mardi 10 novembre 2015 - par Pierre JC Allard

Marx, Asimov, Orwell… Le sceau des prophètes laïques

De Jonas, David, Elie, Jeremie - enchâssés dans la Bible - aux « preachers » juchés sur leurs boîtes à savon de Hyde Park Corner, le monde n’a jamais manqué de grands prophètes, ni de diseuses de bonne aventure.  Heureusement, car n’est-il pas évident que tout ce qui sera est en germe dans ce qui est, et que, si on regarde bien on verra tout… ? Alors, depuis toujours, on prédit et on « prophétise…. »

Les Chinois s’inspiraient des écailles de tortue, les Romains des entrailles des victimes, puis on a fait co-signer les « scoops » par des Nostradamus ou par Dieu lui-même sous divers pseudos, en attendant que la Science prenne sa place. Quand ce fut fait, on put laisser sortir enfin les futurologues : les prophètes laïques dont nous suivons les oracles.

Instructives leurs prophéties ? Il y a eu des bides amusants, ; comme quand Simon Newcombe, le polymath le mieux coté de son époque, a dit qu’avec les moyens disponibles le plus lourd que l’air ne pourrait jamais voler... alors que l’appareil des frères Wright était pratiquement au décollage…. ! Quelques mauvaises notes, donc, mais, généralement on a assez bien vu venir Côté science et techno, s’entend, car quand on a lu les feuilles de thé pour la politique on s’est surtout gouré. Tyrannie, démocratie…. La boule de cristal est souvent restée opaque, même pour les tendances lourdes.

Qui aurait pu prédire, par exemple, que les USA, pays fondé par des déracinés contestataires, s’en tiendrait à une seule constitution durant des siècles, alors qu’un pays de vieille civilisation comme le France épuiserait trois (3) monarchies, deux (2) empires et cinq (5) républiques, en plus des singularités de type Directoire, Consulat et Etat Français ?

Cela dit il y a eu d’étonnants prophètes. Marx, bien sûr, mais aussi Alvin Tofler qui, dans Le choc du Futur, a prédit à peu près tout. Des visionnaires comme Asimov qui, non seulement a dit son mot sur toute l’épopée humaine, mais en a parfois décrit des aspects avec un luxe de détails digne d’un pro. Ainsi, dans Fondation, quand il nous montre comment, en manipulant les variables culturelles et économiques, un État sagace peut triompher d’un rival militairement plus puissant. Un manuel pour la Guerre Froide….

Personne plus étonnant que Orwell, toutefois, qu’on peut voir pout l’instant comme le sceau des prophètes laiques, puisqu’il a décrit, dans « 1984  » - publié en 1949 - le monde tripolaire qui est à s’organiser aujourd’hui sous nos yeux !

Quel monde ? Celui de trois (3) super-états, ostentatoirement commis à des guerres sans victoire possible - ni même vraiment voulue ! - puisque chacun dirigé pas par sa propre oligarchie, a pour but premier de garder son pouvoi intact et perenne dans une lutte incessante contre … sa propre population !  Les conflits avec les ennemis apparents ne sont là que. Chacun, en alternance, peut donc s’opposer aux deux autres, dans le cadre d’alliances en continuel changement. … qui ne sont que des simulacres,

Oceania, Eurasia, Eastasia…. . Les entités politiques que présente Orwell sont si vastes qu’elles ne peuvent être conquises et occupées, faisant de la connivence larvée de chacune une donnée incontournable de la stratégies de l’oligarchie des deux autres. Peut-on ne pas y voir l’Amérique, la Chine et la Russie, cherchant elles aussi l’équilibre global dans un état de « non-guerre » …. mais de rivalité musclée permanente ?

Une rivalité favorable à une dynamique de commerce et d’amusantes intrigues byzantines, pour le plaisir et l’enrichissement du 0,0001%, des mortels, une caste de milliardaires présente chez chacun des Trois Grands. L’Inde et le Japon sont la, en réserve du futur, se faisant - ou ne se faisant pas - un destin pour demain, mais qu’ils devront arracher de ceux déjà bien en place. L’Afrique et l’Islamie sont des territoires destinés au chaos, propices aux aventures et aux grandes ambitions chères à Kipling. « East of Suez. where the best is like the worst. Where there aren't no Ten Commandments and a man can raise a thirst… »

Que manque-t-il à notre monde pour qu’il réalise la prophétie orwellienne ? D’abord que l’U.E se détache de l’Amérique et fusionne avec la Russie pour donner à Eurasia  le poids économique qui en fera une entité au moins égale aux deux autres. Ensuite, que toute prétention à une gouvernance démocratique s’estompe pour faire place au fascisme collégial ou dictatorial qui est la gouvernance que laisse supposer Orwell.

