jeudi 1er décembre 2016 - par Paul ORIOL

Manipulateurs automanipulés

Ces temps-ci la démocratie vacille. Les peuples semblent vouloir n’en faire qu’à leur tête. Ils ne suivent pas ce que les compétents veulent, ils ne font pas ce que les compétents ont annoncé. Tout a été mobilisé l’argent, les sondages, les moyens d’informations. Rien n’y fait. Pourtant les sondages étaient bons, la politique était mauvaise.

Bien entendu, il n’est pas question de faire une autocritique ou, pour être plus à la mode, un mea culpa. Les compétents avaient raison hier, ils ont raison aujourd’hui, ils auront raison demain.

Parmi eux, les sondeurs. Ils se sont quelque peu égarés concernant le Brexit, l’élection présidentielle étasunienne, la primaire de la droite et du centre en France… Il faut cependant les écouter car ils peuvent tout, ou presque tout, expliquer et montrer, par quelques contorsions, qu’ils ne se sont pas trompés… Quoi qu’il en soit, par les résultats publiés de leurs enquêtes, ils induisent une bonne partie des discussions politiques et donc influencent les résultats, à partir d’une réalité qu’ils ont mesurée de façon quelquefois très approximative.
Mais laissons les sondeurs à leur science inexacte. Ils ne sont pas les plus responsables. Ils font ce pour quoi ils sont payés. Ils doivent même donner satisfaction puisque les commanditaires en redemandent !!!

A coté, des sondeurs, tout à coté, il y a ceux qui commandent les sondages, ceux qui commentent les sondages, ceux qui accusent les sondeurs de se tromper, qui expliquent pourquoi ils se trompent grâce aux résultats d’autres sondages.
Que feraient les journalistes sans sondages ? Peut-être feraient-ils des enquêtes, au-delà des compétents qu’ils fréquentent tous les jours. Tiendraient-ils compte de ce qu’ils entendraient ou verraient ? Ce n’est pas certain.

 

Manipulateurs automanipulés ?

Ils ont accepté pendant des années de prévoir, grâce aux sondages les résultats des élections. Puis, devant les résultats qui n’étaient pas ceux annoncés, ils ont accepté d’écrire, sous la dictée, que les sondages n’étaient pas des prédictions mais seulement une vision de l’opinion publique à un instant t (pour faire scientifique). Sans en tenir vraiment compte. Ils ont, par exemple, claironné que l’élection de Hilary Clinton était acquise – à 75, à 80 % ? – et pourquoi.
Ils ont immédiatement, après les résultats, expliqué, grâce aux sondages sortie des urnes, pourquoi elle avait été battue.

 

Les sondeurs ont accepté, après bien des années de refus, de chiffrer la précision des sondages suivant l’importance de l’échantillon… généralement autour de 2 à 3 % mais les sondeurs et les journalistes ont continué à spéculer sur la progression d’un candidat ou à établir des classements de concurrents quand la différence était bien inférieure à ces 3 %, dans le même journal, dans la même page, quelquefois dans le même article !
C’est aussi passionnant que le prix de l’Arc de Triomphe avant le virage. Est-ce plus politique ?

 

La divine surprise pour les politiques de droite, c’est le remplacement de ce parvenu, encombrant mais jusque là nécessaire pour la bonne société de droite, qu’était Nicolas Sarkozy, par son éminent collaborateur de 5 ans, à la suite d’une primaire qui a mobilisé plus de 4 millions de personnes qui se sont déclarées à 80 % contre l’ancien président et à 44 % pour son ancien premier ministre ! Qui étaient coresponsables de la politique suivie pendant 5 ans.
Les journalistes, les politiques, les sondeurs avaient tous expliqué qu’une forte participation donnait l’avantage à Alain Juppé, une participation restreinte à Nicolas Sarkozy. La participation a été importante et a mis largement en tête François Fillon qui était relégué à la troisième ou à la quatrième place…

 

Comme on ne fait que ce que l’on sait faire et par un phénomène d’accoutumance irrépressible, vingt-quatre heures ne s’étaient pas écoulées après la primaire de la droite et du centre qui a montré un gouffre entre les résultats des sondages et la réalité, qu’apparaissent les premiers sondages sur l’élection présidentielle de 2017. Une enquête qui place le candidat de la droite en position très favorable dans la perspective de l’élection de 2017 (1).
Bien entendu, sondage à l’instant t, pour une élection qui n’aura lieu que dans six mois et pour laquelle on ne connaît ni les candidats, ni les circonstances mais qui permet de faire du papier et du conditionnement d’opinion.

