vendredi 28 mars 2014 - par AntoDiallo

La Françafrique n’existe-t-elle plus ?

Peu après son arrivée à l'Elysée, François Hollande a annoncé la fin de la "Françafrique" pour mettre un terme aux réseaux d'influence souvent corrompus qui se sont établis entre ces pays. Deux ans plus tard, cette Françafrique n'existe-t-elle réellement plus ? Deux spécialistes du continent, le journaliste Antoine Glazer et l'homme d'affaires Jean-Yves Ollivier donnent leur avis sur la question.

Alors que l'Afrique vit actuellement son "grand réveil", comme l'a titré l'hebdomadaire Le Point la semaine dernière, la France semble toujours tergiverser dans son rapport avec le continent. En effet, des affaires politico-financières font toujours régulièrement leur apparition, rappelant l’époque de la « Françafrique », ces relations incestueuses entres politiques et hommes d’affaires de ces deux régions aux frontières de la légalité (voir parfois clairement dans l’illégalité). Ainsi, aujourd’hui, le président malien Ibrahim Boubacar Keita s’est retrouvé mis en cause dans une enquête visant l'homme d'affaires corse Michel Tomi, 66 ans, à la tête d'un empire industriel en Afrique.

La Françafrique, à laquelle François Hollande estime avoir mis fin, existe-t-elle toujours ? Quelles sont les conséquences pour les relations franco-africaines ? « Si la France est en train de perdre pied en Afrique, l’image désastreuse de la « Françafrique » n’y est pas étrangère. Cette situation pénalise aujourd’hui aux quatre coins du continent les acteurs économiques et diplomatiques condamnés à porter malgré eux ce lourd héritage. » explique Jean-Yves Ollivier, fin connaisseur des affaires du continent, connu notamment grâce au documentaire « Plot for peace » ayant dévoilé le rôle majeur qu’il avait joué lors de la libération de Nelson Mandela. Pour cet ancien trader en grains ayant été plusieurs accusé de naviguer en eaux troubles, ces réseaux font toujours du tort à la France : « les hommes de la « Françafrique » ne sont justement pas, pour la plupart d’entre eux, des hommes d’affaires. Simples commissionnaires (réels ou inventés), ils ne contribuent pas au développement économique de l’Afrique mais bénéficient en réalité de leurs médiations pour gagner de l’argent facile »

Il convient tout de même de préciser que la Françafrique ne doit pas occulter les proches relations nouées entre la France et le continent africain et leurs spécificités. « Dans les relations France-Afrique, les organigrammes officiels ne sont pas systématiquement les meilleurs moyens d’obtenir des résultats et de faire avancer des discussions politiques ou économiques, ce qui explique et justifie qu’au-delà des exigences protocolaires, des relations de confiance se nouent d’hommes à hommes. » explique Jean-Yves Ollivier, en se basant notamment sur sa propre expérience. En effet, grâce à ses relations personnelles avec des hauts responsables en Angola, au Mozambique et en Afrique du Sud, il est parvenu en 1988 à initier une rencontre secrète entre ministres des trois gouvernements, préambule aux accords de Brazzaville ouvrant la voie à la paix en Afrique australe.

Les relations entre la France et l’Afrique sont beaucoup plus complexes et ne sauraient se résumer à de l’affairisme. Même le terme « Françafrique » ne doit pas être vu d’un côté uniquement négatif comme l’explique Antoine Glaser, journaliste, écrivain et spécialiste de l'Afrique. « Il y a deux Françafrique. La première est celle de la Guerre froide, une époque où certains dirigeants, comme le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, croyaient vraiment en une communauté de destins entre la France et l'Afrique. La deuxième est de l'après-guerre froide qui celle des relations plus ou moins incestueuses et personnelles entre des dirigeants français et des dirigeants africains. »

Si François Hollande essaye de mettre un terme à cet aspect négatif des relations franco-africaines, c’est aussi parce qu’il y a une nouvelle donne liée à l’essor des pays africains et à leur rôle nouveau dans les affaires internationales. Tous les pays émergents cherchent maintenant à entretenir des relations plus étroites avec l’Afrique. On parle souvent de la Chine, du Brésil et de l'Inde, mais il faut aussi compter avec la Turquie, l'Iran et la Corée du Sud. Désormais, Paris fait jeu égal au Cameroun et en Côte d'Ivoire avec la Chine qui représente désormais 17 % des échanges commerciaux de ces deux pays. Entre 2000 et 2011, les parts de marché de la France en Afrique se sont effondrées, passant de 10 % à 4,7 %, selon Hubert Védrine.

