mardi 13 décembre 2016 - par Paul ORIOL

La gauche de la désespérance

La situation n’est pas désespérée, elle est désespérante. Quand on voit la gauche désorientée, dispersée, à quelques mois des élections présidentielle et législatives de 2017. Ce serait risible s’il ne s’agissait que des perspectives électorales. Mais il s’agit de beaucoup plus grave.

 

Depuis plus de trente ans, la gauche gouvernementale n’a rien à offrir aux couches populaires, aucune perspective de changement, elle nie la réalité, a abandonné ses principes et l’utopie. Elle s’est convertie à l’idéologie dominante.

Malheureusement, cela ne touche pas que la gauche française.

 

Depuis des années, loin d’une réflexion concrète sur une situation concrète, une bonne partie de la gauche et de l’extrême gauche française s’est attachée à des mythes mortifères. Elle n’a cessé de proclamer, « il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun » mais a brandi, simultanément ou successivement, suivant ses multiples chapelles, les portraits de Lénine, Staline, Mao, Castro, Guevara ou de tel éphémère dictateur, de gauche bien sûr.

Ces mythes se sont effondrés l’un après l’autre.

 

Tous les pays dits communistes ont évolué vers des régimes autoritaires avec le soutien des partis frères dans les pays démocratiques dont le PCF.
Les socialistes, de la SFIO au PS, et les gouvernements socialistes ont soutenu et soutiennent, jusqu’à l’acharnement, le colonialisme et le néocolonialisme français et ont évolué, après les autres partis socialistes ou social-démocrates, vers le libéralisme.


Aujourd’hui, se dire communiste ou socialiste est, plutôt, un handicap, un repoussoir, ces mots rappellent un passé négatif, douloureux et ne donne pas une image d’avenir, d’espoir, d’utopie.

 

 

La gauche de la désespérance

La gauche a longtemps dénigré les libertés bourgeoises, formelles, dont s’est emparée la droite qui, sans l’égalité, sans la solidarité, l’a promue, en France et dans le monde, en liberté de l’entreprise, liberté d’enrichissement, liberté du marché, liberté de circulation des marchandises et des capitaux ce qui a finalement abouti au libéralisme financier.

 

La Révolution de 1789 et la laïcité de 1905 avaient réduit les contraintes au niveau politique et religieux, et permis une démocratie, imparfaite certes. La faiblesse de la gauche nationale et internationale a ouvert la voie aux contraintes du marché dans tous les secteurs de la vie : la politique, sommes consacrées aux élections, groupes de pression, conflits d’intérêt ; la production avec l’alignement sur le moins disant social ; la consommation conditionnée par la publicité ; la santé et le programme de François Fillon sur la sécurité sociale et les assurances privées annonce la prochaine étape… Sans empêcher le retour du religieux.

Ce libéralisme déchaîné se traduit par une augmentation des inégalités de revenus. Ici et ailleurs.

 

La droite extrême, conduite par des nostalgiques de l’Algérie française et de l’Empire, suivie par d’autres, s’est emparée de la lutte pour l’égalité pour tous et en fait une revendication discriminante. Suscitant des divisions et oppositions dans la population, en fonction de la nationalité, de la couleur de la peau, de la religion, au profit de ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique. Le patronat, les propriétaires du Cac 40 (1) comme l’argent, n’ont pas de couleur. Dévoyant la lutte des classes en lutte des races. Emportant, par la même occasion, la fraternité et la solidarité réservées, en paroles, aux seuls Français conformes à leur vision, aux seuls Français qui leur ressemblent… tout en les restreignant beaucoup dans la pratique : chasse aux abus sociaux, aux faux chômeurs, aux faux malades...

Cette façon de donner une dignité aux personnes des classes sociales défavorisées en désignant d’autres plus défavorisés, non comme d’égales victimes mais comme des responsables, ne peut que sauvegarder l’impunité des vrais coupables. C'est seulement par la revendication et l'application de l’égalité pour tous que pourra se construire le vivre ensemble et une société nouvelle.

 

Incapable de contrer l’inégalitarisme triomphant, la gauche de gouvernement a abandonné les couches les plus défavorisées.


