Le printemps ne sera plus le même, sans toi, Vaclav
Parler d'une telle icône est difficile. Un tel personnage, qui vous a guidé a l'un des meilleurs moments de votre vie (votre jeunesse) est difficile. Alors, pour vous rappeler combien cet homme droit, doux et juste a pu représenter à mes yeux, je suis allé fouiner dans ma discothèque, pour y retrouver un vieux trésor : la chanson de François Béranger consacrée à l'intervention soviétique en Tchécoslovaquie. C'est pour moi la meilleure façon d'évoquer ce soir Vaclav Havel, ce "dissident devenu président", et lui aussi homme de spectacle, qui aimait aussi la chanson (on l'a vu venir saluer sur scène Joan Baez). "Bébert", surnom affectueux donné au grand François Béranger était une homme de la trempe du leader tchèque : simplissime, chaleureux et extrémement respectueux des autres. Tous deux étaient remarquables. Un grand homme vient de nous quitter, qui aimait par dessus tout la vie : en son honneur, je vous propose d'entonner "Une Ville", sorti en album l'année suivante des événements survenus en ce qu'on appelait encore alors la Tchécoslovaquie. Les "cosaques" avaient au final été défaits, car un homme de théâtre, emprisonné pour ses idées, avait su faire se relever son pays et lui redonner un bien immense : sa dignité.
Une Ville, François Béranger, 1969
Construis dans ta tête une ville
Dans la chaude torpeur d'un été
Les robes de coton des filles
Leurs tresses nattées de fleurs coupées
En riant, elles fuient les garçons
Des jardins, viennent des flonflons
Construis dans ta tête une ville
Dans la chaude torpeur d'un été
Le soir, aux terrasses, le vin brille
La nuit prend tout, sérénité
Elle fait lever une rumeur
Berce les cœurs, marque les heures
Dans les cheveux blonds d'une fille
La main qui caressait s'arrête
On se dit : Non c'est impossible !
Et pourtant oui, ça vient, c'est là !
C'est gros, c'est noir, ça hurle, ça crache
C'est chenillé, armé, blindé
C'est surmonté d'un fort canon
Et de plusieurs gueules casquées
Ferme les yeux et vois la ville
Au matin blême et réprimé
Le sang qui passe du rouge au noir
Séchant sur les rues labourées
Maisons éventrées et fumantes
Stupeur, colère, haine cachée
Ferme les yeux, entends la ville
D'abord elle pleure puis se reprend
Et s'interroge : pourquoi comment ?
Qu'avons-nous fait ? Pourquoi ce viol ?
Et qui sont-ils tous ces truands ?
Injures, pavés, arbres coupés
Les gars, les filles, les vieux, les jeunes
Font une ronde qui rend fous
Tous les guignols à cheveux ras
Qui ne comprennent vraiment pas
Le monde entier, d'abord incrédule,
En reste assis sur son p'tit cul
Eh oui, ça y est, c'est arrivé
Les cosaques ont été défaits
Construis dans ta tête une ville
Dans la chaude torpeur d'un été
Faut jamais se réjouir trop tôt
Les cosaques reviendront bientôt
Et si demain c'était ta ville
Mieux vaut ne dormir qu'à moitié (bis)
Depuis, je ne dors plus qu'à moitié, en quelque sorte, me méfiant toujours du retour possible de ces cosaques qui ne portent pas de drapeaux rouges à faucille et marteau mais parfois d'autres horipeaux plus sombres et bien plus menaçants. Demain, je ne voudrais toujours pas que ça arrive à ma ville. Et tout autant à d'autres villes. Merci François, merci Vaclav, de m'avoir aidé à rester le plus longtemps possible vigilant... dès 17 ans. Pour moi, la prise de conscience de ce qu'était ce monde s'est vraiement produite un 22 août 1968 (*), bien plus encore qu'avec les évènements de mai 1968 qui ont eu chez moi personnellement moins d'impact (à moins qu'ils ne m'aient préparé, en éveillant ma conscience politique !). D'apprendre à cet âge qu'un étudiant de 19 ans, à peine plus âgé que vous, vient de s'immoler par le feu pour dénoncer cet invasion vous marque à jamais : je n'ai jamais oublié le sacrifice de Jan Palach. Depuis, j'ai toujours trouvé que le printemps, ce n'était pas joli qu'à Prague seulement, et que des printemps, il semblait y en avoir de moins en moins face aux hivers répressifs de ces dernières années, même si certaines parties du monde viennent de voir pointer cette saison politique jusqu'ici inconnue chez elles. Ce soir, triste et peiné, je n'oublie pas non plus le doux sourire d'Alexandre Dubček, l'ami de Vaclav, qui avait demandé à sa population de ne pas chercher à combattre une force tellement supérieure (ce qui n'empêchait pas pour autant de résister), à qui l'histoire n'a pas encore rendu l'hommage qu'il méritait, lui aussi. Merci, Vaclav, de t'être ainsi... indigné (**) !
On peut l'entendre ici, cette chanson magistrale, pour moi si liée à Vaclav Havel et à tous ceux qui ont lutté en 1968 à ses côtés :
http://www.youtube.com/watch?v=gXCJpZRLZY8
(*) je vous laisse découvrir qui parle : depuis, il a tout oublié semble-t-il, ou confond tout depuis ...
(**) à Président si proche des gens, tutoiement exceptionnel.