mercredi 3 juin 2015 - par J.MAY

La fête des Républicains contée par madame de Sévigné

     Je vous écris, ma bonne amie, parce que je veux vous conter les magnifiques moments que nous vécûmes ce tantôt. Je n’avais jamais vu de fête républicaine. C’est une assez belle chose. Je ne crois pas qu’il y en existe qui aient un plus grand air que celles-ci. Ce fut une grande joie de m'y retrouver.

Notre bon et noble Prince nous avait priés, par pressantes ordonnances et fortes injonctions, de nous réunir avec lui pour célébrer, en une sorte de fête fédérative, l'avènement d'une République dont il promet de devenir le monarque éclairé.

 Il ne s'agit point là, comme vous pourriez le craindre, de cette vile République instaurée chez nos voisins Anglais par l'infâme Cromwell en l'an récent de 1649, mais d'une République voisine de celle que connut la Rome antique lorsque de nobles patriciens, auxquels il me plait de comparer notre grande et belle famille, chassèrent le roitelet qui s'obstinait à les gouverner en parfaite médiocrité.

 Nous mangeâmes sobrement ou petitement, et nos hommes ne burent point force pipes de vin, car nos finances hélas fortement amoindries par une sombre affaire, ne nous permettent plus les grandes mangeries de jadis. Les écus n'abondent plus dans le trésor de notre parti, nous n'avons plus un sou, et ceci me cause grand souci.

Nous nous consolâmes de notre disette, en nous répétant que la bonne chère est excessive, et qu'un petit carême est toujours bénéfique, même s'il n'est point pratiqué à la manière des Mahométans honnis.

 On vit ici tous ceux qui vinrent en foule pour applaudir le Prince et lui témoigner leurs féales affections.

Au hasard de mes rencontres dans les allées, j'embrassai madame de Pécresse, mais point la Morano et la Dati, qui sont dames de moindre lignage, et plutôt même de roture ordinaire.

Je fis mine d'ignorer la prétentieuse Mme de Morizet, toujours égale en ses minauderies, affèteries et mignardises.

Notre Prince s'apprêterait, dit-on, à la licencier pour l'excès de ses sempiternelles remontrances, dans le même temps qu'il règlerait le sort de monsieur De Wauquiez, qu'il trouverait trop aiguisé en ses ambitions.

Monsieur de Wauquiez se serait jeté aux pieds de notre bon Prince, affirmant qu'il obéirait à tout ce qu'on lui ordonnerait. "Je vous ferai faire honneur de vos beaux sentiments de grande servitude et d'extrême loyauté à ma manière", lui aurait fait savoir notre Prince.

 Je n'aperçus point monsieur De Copé, qui jadis tenait le crachoir à sa manière, c'est-à-dire d'abondante et de vulgaire façon. Je m'en étonnai. On prétend qu'il fut de la fête. Il se dit dans les salons qu'il pleure et sanglote isolément. Je n'en suis point attristée, car ce personnage n'était pas de mes fréquentations.

  Monsieur de Fillon, qui tint le gouvernement de la France par la grâce de notre bon Prince, fut accueilli par sifflets et huées. Il s'évertua vainement à clamer qu’il était très innocent à l’égard du Prince, et que son seul crime était d’avoir des ennemis jaloux de sa gloire.

Notre Prince le flatta, mais les propos sibyllins qu'il tint à son égard signifièrent assez la qualité du crime qu'il lui reprochait. Je fus ce celles et ceux qui n'ont point grand' pitié de sa disgrâce, qui pour être extrême, n'en n'est pas moins justifiée.

 Monsieur le duc de Bordeaux fut également copieusement hué et sifflé. Je trouve pour ma part que son crime est moindre, car il réside uniquement en la prétention d'accéder au trône par saine compétition lors des États qui se tiendront en la circonstance.

