samedi 19 juin 2010 - par Disjecta

La faillite des élites

L’Europe s’engage dans une austérité généralisée, tout sauf propice à résorber la crise issue des milieux financiers. Qu’est-ce qui conduit nos « élites » à se fourvoyer aussi pitoyablement ?

Bien plus que l’épouvantail protectionniste, ce sont les politiques à courte vue d’austérité des années 30 qui ont conduit le monde à une paupérisation toujours plus profonde et propice aux rancoeurs les plus simplistes. On sait ce qu’il en a résulté en Europe : nationalisme, conservatisme, xénophobie, massacres en masse.
Est-ce si loin dans l’histoire pour que l’on ne soit plus en mesure de constater que l’on se dirige tout droit dans le même gouffre ? Faut-il que nos "élites" fussent de si francs ahuris pour rééditer les mêmes erreurs qui ont conduit à la barbarie suprême ?
 
Il y a quelque chose de tragiquement fascinant de relever chaque jour dans le Figaro ou dans le Monde (sans que ces titres n’invitent à un tel niveau de réflexion) la manière avec laquelle ceux que l’on considère hâtivement comme la frange intellectuelle la plus haute nous conduisent inexorablement au désastre. Qu’est-ce qui empêche ces êtres, pourtant éduqués dans les supposées "meilleures écoles", à s’avérer à même de comprendre que le mécanisme d’austérité dans lequel ils engagent nos sociétés n’a, en toute rigueur, aucune valeur scientifique, tant d’un point de vue historique qu’économique ?
Coupes dans les salaires, dans les retraites, dans les indemnités chômage, mise en charpie générale du matelas social dont les vertus contracycliques sont à la portée de n’importe quel élève de terminal ES : alors qu’un temps (certes très court, avant que les cerveaux de nos éditocrates retrouvent leur général état de bouillie intellectuelle) on vit certains médias parmi les plus libéraux relever que le modèle social français s’avérait beaucoup plus efficace pour parer les effets les plus dramatiques d’une crise économique, il n’est plus aucune rédaction (ou presque) qui n’appelle pas à la nécessité de se serrer la ceinture, de sacrifier les acquis archaïques d’une époque illuminée où le partage des richesses ne relevait pas de la franche tartuferie. Un langage que l’on croyait condamné après le choc de l’automne 2008, dont tout le monde semblait s’être subitement désolidarisé, et qui revient plus sûr de lui et arrogant.
 
"On vit plus longtemps donc il faut travailler plus longtemps." Les "grands esprits" qui balancent ce type de truismes sont-ils au courant que toute l’histoire de l’humanité va dans le sens contraire, ont-ils même une idée du concept de "gains de productivité", qui supposent justement qu’à temps égal les richesses produites sont bien plus importantes et porteuses de progrès social, si tant est qu’elles fassent l’objet d’une juste redistribution ? Visiblement non. Ou bien cela confine à la bêtise la plus incurable, ou bien - et plus sûrement - il s’agit là d’entériner et d’approfondir la cupidité d’une classe minuscule de rentiers et de parasites, aux dépens de l’immense majorité.
 
Fondamentalement, pourquoi la France ne semble aujourd’hui avoir à sa tête que des illuminés, gavés des litanies de l’ultra-libéralisme et incapables (ou bien ce sont des cyniques) de la moindre prise de distance ? Lagarde, Woerth, Bertrand, Strauss-Kahn, Sarkozy (et tant d’autres) : qui pour sauver l’autre ? Qui pour prouver que l’éducation supérieure qu’ils sont supposés avoir reçue ne relève pas seulement du mythe auto-entretenu ?
 
En vérité la remise en cause est profonde. Si l’on creuse suffisamment, on constate qu’il s’agit aussi d’interroger les critères d’élection qui ont mené à une telle faillite, si évidente, de nos élites (mais est-elle franchement nouvelle ?). Qui avantage-t-on le plus ? Celui qui sait apprendre, réciter, maîtriser les éléments de méthodologie les plus porteurs dans une copie d’examen. L’esprit sûr de lui, confiant dans les formes qu’on lui a enseignées pour présenter ses "idées", parfaitement au fait des ficelles qui font gagner des points dans les concours. Une hexis sans cesse poussée à intérioriser sa perfection sans en interroger l’artificialité. Mais au-delà de cette culture de vernis - de cette culture utilitariste - que reste-t-il pour le doute, pour la remise en cause ? Comment un tel être peut-il comprendre qu’à vingt ans, on a tout juste les bases pour repérer les discours les plus biaisés et faux, qu’il reste tout à apprendre et que jusqu’au bout ses idées les plus ancrées doivent être interrogées ? Faut-il être surpris dès lors que, alors que la théorie libérale a montré empiriquement sa faillite absolue (et pas qu’une fois), l’on ait encore autant de fous furieux, à la tête des plus hautes institutions nationales et européennes, pour nous seriner le même pitoyable message qui, moins d’un siècle auparavant, conduisait l’humanité entière à l’une de ses faillites les plus effroyables.


7 réactions


  • PhilVite PhilVite 19 juin 2010 14:18

    Il ne s’agit pas d’une faillite, mais d’une trahison.
    Ces gens jouent pour leur camp, et ils jouent très bien. Seulement, leur camp n’est pas le nôtre !

    C’est une grave erreur de considérer qu’ils sont incompétents.
    Au contraires sont très compétents pour servir leurs intérêts et ceux des maîtres du monde dont ils lèchent les pieds avec gourmandise.


    • Agor&Acri Agor&Acri 19 juin 2010 16:58

      « Il ne s’agit pas d’une faillite, mais d’une trahison ».