D’après Antoine Glaser, cette nouvelle donne économique transforme radicalement les relations entre la France et le continent africain. Le journaliste estime même que la Françafrique a laissé la place à l’ « AfricaFrance ». « Les rapports se sont inversés. Depuis la fin de la guerre froide, l'Afrique s'est mondialisée alors que la France s'est appauvri et n'a plus d'argent pour son aide au développement. Les chefs d'État africains ont le monde entier dans leur salle d'attente et ce n'est pas sans condescendance qu'ils parlent maintenant à la France. » Pour Paris, l’honneur est sauf car « les Africains aiment bien faire croire à la France qu'elle contrôle tout ».

Il semblerait donc que la Françafrique tant vilipendée ait évolué et que les rapports de force se sont inversés. L’essor de l’Afrique rend les dirigeants du continent bien moins dépendants de l’Hexagone que par le passé, pouvant maintenant faire jouer les concurrences entre puissances. La chance de la France est de pouvoir compter sur des liens historiques mais il semble impératif de faire évoluer les discours afin de traiter d’égal à égal avec les dirigeants africains. La Francophonie, par exemple, pourrait être utilisée afin d’établir une communauté commune de destins mais nos politiques ont-ils cette vision de long terme ?

 



6 réactions


  • César Castique César Castique 28 mars 2014 16:16

    « Alors que l’Afrique vit actuellement son »grand réveil« , comme l’a titré l’hebdomadaire Le Point... »


    Vous y croyez, vous ? Savez-vous que ses capacités de production électrique sont au niveau de celles de l’Allemagne, que deux pays (l’Egypte et l’Afrique du Sud) en produisent les deux tiers, et que le reste du continent (900 millions d’habitants) dispose d’une quantité d’électricité égale à celle de la Belgique, de la Suisse et de l’Autriche réunies ?

  • leypanou 28 mars 2014 16:17

    J’ai bien aimé ce passage : « ce n’est pas sans condescendance qu’ils parlent maintenant à la France. »

    Pour un spécialiste de l’Afrique, cela doit faire sourire plus d’un. C’est vrai, B Keita, A Ouattara ou A Bongo, pour ne citer que ces trois-là, parlent à la France avec condescendance.

    C’est vrai qu’A Glaser est régulièrement invité sur les plateaux de télévision pour parler de l’Afrique : avec çà, les Français sont bien informés.


  • Yohan Yohan 28 mars 2014 17:25

    Elle a été remplacée par l’Afriq’France, il suffit de se ballader dans les rues de la capitale...


    • César Castique César Castique 28 mars 2014 17:46

      « Elle a été remplacée par l’Afriq’France, il suffit de se ballader dans les rues de la capitale... »


      Si vous avez remarquez ça, c’est que vous êtes profondément raciste. 

      On devrait pouvoir vous condamner à un cours de blind-color, qu’un type définit comme «  le refus de voir la couleur, l’origine, voire la religion, alors même qu’elles sont visibles  » et il précise que c« est « une ascèse à construire. »

      Et avant que vous ne vous mettiez à rire bêtement, je vous signale qu’il s’appelle François Héran, et que sa biographie précise :

      — qu’en juillet 2008, il a été élu président de la European association for population studies (EAPS). 

      — que depuis avril 2010, il préside le Conseil d’orientation scientifique et pédagogique du pôle 
      universitaire « Sorbonne Paris Cité ». 
       
      — qu’il enseigne actuellement à Sciences-Po, à l’École des hautes études en sciences sociales et à l’Université de Lund (Suède). 
       
      — et qu’il est chevalier dans l’Ordre national du mérite, 
      - lauréat de la Fondation Zellidja 
      - et lauréat du prix Descartes-Huygens 2010. 

      Ça en jette, non ?


  • claude-michel claude-michel 29 mars 2014 08:17

    Les dictateurs de l’Afrique vendent ce continent aux plus offrants...la France est un des nombreux pays acheteur...rien de plus mais plus con que les autres pour y envoyer des soldats se faire tuer pour les grands patrons d’industries (délocalisées en Asie)... ?


  • Emmanuel Aguéra Emmanuel Aguéra 29 mars 2014 14:42

    On pourait dire que le racisme ambiant est l’écran de fumée de notre consommation d’électricité... Passons-nous d’uranium et on pourra discuter de pays à pays. D’ci là, des médicaments dans une main, des armes dans l’autre, nous distribuons sur la table des sacs de riz pour fermer leur gueules aux affamés et sous la table les « aides au développement » qui a alimentent les comptes genevois des affameurs qui portent notre chapeau. Nous fabriquons inexorablement dans une confortable ignorance générale d’abord l’immigration puis les communautarismes dont nous nous plaignons (voir commentaires ci-dessus), ce qui nous permets donc d’allumer notre ordi sans tnous poser de questions gënantes.
    http://www.arte.tv/guide/fr/042110-000/l-aide-au-developpement


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