samedi 3 septembre 2016 - par alinea

Les nuiseux

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Qu'on s'entende bien, certains sont nuisibles, d'autres seulement gênants ; les nuiseux sont ceux qui ne mesurent pas le résultat de leurs actions.

Ils sont spontanés dans leurs désirs et quand ils en ont les moyens, les mettent en branle sans souci du reste. La focale est étroite et ils ne passent pas des nuits à imaginer tous les effets négatifs ou pervers possibles.

La spontanéité a du bon dans certaines circonstances mais malheureusement, très souvent, ses effets sont néfastes.

Cela fait des lustres que je n'ai pas mis le nez en ville aussi je vous parlerai des campagnes, campagnes qui néanmoins sont infestés de citadins. Classes moyennes, petites moyennes pour les habitants de lotissements, moyennes supérieures pour ceux qui ont acquis les mas, les fermes et les grosses maisons du bourg. Aucun ne travaille sur place bien sûr, le balai quotidien des transports particuliers rend inhabitables toutes les maisons des villages qui jouxtent la voie centrale, et les routes de campagne s'animent au rythme des heures de bureau, des week-ends, et puisqu'il s'agit du sud, des vacances.

L'exode rural des années soixante, la promotion sociale des enfants de paysans, ont laissé des terres en friches qui ont appâté les milliardaires français ou étrangers du nord, ce qui fait que la structure sociale est devenue identique à celle du moyen-âge, avec ses seigneurs et ses serfs ; sauf, que des serfs il n'y a quasi point, remplacés par des machines, mais que restent régisseurs et ouvriers agricoles peu nombreux, avec disparition totale depuis quelques années des équipes de saisonniers. Donc des campagnes désertes la journée, et dont les boîtes de béton dur se remplissent le soir, devant la télé. C'est un progrès immense , me dit-on.

Donc ici les nuiseux sont les agricos vendeurs de terres arables pour héberger le peuple moyen des villes, les élus qui rêvent d'être à la tête de plus d'habitants, avec comme chant politique le « plus on est de fous plus on rit », sauf qu'on ne rit plus. Et la politique globale réduite à voir dans le bétonnage, le goudronnage la seule voie d'issue d'un PIB en berne.

Les nuiseux ont de l'argent, un peu, assez pour passer leurs caprices ; acheter un cheval, parce qu'ils ont trois cents mètres carré d'herbe, ou bien un pré plus loin, d'un quart d'hectare au plus ; le cheval passe son temps contre la clôture pour regarder l'horizon, et puis, à l'occasion d'un divorce ou de déboires financiers, on l'oublie et il crève.

Il y a un dictionnaire à faire sur les nuisances que provoque le trop d'argent. Car oui, il y a bien trop d'argent pour espérer vivre en bonne entente dans un monde respecté et serein. Car les nuiseux ont trop d'argent sans avoir la moindre ambition de l'utiliser à bon escient. Alors ils bâtissent pour se faire des rentes à venir ou bien ils améliorent leur lopin sans voir la limite, qu'ils franchissent, qui passe du mieux au pire. La laideur est souvent une accumulation de mieux, sauf à avoir un domaine immense.

Les nuiseux n'ont pas de parole mais ne disent jamais « non ». Ne pas avoir de parole, pour ceux qui ne le sauraient pas, c'est ne pas honorer les engagements que l'on a pris de vive voix. Pour combler cette lâcheté, l'État a mis en place tout un tas de paperasseries qui cachent, en petit, une multitude de tracasseries. Mais comme bien souvent cela ne suffit pas, les tribunaux sont pleins de réclamations, de demandes de recours, pas toujours suivis d'effets. Notre existence est encombrée de ces tracas, non seulement cela vole du temps au calme mais provoque des réactions qui se retournent contre soi ( cancer, suicide, dépression...), quand on est faible, ou contre le premier qui passe, quand on est fort ( insultes, dégradations, calomnies,etc.) ! Dans le domaine public, dans le domaine privé ou professionnel, cette manière de ne pas faire est devenue une règle officielle de non-savoir vivre.