      Vrai mais peut-être faux en dernier ressort.

      Vrai si on parle du cirque politique et médiatique  : fausses oppositions, fausses polémiques, mensonges, dissimulations, complicités, compromissions, propagande = c’est une véritable trahison des « élites » qui conduit à la privatisation du Monde au profit d’une minorité.

      Faux si on envisage les choses sous l’angle d’un plan de longue haleine, conduit par un cercle très restreint d’élites consanguines : les politiques n’ont plus alors que des intermédiaires ponctuels, manipulables parce qu’ils raisonnent sur l’échelle de la durée de leurs mandats et de leur fortune personnelle.
      Chacun, intervenant alors sur un tronçon de l’histoire court ou moyen terme, ne percevrait pas clairement le fil rouge long terme dont il se rend complice à son insu.
      Dans cette hypothèse là, il y a faillite des élites...et la trahison, d’une certaine manière, devient secondaire.

      Dans tous les cas, la seule issue pour reprendre la main sur l’ordre mondial consiste à éveiller la conscience du plus grand nombre pour ensuite former un front de résistance irréductible.

      Destituer les élus, instaurer de nouvelles lois, rendre à nouveau criminel ce que les lobbies de la finance ont rendu légal.


    • Agor&Acri Agor&Acri 19 juin 2010 17:26

      lire : « les politiques ne sont plus alors » au lieu de « les politiques n’ont plus alors »


  • joelim joelim 19 juin 2010 14:31

    Le problème c’est que les politiques se sont au fil du temps octroyé tant d’avantages (financiers, retraite...) que çà paye plus de faire çà que quoique ce soit d’autre.

    On récupère donc pour élus la lie de la société : les gens les plus avides de fric, de montres de luxe ou de chaussures rares, les plus menteurs, les plus bonimenteurs, et les plus paresseux aussi : contrairement au salarié ils n’ont pas de patron, et contrairement au patron ils n’ont pas d’actionnaires. Ils ont seulement à persuader les entubés / électeurs moutons avant les élections, et à désinformer sur leurs concurrents qui, s’ils sont intègres, n’ont presque aucune chance. 

    Facile de persuader les électeurs, il suffit de dire n’importe quoi, même quand ce n’est pas convainquant çà passe. Comme Boutin et son rapport qui coûte si cher tellement que le sujet il est important smiley smiley . Comme ce Woerth pris la main dans le pot de confiture mais que ce n’est pô grave vu que le consensus merdiatique n’y voit rien que de très humain...

    En effet ce qui compte, c’est que les médias n’insistent pas sur les failles réelles. Il y a tant à faire à édulcorer la réalité ! Présenter les vagues intentions forcément bonnes en oubliant que des intentions similaires n’ont pas été concrétisées 6 mois avant est un art consommé dans lequel les désinformateurs patentés excellent !...

    Pour avoir çà aussi c’est facile, il suffit d’être copain avec les barons de la presse. Pour ceux qui renâclent il suffit de les subventionner sous prétexte de crise de la presse, et hop.

    Voilà comment une démocratie est détournée vite fait bien fait. smiley smiley

    • perlseb 19 juin 2010 18:17

      s’ils sont intègres, n’ont presque aucune chance.

      Effectivement. La démocratie, c’est le peuple qui gouverne. Ceux qui veulent le pouvoir ne sont pas des démocrates mais des dictateurs. Concentré le pouvoir (par représentation au niveau de l’état ou par possession des capitaux dans les entreprises) c’est sélectionner naturellement les personnes dépourvues d’empathie qui ne recherchent que leur profit personnel. Ceux qui sont intègres sont désintéressés. Mais quand on est désintéressé, on ne se présente pas.

      Vive la démocratie directe, supprimons toutes les hiérarchies qui n’ont pas leur place dans un système démocratique.

      Les élites n’ont leur place que dans le monde du travail, pas dans la direction qui est un abus de pouvoir. Tant que le système autorisera la concentration du pouvoir, il agira contre l’intérêt du plus grand nombre. Pouvoir choisir une crapule intéressée parmi d’autres est une liberté bien fade.


  • xray 19 juin 2010 20:51


    Le piège européen :
    Le piège est fermé définitivement. Il ne s’ouvrira plus. 

    Dès l’instant où l’on a parlé de construire l’Europe, on pouvait observer que les plus acharnés à « construire cette Europe »  étaient les plus incompétents en tous domaines. On aurait dû se méfier. 

    Par sa disparité d’intérêts nationaux,  l’Europe est ingérable. 
    On peut même affirmer inconstructible. 
    Les hauts fonctionnaires le savent très bien mais ils gagnent à se taire. 
    Pour ceux qui détiennent le pouvoir, la seule échappatoire est de pourrir la vie du plus grand nombre
    On peut compter sur les élus européens pour s’y employer. 

    Pour « sauver » financièrement  les pays comme la Grèce, nos « élus » ont créé un fonts spécial de 750 milliard d’euros.  Voila un pactole qui devrait donner des idées à certains. Vive la croissance ! Vive l’Europe ! 

    L’EUROPE des CURÉS 
    http://mondehypocrite.midiblogs.com 

    Le Grand Guignol politique 
    http://n-importelequelqu-onenfinisse.hautetfort.com/ 

    Le bourbier européen 
    http://n-importelequelqu-onenfinisse.hautetfort.com/archive/2009/05/09/le-bourbier-europeen.html 



  • Nicolas 19 juin 2010 22:53

    Franchement, un peu court et archi rebattu.


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