vendredi 22 mai 2015 - par Michel J. Cuny

Léon Blum et Charles de Gaulle : une complicité inattendue

Parmi les sources qu’il convient d’attribuer à la Constitution de 1958, il y a ce que nous avons vu comme provenant d’une droite de tendance mi-bonapartiste mi-orléaniste qu’illustrèrent André Tardieu et Jacques Bardoux. Mais il ne faudrait surtout pas oublier l’apport essentiel de Léon Blum, et donc des socialistes - ce qui est assez souvent resté inaperçu.

De fait, le chassé-croisé entre le leader socialiste et Charles de Gaulle se sera étendu tout au long d’une période essentielle pour l’Histoire de France récente. Il s’agissait d’une sorte de "je t’aime, moi non plus" qui aura couvert les années trente, quarante et cinquante du siècle dernier. Le plus étonnant, c’est que les "socialistes" eux-mêmes aient pu être privés pendant si longtemps (de 1958 à 1981) de cet instrument qui est pourtant aussi le leur : la Cinquième République. Sans doute sont-ils occupés désormais à rattraper le temps perdu…

À la façon de Michel Debré, mais aussi de certains des membres du "Comité Bardoux", Léon Blum est issu du Conseil d’État, d’un Conseil d’État qui est, en quelque sorte, la conscience morale en même temps que le fer de lance du pouvoir exécutif : on y découvre une permanente capacité d’invention et de mise en œuvre juridiques. Qu’il s’agisse de déployer la notion de service public (depuis le début du XIXème siècle) ou de mettre au point la Sécurité sociale (dès avant la Seconde guerre mondiale), et, plus récemment, d’écarter la problématique de l’égalité au profit de l’équité, c’est pure merveille !...

On le pressent : la droite comme la gauche (socialiste) trouvent là de quoi s’abreuver, sans rien changer au mode capitaliste de production… Évidemment, le pouvoir législatif, lui, n’y est pour rien, et donc le suffrage universel pour moins encore. Ils attendent de voir venir.

Or, Léon Blum lui-même venait de très loin dans le temps. C’est ce que nous découvrons, à lire les professeurs Jean Gicquel et Lucien Sfez dans leurs Problèmes de la réforme de l’État en France depuis 1934  :
« À la fin de 1918 paraît un ouvrage anonyme intitulé Lettres sur la réforme gouvernementale. En fait, personne n’est dupe et on reconnaît l’auteur en Léon Blum, maître des requêtes au Conseil d’État, ancien chef de cabinet de Marcel Sembat au ministère des Travaux publics. » (page 25)

Avant tout, Léon Blum est donc un homme du pouvoir exécutif, et son "socialisme" est nettement teinté du rôle - dont il a été un témoin direct - de l’État tout au long de la Première guerre mondiale, de même qu’il recevra l’empreinte de la finance internationale à travers l’amitié qui le liera longtemps à Horace Finaly.

En 1934, Blum considère que le moment est venu de republier ses écrits de 1918. Et encore en juin 1936, alors qu’il devient chef du gouvernement de Front populaire. Les initiés disposeront donc de tout ce qu’il faut pour se persuader, si nécessaire, du fait qu’entre l’État et la Révolution, cet auteur a choisi, depuis longtemps, le premier des deux, et selon un langage qui dit aussitôt tout ce qu’il doit en dire :
« Il faut un chef de gouvernement, comme il faut un chef d’industrie. » (Léon Blum, La réforme gouvernementale, 1936, page 15)

De sorte qu’inspirateur de l’activité gouvernementale, ce "chef" se trouve "juché au-dessus d’elle", et que "de son poste altier de commandement, il puisse la considérer sereinement, la dominer tout entière".

À ce "chef", il faut une équipe dévouée, à laquelle Jean Gicquel et Lucien Sfez donnent un nom plus que significatif :
« Autour du Premier Ministre, Léon Blum envisage la constitution d’une sorte de brain-trust avant la lettre » (page 28)

C’est qu’il s’agit de travailler au mieux dans un très vaste espace de commandement :
« Ce "bureau des affaires générales" s’assurerait une double tâche : la préparation des décisions du Premier Ministre et surtout la liaison entre les ministères. Les divers services statistiques et d’études juridiques s’y trouveraient regroupés. Dès qu’une décision excéderait les attributions d’un ministre, le président du Conseil l’évoquerait après étude préalable par le "Bureau général". » (page 28)

Mais ce chef de l’industrie gouvernementale surplomberait également le pouvoir législatif ! D’abord par la grâce du président de la Chambre, mais aussi de lui-même directement. Blum écrit :
« L’un contrôle le jeu et l’allure de la machine, l’autre trace et rectifie le sens de la marche. » (page 29)

En conséquence de quoi, le suffrage universel aura lui-même bientôt trouvé à qui parler, puisque, en tant qu’elle rassemble ceux qu’il aura élus :
« La Chambre trouvera devant elle un guide, un maître. » (page 29)

On le voit : Léon Blum et De Gaulle



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