mercredi 18 janvier 2017 - par alinea

Moins c’est plus : vers une économie de post-croissance

Niko Paech commence ici à faire l’apologie de l’économie de proximité, il en liste les qualités :

 

Transparence donnée par le climat de confiance que permet la négation de l’anonymat.

Empathie, « un lien direct entre les acteurs économiques, plus riches que les relations anonymes, limite le risque que s’immisce entre eux une logique de pure maximisation des profits ou des rendements.

Une communauté d’intérêts, puisque le lieu entre les investisseurs et les consommateurs est réciproque, la volonté d’exiger plus de dividendes se retournerait contre celui-ci devenu consommateur.

Contrôle de l’utilisation ; quand on sait dans quel secteur notre capital est favorisé, projets locaux, écologiques, sociaux, artistiques,etc, on se fiche que la rentabilité ne soit pas énorme puisque le choix de la cible correspond à sa propre éthique.

La monnaie locale, utilisable pour toute productions et services locaux sort du domaine de la spéculation puisqu’elle est conçue pour circuler et tend à perdre de sa valeur si on ne l’utilise pas. La spéculation sur tous les produits de première nécessité devra être bannie.

 

La spéculation, les dividendes sur l’immobilier primaire – on se fout qu’ils spéculent sur leurs hôtels particuliers ou châteaux-, sur la production agricole, sur l’eau, l’énergie, et ce que j’oublie, relève de la politique économique nationale et internationale ; je ne suis pas assez avisée pour développer ce point de programme bien que j’aie lu dans certains projets des points s’y rapportant. Le pouvoir d’achat, qui est si injustement réparti, sera bien entendu à la baisse si les économies locales se substituaient autant que faire se peut, aux économies mondiales.

Finis les esclaves bengali ou chinois, finie la monoculture imposée jusqu’à appauvrir à l’extrême les habitants des terres riches, finie la flexibilité du travailleur kleenex, qui ne serait pas due à sa propre volonté. Outre qu’une grande partie serait dévolu à la nourriture, pour se nourrir vraiment pas se rendre malade pour courir engraisser Big Pharma, les biens de consommations, produits hors esclavage, hors obsolescence programmée, donc hors pillage et sans pollution, seraient des dépenses à prévoir, choisir, plutôt que céder à une pulsion elle-même obsolète très vite. Il faudrait d’ailleurs savoir s’ils seraient plus chers à terme, ces objets réparables, que l’on partagerait plus volontiers, et ferait réparer dans le voisinage ; les centres ville redeviendraient l’antre des artisans, des travailleurs, souvenez-vous, naguère, la vie qui s’exhalait de ces ateliers, ces boutiques, tandis que les faubourgs étaient des jardins. J’ai connu les quartiers dits « populaires » des villes habités par les travailleurs, leurs ateliers, leurs échoppes ; à la terrasse des bouis-bouis, des travailleurs, les retraités venaient tailler la bavette avec les actifs, donner un coup de main, et en passants, quiconque avait besoin d’eux ; c’était beau, « dans son jus » comme on dit dans les agences immobilières ; aujourd’hui boutiques de luxe, restos hors de prix, c’est beau, rénové, comme un décor, au dessus des ateliers fermés, des appartements restaurés au loyer prohibitif. Aujourd’hui, les esseulés n’ont plus que les bancs des grandes surfaces de grande distribution pour s’asseoir, et regarder passer les figurants hâtifs d’un monde vide de sens.

Le besoin de gratuité étant très fort chez les humains, il pourrait tout aussi bien se mettre au service du nécessaire et sans passer par les bonnes œuvres organisées en association, se concrétiser par des coups demain, un partage des tâches, une entraide gracieuse payée juste d’un coup à boire et de ce moment passé à vivre. Mais il semble qu’y soit préféré la méfiance jusqu’à la paranoïa, la bagarre, au tribunal si besoin et de préférence, l’anonymat et, à tous les coins, l’arnaque dont on se demande si elle rend bien heureux.

Vous adorez être harcelés au téléphone ? Cela vous laisse indifférents de raccrocher au nez d’un esclave de la pub qui s’invite chez vous à huit heures du soir ? Vous adorez être agressés par les pubs, uniques œuvres d’art contemporain, et, gratuites s’il vous plaît ; enfin non, on les paye. Vous adorez l’incompétence et l’interchangeabilité du vendeur au rayon bricolage ? Vous adorez la déco, partout la même, de la chaîne de resto ou vous fêtez rencontres, retrouvailles, épousailles ? Vous n’êtes pas gêner de ne rien pouvoir, de ne rien décider de votre environnement ? Alors, l’économie de post-croissance n’est pas pour vous.

Dans son chapitre sur les objets, Niko Paech détaille – non seulement la longévité et la réparabilité propices à l’écologie- mais aussi le fait que tous les objets pourraient être utilisés plus intensément, pourvu qu’on les partage. Échange ou co-propriété, au choix, mais un aspirateur, une machine à pain, un hachoir à viande, un karcher, une grande échelle, que sais-je, utilisés trois fois l’an chez chacun, ça laisse de la marge ! Dans les petites communes, cela pourrait même être propriété communale. Sans compter que tous ne sont pas utiles ! Il en faut des placards, des combles, des garages pour que chacun ait tout à la maison ! Compulsion de l’achat…. serait frustrée !