 

La question que pose le Figaro est très simple : « Candidat investi par la primaire de la droite et du centre dimanche, François Fillon profitera-t-il de la dynamique engendrée par sa large victoire et la mobilisation de 4,4 millions d’électeurs ?  » La réponse est claire : « Cette spirale vertueuse bénéficie au champion de la droite si l’on en croit l’étude…le lendemain de son élection. »

Cette affirmation s’appuie sur les résultats du sondage. François Fillon obtient, au premier tour, 28 à 31 % des intentions de vote et Marine Le Pen 23 à 25 %. Au second tour, il « sortirait vainqueur avec 66% des voix contre 34 pour Marine Le Pen ». Il ne s’agit plus des intentions de vote mais de voix, petit glissement sémantique… propre à fortifier les intentions. Et la « spirale vertueuse ».

Or en consultant sur Wikipedia, les résultats des sondages concernant la présidentielle de 2017, Odoxa lui donnait le 25 et Harris le 27 novembre, au premier tour, 32 et 26% des intentions de vote et à Marine Le Pen à 22 et 24 %. Et au second tour, 71 contre 29 et 67 contre 33 (2).
Il faut avoir une loupe à fort grossissement pour voir une spirale vertueuse, une différence significative même en ne tenant pas compte de la marge d’erreur de 2 à 3 % !

Si les journaux s’occupaient moins des sondages, ils pourraient faire un travail politique d’enquête et de véritable analyse, ils pourraient envoyer leurs grands reporters dans ce continent exotique et inconnu qu’est la France profonde… des électeurs. Pour le moment, les grands magazines semblent surtout se regarder le nombril et en faire sinon le centre du monde au moins la Une de leur publication.
Ainsi, Robin Andraca (3) relève que François Fillon, avec66 % des électeurs de droite, « a gagné sans faire une seule fois la couverture d’un grand hebdomadaire français en 2016. Tout le contraire d’Alain Juppé, qui depuis 2014 avait les faveurs des hebdos, à gauche comme à droite » comme Society, janvier 2016, L’Obs, 20-29 octobre 2016, Les Inrockuptibles, 12-18 novembre 2016, Marianne, 16-22 octobre 2015. Bien entendu, les choses ont changé depuis les résultats de la primaire.

Cela me rappelle deux anecdotes : celle de cet électeur français que j’ai très bien connu, qui prétendait que la télévision avait toujours raison et votait régulièrement communiste ; et celle qui m’a été rapportée, de ce jeune polonais qui lorsque la télévision communiste annonçait qu’il neigeait à Varsovie disait à son père « Papa ! Ce n’est pas vrai  ». La télé ne pouvait que mentir.

Quoi qu’ils fassent, la résilience des peuples est remarquable et leur est difficilement supportable. La situation n’est pas complètement désespérée.

Manipulateurs automanipulés ?

1 – Kantar Sofres Onepoint réalisée pour RTL, Le Figaro et LCI Le Figaro 29/11/16),

2 – https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_sondages_sur_l’%C3%A9lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_2017

3 – Arrêt sur image, 28/11/2016



8 réactions


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 1er décembre 2016 09:11

    « Ces temps-ci la démocratie vacille. Les peuples semblent vouloir n’en faire qu’à leur tête. »


    Si les peuples en font à leur t^te, c’est que la démocratie fonctionne, au contraire, à moins que, pour vous comme pour les médias et la plupart des élus, « démocratie » signifie « le pouvoir exercé par les transnationales dissimulées derrière des guignols mis en place à coups de financement de campagnes électorales très coûteuses mais rentables en fin de bilan » ?

    • lautrecote 1er décembre 2016 09:27

      @Jeussey de Sourcesûre
      je me suis fait la même réflexion (j’ai même été tenté d’arrêter ma lecture, ce qui eût été dommage, l’article étant plutôt intéressant par ailleurs).
      Il aurait été plus juste d’écrire « la démocratie frémit, semble se réveiller ».
      Mais c’est toujours plus facile après coup.
      Et puis, c’est peut-être ce que l’auteur a voulu exprimer ?


  • Clocel Clocel 1er décembre 2016 09:33

    Quelle démocratie ?

    Elle n’est à l’œuvre nulle part, ne l’a jamais été, même pas dans la Grèce antique.

    C’est une chimère, une illusion, une escroquerie sémantique.

    Chaque fois que le peuple a voulu prendre le pouvoir, il a été massacré violemment par les forces réactionnaires...

    Si nous voulons prendre le pouvoir, nous devons préalablement nous réapproprier le vocabulaire et le sens originel des mots sans lequel aucun échange, aucun concept n’est possible...

    En premier lieu, Ne plus nourrir le sophisme ambiant qui est l’arme de nos adversaires...


  • Piere CHALORY Piere CHALORY 1er décembre 2016 10:08

    Merci à l’auteur pour ces réflexions justes dans l’ensemble, 


    ’’Si les journaux s’occupaient moins des sondages, ils pourraient faire un travail politique d’enquête et de véritable analyse, ils pourraient envoyer leurs grands reporters dans ce continent exotique et inconnu qu’est la France profonde des électeurs.’’

