La mise en examen de F. Fillon : impair, passe et manque, les jeux sont-ils faits ?
« L'homme qui maniait les cartes ainsi devait être leur maître... Il y avait dix ans de tripot dans cette foudroyante et augurale manière de donner. »
Jules Amédée Barbey d'Aurevilly
A l'image d'un kaléidoscope dans lequel le moindre mouvement recompose brusquement en une nouvelle configuration les losanges et les prismes du cylindre, la conférence de presse de F. Fillon de ce mercredi 1er mars 2017 vient de compliquer le jeu politique en rebattant les cartes de la campagne présidentielle.
I- Basculement
La politique qui a horreur des situations incertaines et s'accommode mal de l'errance éprouve en effet un besoin vital de s'attacher à un point fixe, de corriger, de rectifier et donc d'éliminer tout ce qui vient troubler son ordonnancement. C'est ce qui aura probablement poussé F. Fillon à sortir du bois, chassé par les aboiements de la meute judiciaire, médiatique et politique qui lui court aux basques, le sachant chaque jour plus fragilisé.
F. Fillon ne pouvait pas faire autrement que d'annoncer officiellement sa prochaine mise en examen fixée à la date du 15 mars prochain, un événement procédural tout aussi inéluctable quoi qu'il en dise que l'annonce à laquelle il sera probablement contraint, malgré ses dénégations, de renoncer à la course présidentielle.
Il ne suffit pas en effet de déclarer que l'on ne « cèdera pas », que l'on « ne reconnaît pas les faits », que l'on « ne se rendra pas », que l'on « ira jusqu'au bout parce qu'au-delà de (sa) personne c'est la démocratie qui est défiée » pour se mettre à l'abri d'un processus judiciaire, aussi critiquable et implacable soit-il, et de s'en remettre au peuple français et au suffrage universel.
Les miracles existent rarement en politique.
Les propos de M. Fillon sont courageux et ne manquent pas de souffle mais portent à faux et sont en complet décalage avec une réalité implacable, celle de la machine judiciaire et de la machination politique qui y préside dans l'ombre. Il n'en demeure pas moins que l'on assiste à quelque chose de nouveau : une opinion publique ne saurait venir au secours d'un manque de probité.
II-Recomposition du jeu...
Les réactions aux déclarations de M. Fillon n'ont pas tardé avec la démission de Bruno Le Maire qui a décidé de renoncer à ses fonctions de « représentant pour les affaires européennes et internationales de la campagne de François Fillon" en annonçant dans la foulée qu'il allait poursuivre "le combat politique au service de la France et des Français".
Il est vrai que B. Le Maire aurait eu grand tort de se priver de l'occasion que venait de lui offrir F. Fillon en rappelant fort opportunément que dans son communiqué du 26 janvier dernier celui-ci déclarait devant les Français que, dans ce cas de figure (une convocation par les juges, préalable à son éventuelle mise en examen), « il retirerait sa candidature à la présidence de la République française".
Même si la justification donnée par l'ex-candidat à la primaire de la droite semble quelque peu appuyée pour la circonstance : « Je crois au respect de la parole donnée, elle est indispensable à la crédibilité de la politique » et constitue "la condition nécessaire pour mener sereinement les efforts de redressement de la France", il n'est pas exclu que B. Le Maire se positionne en réalité très vite parallèlement en candidat avant que de se substituer purement et simplement à F. Fillon si les circonstances comme l'intérêt supérieur de la France devaient l'exiger, pour reprendre une phraséologie de circonstance que chacun traduira par un « Vae Victis ! » ou plus prosaiquement par un « pousse-toi de là que je m'y mette ».
En temps normal une telle abnégation forcerait le respect à ceci près – chacun l'aura remarqué -, que nous ne vivons pas des temps normaux avec cette campagne qui n'a de présidentielle que le nom.
Deux autres sénateurs (M. A. Houpert, sénateur de la Côte d'Or et Mme F. Keller, sénateur du Bas-Rhin) viennent à leur tour de marquer leur désaveu de M. Fillon en indiquant avec justesse pour le premier que le destin de la France ne pouvait être suspendu à l'avenir judiciaire de l'intéressé et pour la seconde qu'il était vain de lutter contre la justice.
III-...contradictions
Pour autant et malgré la pugnacité affichée dans sa conférence de presse F. Fillon n'aura pas réussi à être pleinement convaincant dans la mesure où plusieurs contradictions n'auront pas échappé à des auditeurs attentifs, fragilisant encore plus son message comme sa réception auprès de tout l'électorat.
On a en effet du mal à comprendre que malgré de très sérieuses alertes l'intéressé puisse encore servir une défense aussi fragile à son public.
- Le 26 janvier 2017, soit quelques jours après les premières révélations du "Canard enchaîné", F.Fillon protestait en effet de son innocence sur le plateau du "20 Heures" de TF1 et posait la seule condition qui pourrait le faire renoncer à la présidentielle : "Il n'y a qu'une seule chose qui m'empêcherait d'être candidat, déclarait-il, c'est si mon honneur était atteint, si j'étais mis en examen », déclarait-il.
Nous y sommes ! Dès lors et sauf à afficher une conception élastique de l'atteinte à l'honneur, pourquoi attendre plus longtemps tout en censurant une parole et un engagement publics et ne pas renoncer ?
