédhibitoire, rote les deux œufs durs qu'il vient de gober prestement.

   En bout de console, ne pas oublier costard cravate bleu pétrole de chez Tadduni avec ses pompes à gland. Le philosophe socialo anarcho bobo droit de l'hommiste qui pérore sa science, ses conseils, ce qui serait bien, ce qu'il faudrait faire mais, qu'il ne fait pas parce que lui, c'est pas pareil. Le bonheur, à cet instant, serait qu'il ferme sa gueule pour faire des vacances aux patients de la noble institution venus en ce lieu panser leurs plaies dans le spiritueux.

   Et puis il y a l'idiot du village, le Fanfan, un pète au casque dès la naissance car sa mère shootée à l'héro, entre deux descentes, a éjecté bébé la tête la première sur le carrelage de la cuisine. Il est partie intégrante du décor, monte et descend les caisses de spiritueux de la cave et, sert de faire valoir au gérant de l'endroit dont le quotient intellectuel est à peine supérieur à celui du benêt qu'il exploite.

   Quenelle, le bâtard du patron, la truffe en l'air, la queue balayant en cadence les restes de sciure sur le carrelage jaune pisse, regarde d'un air dubitatif le genre humain venu s'échouer chaque matin dans le troquet de son maitre. Celui ci en passant près du tiroir caisse, balance son pied dans le cul du canidé déclenchant ainsi un rire tout en finesse chez les poivrots et un couinement de protestation tout naturel chez la bête.

   Dehors, au premier carrefour, une paire de pandores attend avec fébrilité le premier consommateur inconscient qui prendra sa voiture. Les rambos de l’asphalte planqués sous un filet couleur chiasse, trépignent d’impatience. Les guignols pourront bientôt fêter une victoire, une performance, celle d'avoir un candidat plus doué qu'eux à l'éthylotest. Le dernier en date leur avait pourtant expliqué que si l’alcool tuait sur les routes, ils avaient qu’à supprimer les routes !... 

 Dans cette cour des miracles aux âmes esquintées, chahutés d'un verre à l'autre, des survivants brouillons revoient leur copie sur le zinc déprimant d'un bar de nulle part. L'abreuvoir des regrets, le dernier rade des chagrins avant l'apocalypse. 



9 réactions


  • exocet exocet 21 août 2017 20:44

    « Dans la salle du bar-tabac de la rue des martyrs... »


  •   22 août 2017 10:20

    Salut Gabriel !

    On a l’impression d’être présent dans ce moment de vie qui se déroule dans ce texte qui nous enroule ... Bien sympa ce texte ! smiley

    Et au final se sera le Punk qui après avoir digéré sa prise de friponil se fera contrôler ou le chien qui à force de se prendre des coups sous les rires des clients finira par choper un mollet !  smiley


  • cevennevive cevennevive 22 août 2017 10:44

    Bonjour Gabriel,


    Très beau texte, mais aucunement susceptible de nous remonter le moral...

    Finalement, mon côté positif me souffle à l’oreille que, les bistrots de village n’existant plus, nous n’aurons pas de pareils spectacles, nous, exilés dans la France profonde !

    Les chiens perdus, les ivrognes, les malheureux, les asociaux de chez nous, boivent seuls dans leur coin et jettent leurs canettes dans les fossés. C’est peut-être mieux ainsi, car le spectacle de tous ces naufrages ne les réconforterait pas du tout.

    N’est-il pas vrai que « l’enfer c’est les autres » ?

    Pour ces malheureux, l’enfer ce sont les riches « pétés de tunes », les nantis qui ne savent pas comment dépenser leur argent, les condescendants, les donneurs de leçons.

    Pour nous, ce sont les dérives que cette société provoque, programmées par une poignée d’inconscients et d’orgueilleux que nous sommes obligés de supporter.

    Bien à vous.



    • Gabriel Gabriel 22 août 2017 11:35

      Bonjour cevennevive,


      Ce n’est pas si triste que ça, après tout c’est la vie. Maintenant, que la misère soit alimentée et grossisse par la faute des pilleurs de richesse condescendants et donneurs de leçons, c’est malheureusement vrai. Personnellement je préfère le navire qui s’échoue au salopard qui l’a coulé pour toucher l’assurance. Dans le premier, il y a une élégante véracité qu’il n’y aura jamais chez l’autre.

      Merci à vous.

  • Elliot Elliot 22 août 2017 12:33

    On lit rarement un texte d’une aussi belle facture littéraire sur Agoravox qui devient parfois également une autre cour des Miracles où des journalistes amateurs viennent nous assommer en rafale de leurs états d’âme acrimonieux que certains ne savent même pas exprimer en français correct. 

    Il y a des sujets qui reviennent comme des litanies où chacun pose son diagnostic qui est en général celui qui est le plus susceptible de leur valoir l’adhésion des lecteurs, ce qui n’est pas nécessairement toujours le cas tant parfois ce qui est excessif devient insignifiant . 

    En général ces pourfendeurs de moulins à vent, adeptes des généralisations rapides, poursuivent des objectifs peu en rapport avec l’humanisme.

    La grandeur de la démocratie ( et donc des modérateurs du site ) consiste à les laisser s’exprimer et leur bassesse à eux consiste à vouloir interdire toute parole qui ne va pas dans le sens de leurs préventions calculées.

    Vous avez choisi d’exprimer la vie, non pas sa grandeur ni ses triomphes, non pas les vainqueurs de la compétition mais les éclopés, ceux qui n’ont pas su ou pas pu s’insérer dans le moule et qui se trouvent pour certains les piètres excuses que leur servent à foison certains politiciens, premiers responsables de leur état de déréliction.

    Le misérable méprise volontiers plus misérable que lui.

    Qu’importe au fond si la scène de vie que vous dépeignez est un kaléidoscope concentrant des images recueillies dans différents sites de vie ou s’il est le reflet d’un seul estaminet, le récit sonne juste et appelle plutôt que le dégoût ou la répulsion la sympathie pour ces naufragés de la vie qui traînent tous une histoire misérable, qui ont succombé aux aléas d’une existence qui était pour la plupart d’entre eux inscrite de toute manière dès le départ sous de mauvais auspices.

    Un grand merci et mes félicitations. 


    • Gabriel Gabriel 22 août 2017 17:54

      @Elliot
      Ne sommes nous pas tous un peu des naufragés de la vie, des survivants ?
      Merci de votre temps et de vos appréciations.


  • Le421... Refuznik !! Le421 22 août 2017 18:54

    Manque la patronne du bar-tabac qui ne comprends pas pourquoi les jeunes ne veulent pas devenir millionnaires.
    Surtout que derrière son bar, les jeunes, corvéables à merci et payés une misère ne durent pas plus de trois mois.
    Les plus anciens qui s’y risquent, une semaine et hop !! On se casse...

    C’est comme ça en campagne, du côté de Sarlat.

    Pas mieux.
    Juste des apparences...


    • Gabriel Gabriel 22 août 2017 19:10

      @Le421
      Dur dur la vie ne fait pas de cadeaux, de la rusticité des campagnes à la folie des villes, elle broie les êtres qui se concurrencent entre eux. Merci de votre temps de lecture.


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