Le passage à l'acte autorisé par l'impunité de l'anonymat ou bien par le « droit » qui n'inclut pas la responsabilité ni la morale, multiplie les idioties, les négligences ou les provocations, au déni total des lois qui gèrent, partout et depuis toujours, les relations humaines. Ensuite, on s'étonne que tout aille mal. C'est à se demander si la dénaturation de l'espèce humaine ne s'est pas accompagnée d'une déculturation totale. L'attentif et serviable est traité avec mépris comme un larbin tandis que la grande gueule, ou le séducteur, est considéré avec envie ; le pourcentage prend le dessus - je n'en connais pas le chiffre- même si, bien évidemment, subsiste un savoir-vivre qui s'en trouve marginalisé. Tous ceux qui osent un j'ai-bien-le-droit ou un pourquoi-pas-moi, sont des nuiseux, qu'ils jettent leurs canettes par dessus la portière ou qu'ils coupent des arbres parce qu'ils sont incapables de s'adapter à leur présence ; qu'ils construisent leur maison ou leur garage aux limites de leur parcelle, quitte à priver de soleil leur voisin ou qu'ils captent l'eau souterraine en se fichant ou en ne voyant pas que leur pelouse est verte en août aux dépends des arbres qui crèvent en aval. Les nuiseux ne voient pas, parce qu'ils ne regardent pas. Leur cécité, si elle leur permet de garder leur trajectoire sans remord, déblaie autour d'eux une multitude de richesses qui leur échappent mais aussi une multitude de souffrances. La protection est à double tranchant.

Les nuiseux sont ignorants. Ils pensent que le goudron, ou le béton, est propre alors que les herbes sont mauvaises ; la terre est sale mais pas leurs produits ménagers ; les animaux puent mais pas leurs parfum en bouteille ; ils se focalisent sur une crotte de chien sur le trottoir mais ne prennent pas garde à l'air qu'ils respirent ni à l'eau d'une Seine morte. Ils ne veulent pas savoir qu'en foule, un acte singulier supportable, multiple devient une guerre.

Les nuiseux sont contents d'eux ; ils attendent les regards qui les reconnaîtront mais n'en jettent guère. Ils ont le verbe haut et le mépris facile ou bien le verbe bas mais sournois. Ils laissent toujours des traces mais surtout sèment des épines au travers des rencontres. Ils ont des œillères, des casques sur les oreilles, ils ne sont pas rebelles ni pionniers mais sont dans leurs droits, qu'ils tirent à eux en faisant semblant d'ignorer le droit des autres. Ce sont des petits jeux de c'est-moi-le-plus-fort, mais eux, ce sont les moins cons, les autres sont si étroits d'esprit qu'on les dit « pas finis » ici.

Le plus terrible est qu'ils sont très nombreux, obéissants et même pire, trouvant ce que le pouvoir fait, légitime. Et quel que soit ce pouvoir. Ils n'ont pas idée du devenir de notre planète à continuer ainsi, ils sont dans leurs bons droits vous dis-je.

Les kantiens ne sont pas nombreux il est vrai, qui multiplient par le nombre d'habitants de la maisonnée, du quartier, du village, du pays, les attitudes, les actes, les actions qu'ils commettent. Et comme « il ne faut pas se prendre la tête » est devenu la philosophie du jour, avec son corollaire « je le vaux bien », philosophie qui a l'avantage d'être comprise par tous, parce qu'elle ne prend pas la tête et flatte, on va passer un petit moment avec cette idée là comme seule antienne.