-De même le 31 janvier dernier, alors que la veille le couple Fillon avait été entendu par les enquêteurs, leur avocat se félicitait de la célérité de la justice : "Le soir-même de l'ouverture de l'enquête, François Fillon a souhaité être entendu rapidement. On se réjouit que la justice ait fait droit à cette demande d'être reçu aussi vite", déclarait-il en effet dans des propos contredits par F. Fillon déplorant désormais une précipitation inacceptable.
« Il est sans exemple dans une affaire de cette importance qu'une convocation aux fins de mise en examen soit lancée quelques jours à peine après la désignation des juges, sans qu'ils aient pris connaissance du dossier, ni procédé à des investigations supplémentaires", a-t-il déclaré au cours de sa conférence, dénonçant le fait que : "L'enquête préliminaire (ait) été ouverte en quelques heures ».
- De même enfin, déplorant subir un traitement particulier de la part de la justice ("La présomption d'innocence a complètement et entièrement disparu. Depuis le début, je n'ai pas été traité comme un justiciable comme les autres"), - ce qui soit dit en passant est effectivement le cas par rapport à d'autres hommes ou femmes politiques qui donnent l'impression d'avoir bénéficié plus que de mesure des égards de la justice sous la forme de traitements plus favorisés et beaucoup moins rapides -, F. Fillon qui a décidément la mémoire brouillée semble avoir oublié la petite leçon de morale qu'il administrait en toute amitié le 24 novembre 2016 à A. Juppé auquel il faisait part de sa conception du statut des personnages politiques face à la justice. Ainsi expliquait-il charitablement à A. Juppé que, lui, président, un membre de son gouvernement qui ferait l'objet d'une instruction judiciaire devrait hélas ! quitter ses fonctions : "On est des hommes politiques, on n'est pas des citoyens comme les autres. Les citoyens comme les autres, ils ont le droit à la présomption d'innocence. Les hommes politiques, ils ont comme responsabilité de montrer le chemin". « On » imagine que l'intéressé puisse sans doute sourire aujourd'hui au souvenir de ce propos empreint de morale et de sagesse.
IV-...et avis de gros temps
Point n'est besoin d'être devin pour comprendre que la situation risque fort de se compliquer à compter du 15 mars prochain dans la mesure où il ne serait pas impossible qu'intervienne un autre tour d'écrou ou un serrage complémentaire du garrot.
Celui-ci pourrait prendre la forme d'une décision annexe qui accompagnerait l'ordonnannce de mise en examen de F. Fillon avec, pourquoi pas ? une ordonnance de mise en détention provisoire assortie d'une caution (dont le montant dissuasif sera à la hauteur de la mesure prise et de l'importance des faits reprochés) ou à tout le moins d'un contrôle judiciaire avec remise du passeport, interdiction de communiquer avec telle ou telle personne, interdiction de sortie du territoire, en bref, pour résumer, le cortège habituel des sujétions imposées aux « justiciables et aux citoyens comme les autres qui, comme chacun sait, bénéficient de la présomption d'innocence ».
Est-il encore besoin de préciser qu'à ce stade la campagne présidentielle subirait un coup d'arrêt ou serait en tout cas irrémédiablement compromise au point qu'il n'y aurait plus qu'à regretter (vainement) de ne pas avoir mis M. Fillon tant qu'il en était encore temps – c'est-à-dire maintenant –, devant la réalité de la situation en l'invitant séance tenante à renoncer à ses ambitions, sauf à vouloir couler son parti et l'entraîner avec lui dans l'abîme ?
C'est d'ailleurs là le sens des propos pourtant très clairs que j'ai récemment tenus à M. Bernard Accoyer dans une correspondance à son attention encore à ce jour demeurée sans réponse ainsi qu'à M. le sénateur A. Houpert précité.
Face à un appareil d'Etat et à un appareil judiciaire qu'il ne maîtrise pas et qui travaillent à sa perte, le jeu de cartes dont dispose F. Fillon est manifestement trop faible, la roulette manifestement truquée et biaisée pour imaginer qu'il puisse continuer sa course sans désemparer.
La seule parade qui s'offre aujourd'hui à F. Fillon est de rompre ce jeu malsain et à l'évidence faussé - quels que soient les reproches que l'on puisse faire à l'intéressé - en mettant directement en cause l'institution judiciaire. On ne pactise pas avec le crocodile qui cherche à vous dévorer.
Encore faudrait-il disposer pour cela d'atouts solides, dont une probité indiscutable. Si tel était le cas, seule une défense de rupture serait à même de le sauver. Mais est-ce bien le cas ? Rien n'est moins sûr et on ne voit pas très bien de quelle manière la manifestation de soutien prévue à Paris place du Trocadéro dimanche prochain pourra être d'un quelconque secours.
L'attitude de F. Fillon est politiquement suicidaire.
La mise à l'écart de M. Fillon comme le risque que la coalition politique qui le soutient vole en éclats deviennent chaque jour plus que probables d'ici le 15 mars prochain. Rien ne va plus. Les jeux sont faits.
Qui succèdera à M. Fillon ? La question est désormais posée.
Comme dans la célèbre nouvelle d'E. Poe, le pendule vient encore de descendre d'un cran et le mouvement de balancier s'accentue...