vendredi 20 mai 2011 - par Krokodilo

Mieux vaut se moquer des espérantistes que des sourds !

Le point a récemment titré « L'espéranto des singes » un article expliquant que les différentes espèces de grands singes ont certains gestes en commun.

Le journaliste relatait une publication de Catherine Hobaiter, de l'université de St Andrews, qui a identifié 66 gestes de communication chez les chimpanzés. Certains de ces gestes seraient communs à d'autres grands singes, comme les gorilles et les orangs-outans.

Ce geste-là signifierait "Oh ! Ma tête !" (sous réserve de confirmation scientifique) :

Mais l'espéranto est une langue, pas un ensemble de gestes ! Une langue construite dont la grammaire est simplifiée, et dont les mots sont millénaires, principalement puisés dans les racines latines et grecques.

La meilleure analogie eût été de titrer : « La langue des signes des singes », ou encore : « Les singes ont une langue des signes ».

Bien évidemment, la langue des signes (LS) est largement plus complexe et plus subtile que ces dizaines de gestes communs à quelques espèces de singes.

Mais le vrai problème n'était-il pas qu'un tel titre aurait pu être mal vécu par les sourds - pardon : les malentendants ? Ce serait politiquement incorrect, ils risqueraient d'y voir une moquerie, voire de provoquer par contagion une protestation de diverses associations de handicapés : « Comment ? Vous comparez des handicapés à des singes ? », une querelle rappelant les polémiques déclenchées par Darwin – et encore maintenant entretenues par les créationnistes.

Alors que les espérantophones ou espérantistes (ce sont en gros les mêmes, mais militants), eux, ont l'habitude d'être moqués, particulièrement en France, bombardés de clichés ou noyés sous les préjugés.

La LS a déjà un label universitaire, une formation d'interprètes à Toulouse, alors que l'espéranto (Eo) en est encore à demander l'option au bac ! (Une pétition est d'ailleurs en cours en ce moment.

D'un autre côté, ce choix du journaliste ne serait-il pas finalement une manière de reconnaissance ?

Car la LS est différente d'un pays à l'autre, d'une langue à l'autre, avec même des variations régionales (tendant à disparaître), tandis que l'espéranto est international – c'est sa raison d'être, sa vocation.

L'espéranto est un moyen pour toute une espèce de franchir la barrière linguistique, disponible pendant qu'on s'obstine vainement dans des voies qui ont prouvé leur injustice et leur inefficacité : l'anglais, ou les investissements répétés dans la technologie, qui malgré des progrès dus à la traduction par analyse statistique, nous offre surtout depuis des années une succession d'effets d'annonce, afin d'obtenir des investissements.

L'UE vient justement d'investir 6 millions d'euros :

« L'autre projet META-NET, s'est vu attribuer 6 millions d'euros de Bruxelles pour construire une alliance des technologies facilitant une Europe multilingue. » , alors que l'UE est totalement anglophone, à l'exception du Parlement !

Parallèlement, l'UE n'a jamais dépensé un seul euro pour vérifier la vitesse d'apprentissage de l'espéranto, sans rival dans ce domaine, ou sa fiabilité en traduction : deux points de toute façon déjà confirmés depuis longtemps par la SDN, ancêtre de l'ONU. Les facteurs décisionnels ne sont pas techniques ni pédagogiques mais politiques.

Minuscule progrès : l'UE lui consacre quelques lignes dans son étude sur le phénomène lingua franca. (Téléchargeable en pdf)

« Even Esperanto, the most successful among them, is confined to a restricted community of staunch supporters, without any real impact on political, cultural or economic exchanges at a wider level. On the contrary, the actual communication among people not sharing the same language has always been ensured by natural languages ortheir ad hoc varieties. Today is no exception. In the past decades English has spread as the vehicular language in our globalised world in all domains at an unprecedented pace, although it is not as regular or as easy to learn as constructed languages, nor does it guarantee a level playing field for all parties in all speech situations. »

Qui inclut également un entretien avec François Grin :
« I have mentioned translation and interpretation. I have mentioned inter comprehension. I would also suggest making some space for Esperanto as part of the solution — not as the solution, but as part of the solution — because it is about 7-8 times cheaper and faster to learn than any other language, and it remains a much more balanced solution than any alternative that relies entirely on the language of one of the participants in the exchange, which is the problem with English. »

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Signes

Globalement, la diffusion de l'anglais est présentée dans cette étude de l'UE comme un phénomène naturel - ce qui est une vaste blague.

Alors, oui : les grands singes ont quelques gestes en commun, les Indiens des plaines leur langue des signes, les malentendants de nombreux pays chacun la leur – complexe - mais les hommes, ensemble, ont inventé l'espéranto pour traverser les frontières linguistiques et mentales, et surmonter enfin la malédiction de Babel.

Pas si bêtes nos cousins les singes et, s'ils pouvaient parler, je suis sûr qu'ils nous diraient : « Mais qu'est-ce que vous attendez pour essayer l'espéranto ? »

Nota : Le Point a passé mon commentaire (similaire) après leur article, mais les [...] initiaux remplacent en fait « Quelle honte ce titre ! », une exclamation qui n'est ni une insulte ni une grossièreté, mais un qualificatif qui m'est venu spontanément, une expression décrite dans le dictionnaire comme une « tournure exclamative. »

Modérer, oui, mais censurer inutilement semble commun à de nombreuses espèces !



14 réactions


  • Krokodilo Krokodilo 20 mai 2011 11:00

    Petites erreurs de manip avec les photos. Mais l’article est garanti sans aucun commentaire sur DSK.


  • L’Ankou 20 mai 2011 12:49

    Ah ? Vous ne parlez donc pas des Bonobos et de leurs pratiques sociales remarquables ?


