Le chardon syrien
Dans toutes les affaires, écrit Bossuet, il y a ce qui les prépare, ce qui détermine à les entreprendre et ce qui les fait réussir.
La vraie science de l'histoire est de remarquer dans chaque temps les dispositions secrètes qui ont préparé les grands changements et les conjonctures importantes qui les ont fait arriver.
Quel meilleur ambassadeur que Bossuet pour nous annoncer les grands bouleversements à venir et notamment dans ce Moyen-Orient compliqué dont les Occidentaux avaient fait leur chasse gardée, le point de fixation de leur volonté de puissance et où les tensions – voire les guerres picrocholines - sont savamment exacerbées pour le seul profit de l'entité sioniste dont le rôle de chien de garde colonial derrière l'alibi de foyer national juif n'a jamais souffert aucune contestation sinon de pure forme de la part des faux amis du monde arabe.
A part quelques plats pré-digérés qu'on nous sert et qui sont tous, la plupart du temps, le délayage plus ou moins orienté de dépêches d'agence, les médias « mainstream « nous laissent depuis quelque temps plutôt sur notre faim dans le traitement du conflit syrien.
A fortiori depuis que la Russie s'est impliquée avec succès pour aider le régime syrien dont la disparition était programmée dans les chancelleries occidentales.
En général, les Agences de presse ne sont pas dans le feu de l'action car Dieu merci ! nul n'est obligé de pousser l'héroïsme journalistique jusqu'au sacrifice de sa personne ; elles sont le plus souvent contraintes, course au scoop oblige, de présenter sans vérification des informations de seconde voire de troisième main. Une telle situation se prête à des manipulations.
Il y a nénamoins dans les médias une baisse d'intensité manifeste de l'intérêt pour la guerre en Syrie, les informations sont plus ou moins reléguées depuis qu'elles vont à contre-courant des attentes de ceux qui donnent le sentiment de snober la reprise en main par le régime des positions qu'il avait dû céder à la rébellion.
Le mensonge par omission et la timidité des commentaires siéent par le force des choses à la propagande officielle toujours arc-boutée à des hypothèses caduques et qui voit invalidées ses vieilles spéculations sur un effondrement rapide du régime.
Beaucoup d'éditorialistes vedettes qui furent chargés de façonner l'opinion sont aussi de fieffés désossés aux convictions élastiques qui prennent assez vite le sens du vent et parviennent même à tirer profit de leurs propres contradictions ; le réalisme autant que la propension qu'ils ont à se fourrer le doigt dans l'œil ont développé chez eux cette exquise qualité qu'on appelle le pragmatisme et qui autorise à défendre une chose et puis son contraire avec la même conviction.
Je ne doute pas qu'ils trouveront sous peu leur chemin de Damas.
Alors, certes, il est très difficile de savoir ce qui se passe réellement dans la Syrie sous administration légale, personne en temps de guerre n'a vraiment intérêt à contrarier la parole officielle ; il n'en demeure pas moins que Palmyre dont les médias annonçaient qu'elle serait réduite en poussière par les iconoclastes de Daech existe belle et bien encore, qu'elle n'a subi apparemment que des dommages mineurs et qu'elle est revenue avec l'aide de la Russie dans le giron de l'armée syrienne officelle pas celle qui se dit libre et qui se résume à un quarteron de planqués qui se partagent en Turquie à l'abri des schrapnels les généreux subsides des puissances qui persistent à entretenir cette fiction d'une opposition démocratique.
La Syrie, c'est une mosaïque de courants religieux ( alaouites, une version soft du chiisme, chapelles chrétiennes pour tous les goûts, kurde sunnites et arabes sunnites plus sans doute quelques zoroastriens, yézidis ou autres mandéistes ) qui vivaient en relative harmonie ( relative car les religions vivent naturellement leur cohabitation en termes de concurrence ) jusqu'à ce que des agitateurs financés par des pétrodollars venus de ces modèles démocratiques que sont le Qatar et l'Arabie saoudite ne convainquent certains sunnites qu'ils étaient l'objet d'odieuses persécutions Bien qu'ils n'en eussent pas une conscience nette jusque là, il leur fallait pour assurer le salut de leur âme se soulever contre le tyran de Damas dans un grand appel d'air pour ces libertés démocratiques dont leurs sponsors offrent d'édifiants exemples.