Est-ce l’avenir que nous voulons ? Bien sûr que non ! Mais voyons-nous des signes tangibles d’une résistance des individus à cette évolution ? Si l’on ne s’insurge pas contre l’anéantissement progressif de toute référence concrète a la volonté populaire pour déterminer les orientation de nos société, n’est-il pas évident que les vestiges quasi parodiques de démocratie qui subsistent seront très bientôt supprimés ?

Seul un changement de la finalité que nous voulons donner à l’existence humaine empêchera que se réalise la prophétie d’Orwell. J’en parlerai dans mon prochain article.

 

Pierre JC Allard

 



22 réactions


  • Le p’tit Charles 10 novembre 2015 09:51

    Souvenir quand j’étais étudiant à Londres..j’allais écouter les prêches dans Hyde Park...

    Tout et n’importe quoi, mais la liberté de parole..
    Nos hommes politiques fréquentes les diseuses de bonnes aventures..pour trouver le GRAL dans les cartes fautes de trouver des idées dans leur petite tête..
    Les arnaqueurs dirigent la planète ne trouvant que peu d’opposition en face pour leur tenir tête..Nous aurions p’être du rester dans nos arbres plutôt que d’en descendre.. ?

    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 10 novembre 2015 14:13

      @Le p’tit Charles


      « Tout et n’importe quoi, mais la liberté de parole »

      La grande découverte des tyrans modernes a été que l’Homme ne se bat pas tant pour ses droits que pour sa dignité et son image de lui-même. Si on feint de reculer quand il jappe, le chien ne mord pas. Greves, manifestations... baroud d’honneur et la paix. 

       « Ils chantent, ils paieront... » 
       
      PJCA

    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 10 novembre 2015 14:22

      @Pierre JC Allard


      Coquille au paragraphe 7. Compléter : " Les conflits avec les ennemis apparents ne sont là (que pour la frime)

      PJCA


  • Francis, agnotologue JL 10 novembre 2015 11:36

    ’’Que manque-t-il à notre monde pour qu’il réalise la prophétie orwellienne ? D’abord que l’U.E se détache de l’Amérique et fusionne avec la Russie pour donner à Eurasia  le poids économique qui en fera une entité au moins égale aux deux autres.’’


    Mais qui aujourd’hui, souhaite que l’UE se détache de l’Amérique et fusionne avec la Russie ?

    Et c’est peut-être cela qui fait la faiblesses des Européens, et la force des Anglo-Américains.

    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 10 novembre 2015 14:27

      @JL


      Beaucoup de ceux qui pensent un peu le souhaitent. Mais on dit : « joindre la Russie à l’U.E. » .Affaire de dignité et d’image de nous-memes. Ecoutez bien : nous jappons sur Internet

      PJCA

    • Francis, agnotologue JL 11 novembre 2015 09:43

      @Pierre JC Allard,


      ’’Joindre la Russie à l’UE’’,

      C’est en effet, du même tonneau que ’’la Russie est aux portes de l’OTAN’’.

      Il semble que les médias mainstream aient changé de discours : aujourd’hui ils évoquent allègrement un grexit britannique, une sortie anglaise de l’UE.

      Ils peuvent : avec le TAFTA, la finance anglo-américaine n’a plus besoin de l’UE : ça fait double emploi.

  • bakerstreet bakerstreet 10 novembre 2015 12:49

    Vous oubliez Aldous Huxley, dans vos visionnaires. Huxley qui avait d’ailleurs un sérieux problème oculaire, et termina sa vie à peu près aveugle ; comme quoi certains handicaps vous poussent à étendre vos antennes ailleurs. On a beaucoup oublié cet auteur, même si on sait qu’il a écrit le « meilleur des mondes ». Le pendant ou le complément de 1984, puisque Huxley se fit le prophète d’un monde connecté, avec son « cinéma auto-sentant », si ma mémoire est bonne, et pourtant j’ai lu ce bouquin en 71...Et je me souviens de ses pilules du bonheur, d’un monde clivé entre une classe dirigeante promise à l’éternelle jeunesse, et d’autres restés à l’age de pierres, de robots humanoïdes....Peut être qu’Huxley devait beaucoup à HG Wells, sans doute le grand prophète des temps à venir. Si Jules Vernes avait une vision assez positive de l’avenir, et une foi en l’homme, tout de même il déclina dans quelques romans ce personnage inquiétant de savant fou, ou de révolté, paranoïaque ou illuminé comme ce capitaine Nemo, du Nautilus...Wells, à travers son personnage du docteur Moreau, travaillant sur son île perdue à fabriquer des mutants, préfigure les expériences nazies et les travaux génétiques. En tout cas dés le début du vingtième siècle il a une vision sombre et originale de l’avenir : « La guerre des mondes », « L’homme invisible », sont des œuvres marquantes, au delà du roman d’aventures. Orwell a d’ailleurs entretenu longtemps une correspondance avec Wells. Ils partageaient tous deux des préoccupations sociales, et c’est peut être l’ingrédient indispensable pour ne pas se faire le jouet des postures scientifiques trop admiratives. Penser aux conséquences sur l’homme de la rue.