Les citadins sus-cités n'ont aucun savoir vivre en ruralité ; pour eux un humain qui passe est à peine une ombre à laquelle ils ne prêtent aucune attention, ils n'ont strictement rien à faire de les rencontrer bien sûr, mais pas plus de connaître le nom des lieux-dits, des mas, des ruelles du bourg, a fortiori d'en connaître l'histoire ; ils ne savent rien des sentiers de la garrigue, de sa flore, de sa faune, ils s'en foutent comme ils se foutent des autres dans les rues ; mis à part le prix du terrain, rien ne les a attirés là et du reste, nombreux sont ceux qui se sont raconté qu'ils vieilliraient bien au soleil, remontent « chez eux » après un long temps de purgatoire, le temps de vendre leur maison. Mais là, je dérive vers autre chose qu'est notre société vidée de tout substrat humain, et répète le passage à l'acte d'un rêve échafaudé par d'autres pour eux.

Mais sortons du quotidien et du bled ; ailleurs aussi il y a des nuiseux, plein.

D'abord, il y a sur ce site, et ailleurs sûrement, tous ceux qui ont écrit sur le burkini, ont commenté le burkini, grand dieu du ciel, quelle serinade ! ( j'ai commenté le burkini, aussi !)

Les convaincus, les prosélytes, les obtus enragés qui sont à peine humains à ne pas sortir de leur pré carré : les hautains qui ne s'abaissent pas à nous répondre, à faire mine de nous considérer ; ceux qui ne répondent qu'à leurs contradicteurs, ceux qui ne répondent qu'à leurs laudateurs, épines sous les pieds de la communication.

Sur la route, plein de nuiseux tout accrochés qu'ils sont à leur itinéraire, seuls au monde, il vaut mieux parfois que vous ne soyez pas là, à moins d'être attentif pour deux.

Les nuiseux sont bêtes, ils sont lents et usent souvent nos nerfs, mais ils ne le font pas exprès, même ceux qui laissent leurs ordures dans le fossé, ils ne le font pas pour embêter ; le maire du village, quand il achète deux marronniers pour planter au pied de l'escalier de la mairie, il ne le fait pas exprès, il ne sait pas, il n'a jamais vu les marronniers du village malades à en crever, et ce n'est sûrement pas le pépiniériste qui allait le lui dire, trop heureux de trouver le client couillon. Quand les employés de la DDE coupent les parterres de fleurs au bord des routes, creusent des fossés qui ne peuvent pas s'écouler ou quand ils taillent tout ce qui pousse à deux mètres de la chaussée, ils ne se posent pas la question de savoir si cela a un sens, ils gagnent leur croûte, et tout le monde trouve ça normal, l'habitude sans doute. Quand le paysan déroule des kilomètres de plastique noir pour mettre ses jeunes plants à l'abri des « mauvaises » herbes, il se garde bien de prendre la peine de l'ôter quand les plants ont grandi, et si ce sont des annuelles, il laboure hardi donc pardi.

Il y a un million de petites choses comme ça, qui n'ont aucun sens et qui font du mal ; j'en vois dix nouvelles tous les jours, au moins, et à chaque fois je me demande ce que ça coûterait de travailler bien. J'ai eu des colères immenses qui s'abîmaient sans bruit dans le silence des sourds. Tout cela me rive à l'humilité de l'impuissance mais ne m'a pas encore rendue aveugle, et je marche à tâtons dans un monde où il n'y a pas d'amour.

Mais le fin du fin, pour la fin, c'est bien évidemment tous les ignorants qui causent, non contents de causer, ils assènent, et dans tous les domaines, plus on est ignorant plus on parle fort. Assourdissantes invectives des adeptes d'un gourou, d'un dogme, ou d'une doctrine, la vérité révélée est une et n'appelle pas d'échanges, juste « la violence si tu me cherches » ! les assertions sont multiples mais toujours les mêmes, aussi, rien à en dire de plus.

Je n'ai pas évoqué les nuiseux à la personne, j'ai repéré les nuiseux du vivre ensemble, enfin quelques-uns d'entre eux, et là où ils se ressemblent, c'est que tous s'en vont après leurs méfaits inconscients ou involontaires, sans l'ombre d'un remord, sans l'once d'une perturbation, ainsi, ils sont hors d'atteintes. Ils sont sans états d'âme, sans faille et ne gagnent leur enfer que grâce à la sclérose de leur empathie.




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