    Le problème étant que pour ces gens, la France profonde n’existe pas, pas plus que l’Amérique ou la Russie du terroir. Leur travail n’est pas d’enquêter ou d’analyser l’opinion réelle de la populace dont ils se moquent royalement.

    Le job de tous ces manants médiatiques, serfs déguisés en intellectuels savants, parfois ornés de symboles pervertis pour la circonstance ( l’écharpe rouge révolutionnaire de C.Barbier ou le bonnet phrygien du troll bien connu par ici), est simplement d’éviter la rébellion des pauvres.

    Leur labeur consiste uniquement à répéter inlassablement, au garde à vous, le catéchisme frelaté qu’on leur brife tous les matins dans leurs rédactions de pacotille. Il s’agit de présenter de façon positive le pouvoir en place, et ses mesures délétères, quelles qu’elles soient. 

    Les pires lois doivent passer comme étant nécessaires, obligées.

    Depuis 40 ou 50 ans pour certains, de gauche moisie en droite blette, ces inamovibles journalistes trouvent toujours fabuleuse, vertueuse, la politique foireuse qui nous a tous mis, encadrés dans les murs d’une Europe finalement assez proche de l’ex Urss, véritable dictature en un peu plus soft, et qui comme elle va s’effondrer d’un seul coup.

    Leur demander de se remettre en question serait pour cette engeance servile un véritable suicide collectif et, quoiqu’on en pense, le suicide demande un certain courage, dont ils sont dépourvus. Le jour venu, ils préféreront se cacher, s’enfuir quelques temps, avant de revenir la gueule enfarinée, jurant par tous les diables qu’ils sont convertis au paradigme nouveau.

    • baldis30 1er décembre 2016 14:13

      @Piere CHALORY

      D’où viendraient les subventions à la presse si celle-ci manifestait contre les mains qui la nourrissent ?

      Mais un jour, cela ne marche plus, même les journalistes se révoltent ( voir les médias nationaux en Mai 1968) , et cela se termine par au moins des sanctions sinon des bains de sang ( à venir en Tirquie ....)


  • hervepasgrave hervepasgrave 1er décembre 2016 11:18

    Bonjour
    Je ne peux qu’espérer une chose ,car pour l’instant je ne peux faire le constat de par moi même,mais
    dans tous les cas a force de prêcher le vrai (?),le faux ,d’utiliser tous les artifices (journaux/sondeurs/psy/philo etc)
    Les gens arrivent peut-être a comprendre que ce n’est que pire sur pire,alors les fausses guerres entre clans ,ils s’en contre foute ! et que c’est eux toujours les victimes.
    Il faut aussi voir que la pollution des médias montrant des personnes, qui unipersonnellement ou en groupe et donnent des avis qui ne correspond pas a la réalité vécu et constaté, alors les médias ne cesseront jamais de servir les pouvoirs destructeurs et les possédants sans foi ni lois, qui leurs donnent la pitance.Sinon tout ce beau monde serait au chômage .Même pas la peine de donner les raisons de leur licenciement.Tellement cela coule de source.


  • Doume65 1er décembre 2016 15:08

    «  [les journalistes, sans les sondages] Tiendraient-ils compte de ce qu’ils entendraient ou verraient ? Ce n’est pas certain. »

    Je peux affirmer que non, vu qu’ils ne font aucun cas des commentaires de leurs lecteurs. Prenez le site d’un journal quelconque, Le monde, Le point, etc. Voyez comme les journalistes s’en prennent plein la tronche dans les commentaires sur des sujets comme la Syrie, la Russie, le néolibéralisme... Ils n’en tiennent manifestement aucun compte dans leur prose suivante et continuent leur propagande, tels des machines programmées pour s’adresser à des idiots.


    • Piere CHALORY Piere CHALORY 1er décembre 2016 15:54

      @Doume65


      ’’Ils n’en tiennent manifestement aucun compte dans leur prose suivante et continuent leur propagande, tels des machines programmées pour s’adresser à des idiots’’.

      ça doit faire partie du contrat, tacitement re-ou-é-conduit par leur boss intransigeant : 

      ’’ou tu écris et tu répète ce que je te dis, ou tu dégage !...’’ 

      Vous voyez Route Hell Kriff, Puejadas, Kalvy & co manifester dans la rue pour une information libre et indépendante ?

       smiley

      Ces gens sont des privilégiés, ils ne tiennent pas à perdre une place inespérée, au vu de leur compétence réelle ; raconter n’importe quoi c’est facile, pas besoin de qualification !


      Et au dessous dans la hiérarchie c’est pire, car ils ont encore moins le choix, jusqu’aux misérables trolls, qui eux doivent vraiment trimer dur et dans l’anonymat pour ramasser des miettes, enfin j’imagine...





       


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