Croyant les populations d’origine immigrée définitivement acquises devant la politique et les déclarations outrancières de la droite extrême, la gauche de gouvernement a oublié que des Français - quelquefois de moins fraîche date que d’anciens président de la République ou Premiers ministres aux mots malheureux… - pouvaient être touchés par des déclarations, proches de celles de la droite, et stigmatisés par certaines mesures : contrôles au faciès, proposition d’inscrire dans la Constitution la déchéance de la nationalité… (2)

Au delà, la gauche n’a pas assuré l’égal accès de tous à l’école, à l’emploi, l’égalité entre femmes et hommes, notamment au niveau des salaires ou de l’emploi...

 

La gauche a voulu remplacer la lutte pour l’égalité sociale par la lutte pour l’égalité sociétale, vers une plus grande liberté des individus. Elle ne s’adressait pas à la même population. Certaines de ces mesures - reconnaissance de la diversité d’orientation sexuelle, accès de tous au mariage et à l'adoption… - heurtait profondément de larges pans des classes sociales défavorisées ou non. Elle a cru qu’elle pouvait s’en tirer en parlant simplement, et avec mépris, de « catholiques zombies ». Alors qu’il aurait fallu une importante campagne d’explication et incorporer le mariage pour tous à une vision générale de libération individuelle et collective.

De même, il n’est pas possible, quand on se bat pour l’égalité pour tous, de se « contenter » d’avancer, d’appuyer de justes revendications en laissant le champ libre à la droite et à l’extrême droite qui défendent une égalité discriminante. La gauche qui défend des causes justes, égalité Français-immigrés, lutte contre les actes raciste, défense de la laïcité, ne sait pas s’adresser à tous pour faire comprendre qu’il s’agit d’un intérêt commun. Elle n’a que des réponses défensives face à ceux qui essayaient de monter les uns contre les autres, au bénéfice de leur ennemi commun. Elle ne sait pas montrer que la discrimination ne sert qu’à hiérarchiser les défavorisés pour engager une partie de la population dans l’exploitation de plus faibles. Elle ne sait jouer que de la culpabilité des blancs, racistes et colonialistes, là où il faudrait les convaincre par le cœur et faire naître l’enthousiasme pour une lutte collective, unitaire contre ceux qui tirent les bénéfices de ces divisions.

Car le peuple résiste au racisme que certains politiques distillent quotidiennement. Malgré plus de 20 ans de déclarations de « voix autorisées » contre les personnes immigrées, depuis 1999, autour de 50 % des sondés est favorable au droit de vote des résidents étrangers non communautaires aux élections municipales et européennes ; la Commission nationale de défense des droits de l’homme a constaté récemment que, malgré les attentats, les Français sont plus tolérants ; lorsque l’État répartit les réfugiés du Proche-Orient dans différentes communes de l’hexagone, ils sont plutôt bien accueillis s’il n’existe pas de cabale d’extrême droite pour prêcher l’intolérance et le rejet...

Il ne faut pas renforcer la division, l’intolérance, la discrimination instillée par la droite et l’extrême droite par le mépris et la culpabilisation de tous ceux qu’elles trompent mais faire appel à la justice, à la générosité, au cœur des gens pour promouvoir une unité populaire qui ne peut qu’être bénéfique à tous.

C’est la politique suivie depuis des dizaines d’années qu’il faut combattre, cette politique qui, dans un pays plus riche que jamais, voit augmenter, chaque jour, le nombre de pauvres et même de travailleurs pauvres !

 

La liberté sans l’égalité des droits pour tous, c’est la jungle. C’est la loi du plus fort. C’est ce qui se passe sous nos yeux : des riches de plus en plus riches, des pauvres de plus en plus nombreux. Liberté et égalité pour tous est la seule façon de construire, ensemble, la société de demain.

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1 - La rémunération moyenne totale des présidents exécutifs du Cac40 a ainsi connu une «  inflation historique  » de 18 % en 2015, pour atteindre 5 millions d’euros.

2 les lois sur l’attribution, l’acquisition ou la déchéance de la nationalité n’ont jamais été, en France, des lois constitutionnelles !



11 réactions


  • Victor 13 décembre 2016 10:27

    Au contraire, la gogoche a réussi.
     
    Sans identité, plus de solidarité, fin du contrat social, elle a achevé sa tâche.