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 10 novembre 2015 14:34

      @bakerstreet


      Merci beaucoup pour ce complément d’information. Je ne me voulais pas exhaustif, mais tous les renseignements ajoutés sont bien appréciés. . Je ne parle jamais de Huxley, toutefois, ça mène a Tavistock a qui je ne cherche pas querelle.
      PJCA

  • Samson Samson 10 novembre 2015 14:11

    Le Big Brother orwellien, amélioré par l’interactivité, est en tout cas déjà bien en place.
    Au chapitre prophétique, on retiendra aussi le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley : outre un « soma » qui préfigure le prozac, sa vision est largement confirmée par les investissement massifs de Google dans l’idéologie transhumaniste.
    Sinon, un certain nombre d’auteurs de science-fiction des années ’50 aux années ’70 avaient bien imaginé nos futurs « enchanteurs ». Je retiendrai particulièrement Van Voght et Philip K. Dick, que je relis toujours avec plaisir.
    Parfois, certaines prospectives se révèlent amusantes : si John Boyd avait fort bien imaginé certaines dérives médicales dans « La ferme aux organes », il avait complètement manqué celle de la bureautique.

    Salutations ! smiley


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 10 novembre 2015 14:46

      @Samson


      Mème remarque qu’a Bakerstreet ci-dessus. j’en profite pour souligner les efforts pour détourner l’intérêt du corpus de la Sci-fi...dont on a compris qu’il peut être signifiant. On a saboté Dune, on reporte toujours Asimov.... et on fait tout pour mousser les ’super héros’ faisant bifurquer vers les contes de fées... Une autre façon d’abêtir....

      PJCA


    • bakerstreet bakerstreet 10 novembre 2015 18:58

      @Pierre JC Allard

      Oui, vous avez raison. 
      On retient de la science fiction ce qui ne dérange pas, un prolongement des romans moyenâgeux, superman nouveau chevalier blanc...Dans la vison simpliste du monde de la Bande dessinée, et des héros issus de Bob Morane et de Blake et Mortimer, je n’aurais pourtant jamais pensé que le corollaire des « méchants », genre l’affreux Olrik, ou l’ombre jaune, « recherché par toutes les polices et interpool » verrait un jour son avènement dans des personnages tels que Ben Laden ou le mollah Omar.....Décidément notre époque recrute ses savants fous et ses terroristes à tous les râteliers de la littérature.
      Sinon, autre d’émancipation dont on ne pense pas : Conan Doyle. Il ne se borna pas aux aventures de Sherlock Holmes. En fait c’est dans le théâtre qu’il aurait voulu exceller...Mais il était très attiré aussi par le spiritisme, et le fantastique, écrivant quelques nouvelles d’anticipation. Dans « Quand la terre hurlera », il parle du cri phénoménal qui surgit du fond de notre terre, quand celle ci est blessée par un trépan, dirigé par une expédition de scientifique. Là aussi voilà quelqu’un qui nous dit que nous sommes des apprentis sorciers, risquant de déclencher des catastrophes, et d’autre part, que la terre est un organisme vivant....
      Une vision totalement futuriste et combien vérifiée depuis quelques temps

    • bakerstreet bakerstreet 10 novembre 2015 19:05

      @bakerstreet
      J’ai oublié de parler de ce petit roman de Vladimir Boulgakof, sur les manipulations et les transplantations, qui est à la fois philosophique et désopilant : « Coeur de chien ! ».....Mais peut être que Shakespeare dans ’le songe d’une nuit d’été", nous en dit déjà autant. L’amour est la première chose au monde susceptible de nous faire perdre la peine, et une princesse est capable de tomber amoureuse d’un ane, sans qu’on ait besoin de greffer à celui ci la tête d’un prince charmant.


    • bakerstreet bakerstreet 10 novembre 2015 19:06

      @bakerstreet
      « de nous faire perdre la peine »,...il faut lire « perdre la tête ! ».....


