vendredi 30 octobre 2015 - par Brice Bartneski

Mort à vendre

Préambule

Je devais avoir sept ou huit ans la première fois que j’ai entendu parler de la mort. Mes grands pères étaient des inconnus à un point où je me demandais si j'en avais eu. D'ailleurs ce n'était pas juste car mon grand-frère, lui, en avait eu. Il me disait qu'ils étaient partis et qu'ils ne reviendraient plus. Les copains à l'école me racontaient comment ils avaient pêché un poisson plus gros qu'eux avec leur grand-père. Ils m'expliquaient que leur papy, pépé, papou ou je ne sais quoi, leur avait réparé leur vélo et tout autre chose que je n'avais pas vécu. Pourquoi n'avais-je pas de grand-père ? Je posais la question à maman. Elle m’expliqua que comme tout le monde j'avais deux grands-pères mais qu’ils étaient au ciel. Je ne comprenais pas, puis elle me dit qu’ils étaient morts avant ma naissance. C’était bizarre cette sensation de comprendre que je ne comprenais toujours pas. C'est quoi la mort ? Est-ce que çà dure longtemps ? Est-ce que çà fait mal ? Comment ils font pour voler dans le ciel ? Pourquoi je ne les vois pas ? Pourquoi ils ne descendent pas me voir ? Devant toutes ces questions, maman avait l’air très embêtée. Comme si j’avais dit des gros mots. De toute façon tu es trop petit pour comprendre. Tu verras çà quand tu seras grand.

La mort, c’était donc un truc de grands. Comme le travail, les soucis, l’argent, faire des bébés, toutes ces choses qui n’étaient pas de mon âge. Pourtant, j’avais l’impression de connaître un peu le sujet parce qu’à la récré j’étais un cow-boy qui tuait des indiens. Pan ! t’es mort. L’indien tombait en se roulant par terre en criant, puis se relevait en disant : « on dirait que je suis pas mort ». Il repartait au galop en se tapant sur les fesses en hurlant « hiou ! hiou ! hiou ! » et Pan ! l’indien.

Comme ce n'était pas de mon âge, je restais un enfant et on verra bien quand je serais grand.

A seize ans, j’ai refusé d’aller à l’enterrement de Madame Bériot. C’était une vieille amie de mes parents. Elle les connaissait depuis qu’ils étaient gamins. C'était une bienfaitrice. Toujours le cœur sur la main. Elle avait été engagée comme secrétaire chez Renault après la guerre. C’est là qu’elle avait rencontré « son André ». Il était magasinier dans la même usine. Ils avaient à peine la vingtaine lorsqu’ils se sont mariés. A leur grand regret, Madame Bériot ne pouvait pas avoir d’enfant. C’est certainement ce qui explique ce lien si fort avec mes parents. Depuis toujours, je savais que Madame Bériot essayait de cacher cette douleur ancienne et toujours aussi vive. C'est dans l'alcool qu'elle noyait son manque et c'est l’alcool qui l’a tuée. Juste avant la vieillesse.

J’étais terrorisé à l’idée de voir un mort, un cercueil, une tombe. Pourtant, quelques mois plus tard, le chagrin et la séparation emportèrent son mari. J’allais devoir affronter la réalité en face car mes parents insistèrent pour que j’assiste aux funérailles. On se rendait donc à la morgue.

Monsieur Bériot avait l’air reposé. Le mal ne marquait plus son visage comme à l'hôpital. Son sourire forcé m'obligeait à penser qu'il était mieux là où il est. La mort avait pris du temps pour l'emporter. La souffrance a duré plusieurs semaines. Les médecins avaient décidé de l'amputer des deux jambes avant que le cœur ne lâche. Lui qui adorait conduire et cultiver son jardin.

Les croque-morts l’avaient installé sur une table en inox montée sur quatre roues. Une petite flaque d'eau sur le sol s'alimentait par un léger goutte à goutte qui s'échappait du plateau givré. Un homme en blouse blanche se trouvait à quatre pattes avec une serpillière et un seau. Monsieur Bériot était recouvert jusqu'au torse d’une parure en simili-satin jaune pâle bordée de dentelles en papier blanc. On l'avait habillé avec son costume du dimanche. Veste de velours grosses cottes marron foncé, gilet coton et synthétique bordeaux et noir sur chemise en coton petits carreaux blancs et jaunes, le tout rehaussée d'une cravate jaunâtre en coton gauffré. Les manches de la veste étaient collées par le gel sur l'inox. Sa tête reposait sur un cube de bois laqué noir. Il était coiffé, les cheveux plaqués en arrière. Les lunettes sur le nez. Rasé de prés. Ses mains étaient croisées sur la poitrine et enserraient un chapelet.

Un haut-parleur minuscule, fixé à la va-vite dans un coin du plafond de la pièce, vomissait un chant liturgique. Ce chuintement ne suffisait pas à couvrir le ronronnement du bloc moteur réfrigérant, comme un frigo dans la pièce. Il y avait une odeur que je ne connaissais pas, mélangée à celle de produits chimiques, de désodorisant, d'eau de javel, de renfermé et d’après-rasage, celui de Mr Bériot. La lumière était tamisée par des appliques murales bon marché. Des fleurs artificielles jaunies par des années à la même place gisaient à même le sol au quatre coins de la pièce. Un bénitier sur pied, cabossé et blanchi par le calcaire invitait les proches à bénir le corps devant un crucifix sur pied, poussiéreux et oxydé. Un carrelage beige antidérapant convergeait vers une bouche d’égout.