  • Alpo47 Alpo47 13 décembre 2016 10:53

    Si être de gauche, c’est vouloir une société solidaire, plus « égalitaire », humaine ... le PS n’est plus de gauche depuis longtemps. Hollande-Valls and Co ne sont que la dernière incarnation de cette évolution aux « forces du marché ».
    La poudre aux yeux de quelques évolutions sociétales nous cache l’absence de toute vraie réforme de société qui profite aux 99%. Notamment dans le domaine économique.
    Quand aux vraies causes de l’anémie économique et de la paupérisation de la société, il faut les chercher vers les 60/70 milliards d’évasion fiscale chaque année, notamment de la part des entreprises du CAC40. Et là, rien n’est fait, bien au contraire. Nos dirigeants nous montrent donc clairement au profit de qui ils dirigent. D’ailleurs, l’europe a nommé président de la commission le plus grand fraudeur, spécialiste de l’évasion fiscale, M.Junker. Quoi de mieux ?

    Voici un sondage qui reflète peut être bien mieux les souhaits des Français

    http://www.informaction.info/iframe-chers-candidats-voici-ce-que-veulent-les-internautes-pour-2017#


  • Ciriaco Ciriaco 13 décembre 2016 11:29

    Mixité et pluriculturalité nécessitent une remise en question qui n’est pas donnée d’emblée. C’est plus délicat que le repli identitaire, qui est malheureusement un classique. En quelque sorte on subit cette question ou on se l’approprie. C’est une vraie interrogation. A gauche, nous l’avons fait : nous n’en sommes plus à « Touche pas à mon pote ». L’égalité que nous défendons n’est pas le principe que nos adversaires jugent coupé du réel. La réalité, c’est que notre société est multiculturelle (la question de l’identité n’en étant qu’une partie). La première question, et le premier désenclavement pour ceux qui nagent dans le rejet bête et méchant, est naturellement de savoir ce qu’on désire faire de cette diversité. C’est une réflexion et une attitude qui devraient nécessairement concerner tout le monde.


    Merci pour ce billet, qui pose de bonnes questions et fait de justes rappels. Mais ce n’est pas la gauche qui est désespérante.

    • Victor 13 décembre 2016 13:45

      @Ciriaco
      Oui la société multiculturelle est l’avenir, c’est à dire les US, car toute société multiculturelle a sa solidarité dans ses communautés seulement (les chinois sont exceptionnels à ce pt de vue)
      ObamaCare a échoué car petit blanc ne voulait pas payer pour les blacks, qui eux mêmes ne voulaient pas payer pour les hispaniques !
      L’arnaque du gauchisme est de faire croire à un homme « parfait », « global », tout marxiste comprend ça, cette charité proclamée anti-raciste, anti-sexiste, anti-famille, anti-religieuse, cache la domination d’une oligarchie qui organise la destruction des entraides traditionnelles où instinctives pour la suprématie de l’individu (et ses droits de l’homme contre les droits du citoyen).


    • Ciriaco Ciriaco 14 décembre 2016 12:35

      @Victor
      Voilà bien sûr qui répond à la question.


  • rogal 13 décembre 2016 11:31

    Le creusement des inégalités ne nuit pas seulement au grand nombre, en tant qu’appauvrissement des individus. Le petit nombre accumule, mais à quoi bon quand on a déjà tout ? Alors l’argent sert à acquérir le pouvoir : instauration de la ploutocratie. Il suffit pour parfaire cela d’acheter aussi la gauche. Étape suivante : dans les camps les manifestants !


  • philippe baron-abrioux 13 décembre 2016 12:21

    @l’auteur

     Bonjour ,

     merci pour votre article tout d’abord .

     vous parlez de « la Gauche de la désespérance » et d’une situation désespérante mais non désespérée en posant votre regard sur la Gauche .

     cette Gauche qui semble éclatée , dispersée , abandonnée par beaucoup , désertée , reniée n’existerait plus si on en croit les commentateurs les plus avisés de la société française qui se fient le plus souvent à des « experts » qui me semblent très souvent investis (par qui ?) d’une obligation de diffuser un message de disparition sans aucun avis de recherche des familles constitutives de la Gauche .

    ce message est largement relayé par des médias plus ou moins asservis à des maîtres à penser très influents du fait de leur surface financière et de quelques affinités avec tous les pouvoirs successifs .

     est ce pour autant la réalité que l’on constate si on s’accorde le temps de l’échange ?

     la Gauche disparue , éteinte , volatilisée , les valeurs dont elle était porteuse oubliées , le sentiment d’appartenir à un mouvement humaniste aurait disparu devant le mercantilisme , l’appât du gain , le règne de la finance partout et aucune aspiration à un monde plus juste , plus solidaire , tout cela serait envolé , rayé de la carte , passé par pertes et profits ?