Mais le parti des dévots, je parle ici, cela va de soi, de dévotion au Prince et non de dévotion religieuse, ne l'entend pas ainsi, et conspire déjà pour réduire les ambitions de monsieur De Juppé à de plus modestes proportions.

 Enfin, je vous dirai, ma bonne amie, qu'un autre prétendant fit montre, tout au long de cette grande journée républicaine, d'une grande agilité verbale, gestuelle et manœuvrière.

Il s'agit, vous l'aurez deviné, du monsieur Le Maire, qui peut se prévaloir de quelques quartiers de noblesse par la grâce de sa mère, née Fradin de Belâbre. Notre bouillant quadragénaire, donc, tout auréolé des suffrages obtenus lors d'une récente joute avec notre Prince, s'est distingué par l'usage d'une subtilité langagière adverbiale. Sommé de dire si la foule était bien rassemblée derrière le Prince, il se permit insolemment de déclarer qu'elle l'était seulement "autour", évitant tout de même d'employer d'autres termes plus irrespectueux tels que "ailleurs" ou "nulle part".

 Voilà, ma bonne amie, les dernières nouvelles de la Cour que je tenais à vous rapporter, en espérant pouvoir très bientôt vous en donner d'autres, aussi enthousiasmantes et réjouissantes que celles-ci.



6 réactions


  • Miona Miona 3 juin 2015 17:38

    La cour et l’arrière-cour smiley
     
    Leur devise quand ils s’adressent au bas-peuple : Mentir ! Mentir ! Mentir !
     


  • Elliot Elliot 3 juin 2015 19:03

    Non seulement on sent que Jean Mairoboda s’est diverti à écrire ce pastiche, ce qui me réjouit, mais en plus ce qu’il nous donne à lire est agréable et bien tourné pour notre avantage de lecteurs ravis.

    Et un portrait au vitriol de quelques fâcheux qui empuantissent l’atmosphère républicaine en abîmant ses symboles ne peut qu’être applaudi des deux mains.

    Bon, on ne va pas mégoter, il y a bien comme un sentiment de manque, par exemple Estrosi et Morano échappent à sa plume acérée, mais, pour être exhaustif, il eût alors fallu écrire une encyclopédie de la sottise, de la corruption et de l’incompétence en politique.
    Bravo, l’ami... 


    • J.MAY MAIBORODA 3 juin 2015 19:58

      @Elliot


      ..... Et ce m’est toujours grand plaisir de retrouver, de-ci, de- la, l’ami Elliot, dont le maniement de la langue française se différencie tant de l’usage ordinaire qui en est fait dans les forums, surtout par ceux qui se prévalent d’un enracinement séculaire dans le terroir.

    • Elliot Elliot 4 juin 2015 00:54

      @MAIBORODA

      C’est un plaisir partagé de se retrouver.

      Mais enfin, l’ami ! excusez mon insistance : bien que de fort basse extraction, la plus basse qui se pût imaginer, la Morano, harengère de son état, fut admise à la cour par la volonté du Prince qui n’aime rien tant que s’encanailler.
      Elle aurait mérité comme une forme de reconnaissance consolatrice que votre plume acérée lui chatouillât la croupe bien délaissée à ce que la rumeur publique laisse entendre.


  • Philippe VINSONNEAU Philippe VINSONNEAU 3 juin 2015 19:19

    on ne licencie pas une madame de Morizet, on la répudie....


    • J.MAY MAIBORODA 3 juin 2015 20:19

      @Philippe VINSONNEAU


      Exact et pertinent.
      Mais je n’ai pas trouvé mieux , car le terme « répudier » aurait apporté une connotation dont eût pu s’offusquer l’épouse du Prince.
      J’aurais pu, s’agissant de la Morano, rappeler que dans les armées de Louis XIV qui guerroyaient contre les Hollandais, les femmes étaient présentes.
      Certaines étaient « hautes en couleur », comme icelle.
      Je pense - grâce à vous - corriger en ce sens la lettre de madame de Sévigné reproduite sur mon blog

Réagir