 

Temps et sobriété

 

« Le sentiment de satisfaction découle aussi des relations interpersonnelles, de l’intégrité de l’entourage, de la reconnaissance sociale des facultés, de l’efficacité personnelle, de l’état de santé, du sentiment de sécurité et d’un environnement perçu comme préservé. Réunir ces composants du bonheur ne réclame pas de l’argent, mais du temps. Le financement d’un niveau de vie toujours plus élevé impose de maximiser le travail rémunéré et donc de consacrer moins de temps à des activités hors-marché, comme l’éducation des enfants, l’engagement social, l’entretien de la maison, du jardin, désormais transformés en actes de consommation et en services marchands. »

Ce paragraphe me paraît bien résumer l’enfer qu’on s’est construit en détruisant ce qu’il décrit.

 

À quoi ressemblerait une politique de post-croissance ?

« En premier lieu, les réformes financières et monétaires devront freiner cette dynamique de croissance incontrôlable, qui nous a entraînés bien au-delà d’un niveau d’approvisionnement généralisable. Outre la taxe sur les transactions financières portée par Attac, d’autres régulations sont nécessaires.

C’est le cas d’une réforme du système monétaire… qui contiendrait la création presque infinie de monnaie par les banques commerciales ; privilège étatique de la création monétaire, déblocage de liquidités pour la dépense publique et la fin de toutes les monnaies de crédit par les banques commerciales.

Comme on l’a vu, développement des monnaies régionales. Une réforme des droits des sols : le sol n’est pas un bien créé par l’homme mais une ressource finie transmise par une génération d’utilisateurs à la suivante…, ainsi : fermage public et non plus concentré dans les mains de quelques-uns sous le régime de la propriété privée. La jouissance de ces terrains sera conditionnée à une utilisation écologique.

Mettre fin à la scandaleuse jungle de subventions publiques aux secteurs les plus polluants, construction, transport, industrie, agriculture.

Transformer les friches industrielles, soit en les revégétalisant soit en y implantant des installations d’énergie renouvelable. ( ces questions énergétiques ont été développées dans mon premier article de présentation de Niko Paech, entre autres dans les vidéos qui y étaient jointes.)

« … Si nous prenons au sérieux la thèse selon laquelle il n’existe pas de solution technique au problème de la croissance, il ne nous reste que des stratégies de réduction qui affecteront inévitablement nos modes de vie. »

« Aucun régime démocratiquement élu ne pousse à un changement social, c’est toujours le changement social qui précède et amène une évolution politique. Nos décideurs politiques se sentiront encouragés à un tel programme lorsque nous leur enverrons suffisamment de signaux crédibles, leur signifiant ainsi que nous sommes prêts à supporter un changement. »

 

Avant de conclure, et de vous encourager à lire ce petit livre parce que ce que je vous en ai dit n’est pas grand-chose, je voudrais faire un petit aparté sur le Revenu Universel.

Il y a toutes sortes de critiques faites sur cette idée, venant de tous les bords politiques et il y a aussi tous les accords, ou engouements, à ce sujet. Puisque l’on parle d’économie de post-croissance, je crois pouvoir affirmer que si le revenu universel en faisait partie, l’auteur l’aurait mentionné. Or, naturellement, ce n’est pas le cas. Le problème n’est pas d’avoir un minimum pour consommer le minimum vital – étant entendu que celui-ci est élastique- mais bien, finalement, ne plus consommer, mais subvenir à nos besoins d’autres manières. Je les ai évoquées ici. Si chaque besogne, chaque œuvre, chaque travail, chaque tâche avait sa raison d’être pour le bien commun, rémunérée ou échangée, si chaque production était une réponse à un besoin, l’entretien et le recyclage de tout cela donneraient assez de travail pour tous, localement ; quand le travail ne sera plus une oppression de plus en plus féroce, une exploitation plus injuste que jamais elle l’a été, travailler sera une satisfaction, la rentabilité se faisant au rythme de chacun, et l’usure toujours aux mêmes gestes dans des cadences infernales imposées ne sera plus le lot parce que, aussi, le changement de travail sera plus aisé. Chaque travail délaissé aujourd’hui parce que pas rentable, retrouvera ses lettres de noblesse, et le travail manuel, même celui qui ne demande pas de savoir-faire particulier, aura sa valeur d’utilité, indispensable au bien-vivre.

J’ai bien conscience que cette refonte de notre vie est bien plus difficile, non pas à concevoir, mais à réaliser, tant les pouvoirs en place en seraient anéantis, pourtant, c’est vers là qu’il faut aller si nous ne voulons pas devenir des zombis.

Pour terminer, j’ai retenu deux phrases, que je laisserai sans commentaire tant elles sont explicites :

« Celui ou celle qui renonce à la consommation et à la mobilité débridées, s’immunise contre le risque de finir comme le hamster, sur sa roue en quête de lui-même, et finalement totalement désorienté ».

« Est souverain, non celui qui possède, mais celui qui se contente de peu ».

 

/Se libérer du superflu » Niko Paech, traduit de l’allemand par Gabriel Lombard ; éditions Rue de l’Échiquier./




Réagir