    je ne le crois absolument pas même si je suis conscient que beaucoup d’éléments amènent à douter :

     c’est précisément ce doute critique qu’il faut exercer face au bourrage de crânes si bien organisé qui se déverse à heures fixes par des relais serviles jouant sur les angoisses , l’anxiété découlant d’informations livrées sans aucune analyse ni précaution de langage .

     la Gauche , les Gauches depuis trop longtemps , par paresse , par impréparation , ont abandonné tout ce qui est à expliquer , à éclaircir , à présenter de façon claire , compréhensible qui donne et le temps ,les moyens et l’envie de réfléchir et d’échanger .

     tout a été considéré comme trop complexe , inaccessible à des non-avertis , c’est à dire une société condamnée de fait à admettre , à délivrer des blancs- seings successifs à des gouvernants et des représentants qui eux seuls seraient à même d’intégrer la complexité des problèmes auxquels ils ont à faire face .

    quand et qui a parlé de façon claire de l’Europe , de ses composantes , de l’Union Européenne , de ses institutions ?
     
     et le référendum de 2005 , quelle ont été les positions de la gauche et estimez vous que nous ayons eu ce qui permettait de se déterminer en toute conscience ?

     que penser aussi des débats parlementaires télévisés et de l’image qui en découle pour ceux qui les regardent ?

     qui défend encore une éthique , qui se réfère encore à une « morale en politique » quand on assiste à des comportements où la fidélité à un idéal , une utopie devient anachronique et que les coups tordus ,la traitrise et les calculs à la petite semaine deviennent la règle ?

     Où sont les intellectuels , ont ils disparu eux aussi ou ont ils peur d ’être renvoyés à leurs chères études par des ignorants qui accaparent les studios un papier à la main incapables de répondre très souvent à toute question non prévue dans le moment d’antenne dont ils se servent pour débiter leur discours prémâché ?

     où sont les lieux d’échange entre la « société civile » , vous, moi les autres ?

     qui a pris le temps d’écrire à son député , son maire , son sénateur pour leur faire part des dérives constatées et parmi ceux là (et j’en suis ) qui a obtenu la moindre réponse à son message ?

     l’éloignement , la distance , entre la société telle qu’elle est dans sa diversité , ses richesses , et EUX , les autres dont nous avons fait des rois ou des princes de quelques mois, sont flagrants et d’autant plus choquants que les moyens sont largement à leur disposition .

     la coupure est nette et ce temps d’élections pourrait être un moment pour se réagréger , se retrouver et échanger , prévoir , organiser comme les font les Anglais dans leur shadow cabinet .

     la position du P.S pour les primaires ouvertes de la gauche me laisse perplexe sur le désir de la belle Alliance populaire en la matière .

     après avoir été longtemps muets , ils deviennent sourds et aveugles .

     il faut malgré tout garder un souffle d’optimisme .

    BONNE FIN DE JOURNEE !

    P.B.A


  • Albert123 13 décembre 2016 12:30
    lorsque vous aurez dépasser le caractère fétichiste et totémique de ces concepts foireux que sont la gauche et la droite, vous n’aurez plus d’espoir déçus mais des visions à réaliser.



  • Le421... Refuznik !! Le421 13 décembre 2016 18:49

    La gauche désespérante ? Quelle gauche ? Celle de Hollande, Valls ou Macron ?

    Ben, pour info, ça fait plus de dix ans que toute personne saine d’esprit a compris que le Parti Socialiste n’avait de gauche que l’appellation au jité de Pujadas et dans l’esprit des neuneus !!

    Alors, si vous refaites votre article, en connaissance de cause, et en utilisant les mêmes termes, pour ma part, c’est poubelle direct !!

    Et vous verrez bientôt que contrairement à la messe des médias PS/LR/FN aux ordres de quelques milliardaires bien intentionnés, il y a des gens de gauche dans ce pays. Et pas du tout désespérés !!


  • tatoucompri tatoucompri 13 décembre 2016 20:26

    l’auteur :
    ça ma l’air bien confus dans votre tête, comme je ne voudrais pas être à votre place !


  • Attilax Attilax 14 décembre 2016 09:10

    Ce que vous appelez la « gauche de gouvernement », c’est l’autre nom de la droite. Il est donc normal que cette « gauche » vous apparaisse comme inexistante, puisqu’elle n’a jamais existé.


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