Il est très hasardeux ( par définition les coups tordus sont gardés secrets ) d'apporter la preuve d'une implication occidentale directe – principalement des rusés américains ou des perfides britanniques – dans l'exacerbation par le mensonge des tensions ayant conduit à ces soulèvements, je me bornerai donc à acter comme preuve à charge l'empressement avec lequel les puissances impérialistes ont consenti à donner le label démocratique à de grossiers déguisements.
En tout état de cause, on a vendu et survendu au public occidental l'image d'une dictature sanguinaire et, pour des raisons de géopolitique au service d'intérêts où la cupidité le dispute à la stratégie, on a systématiquement initié la diabolisation du régime pour préparer l'opinion à une aventure militaire que certains appelaient de leurs vœux.
Certaines mauvaises langues argueront malicieusement qu'il y a des histoires de pipe-line là-dessous, le pouvoir de Damas manifestant une ombrageuse hostilité à la traversée d'un gazoduc acheminant le gaz des pays du Golfe vers la Turquie où il serait relié au gazoduc Nabucco desservant l'Europe.
Pures spéculations malveillantes, selon nos parangons de vertu démocratique, car chacun sait que la ploutocratie cosmopolite ne saurait caresser d'aussi mesquines arrière-pensées impérialistes et ne pourrait donc punir un gouvernement qui ferait preuve de mauvaise volonté à l'égard de ses intérêts.
Aujourd'hui, à part les voix isolées de quelques entêtés spadassins de la libération des peuples malgré eux, tout le monde se félicite maintenant de ce que les hésitations d'Obama – contraintes ou volontaires - aient finalement dissuadé Hollande de donner libre cours à ses ardeurs belliqueuses.
Il en va autrement de nos hommes politiques prompts à s'enflammer, ils restent prisonniers de leurs sottes déclarations que l'oubli doit d'abord effacer dans la mémoire collective avant qu'ils ne se risquent à une volte-face : contre toutes les évidences du terrain, on continue donc à l'Elysée à réclamer la démission de Bachar Al Assad et la chute de son système de gouvernement.
Un régime qui paraissait pourtant en 2008 parfaitement en adéquation avec les valeurs de la république puisque son raïs fut invité par Sarkozy au défilé du 14 juillet, tout un symbole ! devient infréquentable dès lors que son gouvernement entend maintenir SON ordre chez lui et qu'il n'accepte pas de se plier au chantage pseudo-démocratique d'une poignée de condottieri, mercenaires zélés d'intérêts étrangers
.
Le même Sarkozy qui, n'ayant rien appris de sa pitoyable initiative libyenne, a invité, ces derniers jours, du haut de son incomparable autant que singulière incompétence, à une plus grande implication de la France dans le conflit syrien.
Aux côtés de qui, en fait ? Pardi ! les seuls qui font vraiment le poids contre Assad semblent être les islamistes d'importation.
On tirera de cette nouvelle séquence sarkoziste les conclusions que l'on veut.
Il suffit d'ailleurs de faire un petit retour en arrière pour se souvenir de la manière dont furent présentés les merles blancs de la révolution libyenne – acheminés à grand renfort de caméras par l'ineffable BHL - dont on voit aujourd'hui qu'ils n'étaient au mieux que des paltoquets au pis que de vulgaires chefs de gang qui rêvaient de devenir califes à la place du calife sans avoir l'envergure de celui qu'ils ont détrôné et qui , à côté d'innombrables défauts tragiques, avait tout de même la vertu de maîtriser son sujet et ses sujets.
Dès le départ et parce que des intérêts géo-stratégiques le commandaient, Assad a été présenté comme la personne à abattre.
Contre Assad, protagoniste malgré lui d'une partie d'échecs dont on voulait l'évacuer en tant que pion majeur, se déclinait une volonté occidentale d'affaiblir sinon d'abattre l'Iran et, d'une pierre deux coups, de contrarier le renouveau de la Russie en lui coupant l'accès au Moyen-Orient.
En annexant la Crimée à la demande de sa population, Poutine a profité à sa manière de la déstabilisation de l'Ukraine organisée par des apprentis sorciers stimulés par l'UE et les Américains. Un Poutine – guère impressionné par les représentations indignées de ceux ( Merkel et Hollande ) qui étaient en sous main à l'origine des troubles à Kiev est devenu cet empêcheur de danser en rond qui place les intérêts de la Russie au-dessus de toutes les contingences.
Il se contrefiche de son image de marque en Occident, préférant être craint qu'adulé ou gentiment moqué comme le pitre alcoolique qui l'a précédé.