  • L’Ankou 20 mai 2011 13:00

    Plus sérieusement, l’article que vous incriminez ne pouvait s’intituler comme vous le préconisez parce que, justement, la langue des signes, au moins chez les humains, n’a rien d’universel. Il existe de multiples langues des signes qui font que deux sourds-muets de deux régions différentes du monde ne se comprendront pas nécessairement.

    Les postures, les attitudes, les expressions faciales sont sans doute plus universelles, mais même cela n’est pas sûr : le hochement de tête n’est pas partout une approbation.

    Pour évoquer, journalistiquement, un langage « universel », le recours à l’espéranto reste la fiction la plus signifiante. Il n’a rien d’universel, je vous le concède, mais il affiche outrageusement la prétention risible de le devenir. Dans les faits, ça reste un épiphénomène mineur et marginal, qui ressemble comme deux goutes d’eau à une façon de compliquer d’avantage le problème plutôt que de le résoudre.

    Bien à vous,
    L’Ankou


    • Krokodilo Krokodilo 20 mai 2011 14:15

      Ben, c’est exactement le raisonnement que j’ai suivi, non ? D’abord réfléchir sur les signes, puis tenir compte du fait que la LS est très différente d’un pays à l’autre, et non commune à toute une espèce. D’où finalement la (relative) justesse de l’analogie, malgré ma (relative ) indignation que l’on compare des signes et une langue. Mais je doute que le journaliste ait raisonné ainsi.
      L’Eo n’a aucune « prétention » à devenir universel, international suffit, et il l’est déjà ! Curieuse tendance humaine à nier les faits, et à refuser toute innovation trop révolutionnaire.
      « Mineur et marginal », oui, tout simplement parce que l’UE soutient l’anglais, et que chaque grande langue préfère soutenir sa propre cause que d’essayer de chercher une solution à l’incommunicabilité mondiale, qu’on peut également appeler aphasie linguistique mondiale : l’espèce humaine ne se comprend pas, ne dispose pas d’un outil de communication international, malgré la mondialisation.
      L’Eo n’affiche rien « outrageusement », ni ne prétend à la perfection, c’est seulement le meilleur outil disponible en magasin pour surmonter Babel.
      Compliquer le problème plutôt que le résoudre ? Parce que l’anglais, lui, simplifie le problème ? Pourquoi alors fait-on tant de « buzz » et tant d’investissements sur les « solutions » technologiques ?


  • Gonzague Gonzague 20 mai 2011 14:54

    "Pas si bêtes nos cousins les singes et, s’ils pouvaient parler, je suis sûr qu’ils nous diraient : « Mais qu’est-ce que vous attendez pour essayer l’espéranto ? »"

    Etant données leurs attentes primaires, ce ne serait effectivement pas très étonnant.


  • cob 20 mai 2011 15:09
    Alors là je ne comprends pas.

    L’espéranto est employé comme une métaphore pour désigner la forme de communication maîtresse et UNIVERSELLE utilisée au sein d’un groupe d’espèces vivantes. Ça devrait plutôt vous faire plaisir, non ?

    La langue des signes n’est pas la forme de communication maîtresse de l’espèce humaine, voilà pourquoi la comparaison aurait été impropre.

    • Krokodilo Krokodilo 20 mai 2011 16:03

      Effectivement, c’est d’ailleurs ma conclusion, après une réaction initiale de surprise. Mais c’est ambigü, car cela contribue à propager l’idée d’une sous-langue, à peine plus performante que des signes, surtout sans explication à ce sujet dans l’article.
      D’accord pour l’usage de la métaphore, mais à la condition de faire quelques lignes sur l’espéranto, afin d’éviter l’idée d’une communication médiocre analogue à celle des singes.


  • eugène wermelinger eugène wermelinger 20 mai 2011 17:28

    Voilà ce que l’on peut lire sur le blog de la région auxois-morvan (si si, c’est qqpart en France) :

    http://regionauxois-morvan.blog4ever.com/blog/lire-article-465649-2215780-du_patois_morvandiau__en_passant_par_le_francais__.html

    Il doit y avoir dans les profondes forêts du Morvan quelques grands singes en embuscade.
    Méfiez-vous en descendant la 6, c’est à droite, après Saulieu.


  • L'enfoiré L’enfoiré 20 mai 2011 17:57

    Salut Krokodilo,
     Je ne pige pas le titre du Point.
     Qu’ont-ils voulu prouver par là ?
     Ils n’ont aucun connaissent de ce qu’est un langage parlé ou écrit.
     Il y a des baffes qui se perdent derrière les modérateurs du Point.
     Je tire ou je pointe ?
     Cette fois, je tire. smiley 


    • Krokodilo Krokodilo 20 mai 2011 18:14

      Une « langue » qui transcende les barrières des espèces ou sous-espèces. Nous, nous sommes une seule espèce, mais s’il avait ajouté quelques lignes explicatives, ce n’était pas si mal vu.


  • Hermes Hermes 20 mai 2011 20:01

    Quand j’ai lu le petit article du Point, je n’ai pas ressenti de moquerie. Le langage c’est quoi ? C’est le moyen de communiquer entre individus de l’espèce humaine. Une langue, c’est quoi ? Une des multiples formes du langage. Une langue, c’est aussi bien, un mode du langage qu’il soit écrit, parlé, gestuel ou corporel. 


    La scientifique, qui a étudié différentes espèces de singes, a découvert que ces primates avaient, au delà d’une seule forme du langage dans l’espèce, une seule forme du langage commune à plusieurs espèces, soit un moyen de communication commun, comme cela est la valeur de l’esperanto.

  • Krokodilo Krokodilo 21 mai 2011 10:38

    Merci la rédaction pour avoir corrigé le bazar dans les photos.


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