Je me trouvais debout à l'entrée du salon, c'est le terme employé pour désigner la chambre funéraire, à ma gauche était fixée au mur une tablette en bois vernis sur laquelle était posé un registre de condoléances éclairé par une bougie rouge dans un verre. Sur l'étiquette était inscrit « spéciale veillée funèbre ». Le stylo destiné à recueillir les messages était de type « comptoir de la poste ». La base noire en plastique vissée à la tablette retenait le bic en plastique noir par une chaînette métallique. La largeur de l'endroit se résumait à un peu plus que la longueur du cercueil. Sa longueur, je dirai, deux fois la longueur du cercueil. Monsieur Bériot était présenté dans le sens de la largeur, au fond, la tête côté droit de la pièce. Les murs étaient tapissés d'un papier peint monotone couleur coquille d'œuf. Le mur du fond étaient dissimulé par une paire de rideaux vert pâle à fleurs argentées qui dévoilaient une autre parure à fleurs foncées dominante vin rouge.

En signalant sa présence par un toussotement, un homme est entré puis nous a demandé de sortir afin de procéder à la mise en bière.

-dès que Monsieur Bériot sera installé vous pourrez le voir une dernière fois.

Ma mère retenait ses larmes en silence en déposant un bouquet de violettes. Les fleurs préférées d'André, le prénom de sa femme. Tu veux l’embrasser une dernière fois ? Me demanda-t-elle. J’ai refusé. Je suis sorti du funérarium et j’ai pleuré.

Je me suis assis sur un banc. Je me sentais seul et impuissant. Une famille toute vêtue de noir attendait devant une grande porte de garage d'où sortit un corbillard chargé de fleurs et de plaques. Un autre enterrement avait lieu. Tout le monde pleurait en se donnant rendez-vous à l'église.

Un grand type en costume approximatif est venu me dire d'une voix très calme, qu’ils auraient bientôt terminé.

-Voulez-vous assister à la fermeture du cercueil de votre grand-père ?

-Non… Ce n’est pas mon grand-père.

-C’est comme vous voulez. Mais vous savez, c'est la dernière fois que vous le verrez.

-Non !

J’ai compris à cet instant ce qu’était la mort. C’est triste, froid, çà pue, on t’enferme dans une boîte et on se débarrasse de toi comme un déchet.

J’avais la haine. Hors de question d’aller à l’église pour filer du fric au curé et encore moins d’aller au cimetière. L’idée de voir tout le village se pencher sur leur trou en se disant que, s’ils avaient moins picolé tous les deux, ils seraient encore là. Puis finir au bistrot pour se saouler à sa santé en discutant du prix de sa baraque et de sa bagnole, certainement pas.

Je suis resté à sangloter dans la voiture en attendant le retour de mes parents, surpris par le chagrin, la tête pleine de souvenirs.

Ce triste jour, je ne savais pas que je côtoierai des centaines de cadavres.

 

A suivre :

chap1 : Le dogme



3 réactions


  • sls0 sls0 30 octobre 2015 17:06

    On nait, on vit et on meurt. Une fois qu’on a assimilé cela le deuil est fait avant la mort.
    La mort est naturelle comme respirer est naturelle.

    Je vis dans un pays où la mort est moins cachée, ils sont plus à l’aise avec elle ce qui me va très bien.
    Comme il est plus turbulent, depuis que je suis ici, je vois 1,5 homicide par an, pas dans les journaux, de visu. Là on peut être en désaccord avec la mort disons son coté pas naturel.

    Ma mère est morte dans son sommeil, je n’ai eu aucune utilité, par contre pour mon père j’étais présent, malgré que la mort soit naturelle mais douloureuse et très présente avec un cancer généralisé, j’ai fait en sorte qu’il meurt sereinement avec l’impression que sa vie sa présence avait été positive.

    Pour ceux que ça intéresse d’aider les gens à partir sereinement limite sourire aux lèvres c’est de leur rappeler tout le bien qui ont fait dans leur vie.

    Pour ceux que ça intéresse de pas trop avoir à s’inquiéter avec la mort, faire le bien.

    Pour ceux qui ont une vie un peu trop centrée sur eux même, la mort peut poser des problèmes.

    Il me reste une vingtaine d’années à vivre si l’asbestose n’apparait pas, je fais en sorte qu’elle ne soit pas polluée pas la peur de la mort, aider les autres c’est une des solutions.


    • lsga lsga 30 octobre 2015 17:07

      @sls0
      Tout naît, vit et meurt. C’est vrai également pour les nations, les cultures, les civilisations. 

      La France est en train de crever ? RIP. 

  • Le p’tit Charles 31 octobre 2015 07:34

    bof...on tourne en rond..plus ou moins grand selon les individus... !


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