  • wawa wawa 10 novembre 2015 18:33

    effectivement 1984 est un must d’anticipation. Ce qui me marque est la tendance « miniver » de l’information, où finalement m^me pas besoin de fonctionnaire pour refaire les article de journaux : La quantité d’information produite et dupliquée par des logiciel est telle que la cohérence n’est m^me plus necessaire : ce qui a plus d’une semaine est déja oublié, noyée sous les tombereaux de gigabit.


    le trépied estasia oceania eurasia est effectivement en constitution en ce moment c’est oceania contre estasia allié à eurasia

    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 11 novembre 2015 02:20

      @wawa

      Tous les médias d’une quelconque importance s’alimente maintenant a une méme source, de sorte que lacvision que l’on nous donne devient la reference indiscutéee pour la réalité., OR ELLE EST FAUSSE !,,, Lisez les médias sur la situation en Syie avant que la propagande américaine ne la déforme et vous voyez un pays ou le gouvernement de Bachar est très généralement accepté. On y a exporté une contestation et maintenant on nous montre Bachar comme à la source de cette contestation ! On me change plus les textes comme dans 1984 : on s’en remet au fait que la population OUBLIE et croit ce qu’on lui dit aujourd’hui.Il semble que ce soit la nature humaine qui ne soit pas a la hauteur...


      PJCA

  • wawa wawa 10 novembre 2015 18:38

    ben qu’est ce qui se passe aujourd’hui sur avox ?


    une dizaine de nartic interessant à lire, 

    alors que parfois on en voit aucun ?

    renouveau ou simple bruit de fond statistique ?
    tant mieux je vais avoir de la lecture ce 11/11

  • Aristoto Aristoto 10 novembre 2015 21:06

    L’important c d’ensemencer la terre ! La réside la véritable Culture de tout peuple.


  • izarn izarn 11 novembre 2015 02:57

    Mais il n’y pas grand chose de nouveau sous le ciel....Un certain nombre d’auteurs ont surtout des connaissances historiques et culturelles. Parfois nos prédicateurs n’ont fait qu’un copier collé historique...A la place d’une épée on met un avion, une fusée...A lieu d’un pays on désigne une autre planète...
    On peut inventer la Terre du Milieu de Tolkien, pourtant inspirée des mythes et saga noroises...
    On s’amuser de Sauron et des « Deux tours »....
    Alors Orwell nous parle de qui ? De Staline ou de Roosevelt, réelu 4 fois ? De sa société de consommation organisée comme abrutissement des masses grace à la TV et Hollywood ? Des bombes A sur le Japon ?
    La fiction permet souvent de retrouver le passé...Défiguré par les dictatures douces ou brutales.
    Retrouver la mémoire, c’est lutter contre la lobotomie de nos sociétés.


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 11 novembre 2015 07:00

      @izarn


      Vous avez raison. Le cas le plus évident est bien sûr Asimov lui-mème, et Star Trek est une suite de bien transparentes allégories, avec les Russes, les Chinois et les autre. Mais Orwell m’ impressionné par sa vision de la relation entre gouvernants et gouvernés... et de la cynique reconstruction en continu de l’Histoire qui nous saute maintenant aux yeux tous les jours. . Un autre auteur qui me semble le maitre de la prévision a moyen plutôt qu’a long terme est Brunner.  « Stand on Zanzibar » pourrait être l’actualité...

      PJCA..


  • Zolko Zolko 11 novembre 2015 13:30

    Quand vous citez le cycle des Fondations d’Asimov, on peut aussi y voir une oligarchie de pouvoir qui, avec de subtiles manipulations psychologiques - aujourd’hui on parlerait de propagande - gouverne, de l’ombre, la galaxie entière (dans « Seconde Fondation »).
     
    Par contre, ses prévisions de la robotique - et surtout la 1ère loi - sont complètement à côtés de la plaque. Aujourd’hui, les robots qui « pensent » (les drones) servent surtout à tuer.


  • Denis Gelinas Denis Gelinas 15 novembre 2015 06:14

    Bonjour Pierre

    depuis le 11 septembre 2001 nous vivons dans le cauchemard du monde de Orwell. Big Brother is watching us et la police de la pensée est à chaque instant à nous poursuivre sur le net avec ses commissaires qui brandissent l’anathème de l’antisémitisme lorsqu’on ose nommer Goldman Sach ou tout autre oligarchie mondiale au nom d’or , d’argent ou de pierreries. On nous impose le silence à défaut de nous réformer comme le Système l’a fait pour les élèves qui refusaient de se dire Charlie en janvier.

    1984 c’est maintenant et la novlangue est à son apogée.

    Curieux que Jean François Bélanger, Marie-Eve Bédard, Michel C. Auger (journalistes propagandistes de Radio-Canada) soient à Paris depuis déjà quelques jours, non ? On vient tout juste d’y envoyer Alexandra Chaska et Raymond St-Pierre en renfort !


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