Philippe Poutou : éloge d’un candidat singulier
L'extrême-gauche ne participera pas au "front républicain" pour faire barrage au FN. Les trois candidats communistes en ont décidé ainsi. Si Mélenchon ne donne pas de consigne, Nathalie Arthaud appelle à voter blanc. Philippe Poutou, quant à lui, refuse toute entente avec Emmanuel Macron, fût-ce pour battre le FN.
En effet, Philippe Poutou va jusqu'à mettre dans le même sac Marine Le Pen et Emmanuel Macron, affirmant qu'il n'y a "pas d'autre solution que de reprendre la rue, contre l'extrême droite, mais aussi contre toutes celles et ceux qui, comme Macron, ont mis en place ou veulent imposer des mesures antisociales", avant de dénoncer le ralliement de la gauche et de la droite au candidat d'En Marche. "Il a récupéré tous les tocards de la politique" lance-t-il, désabusé, au lendemain du premier tour.
Une attitude et un franc-parler qui n'étonneront pas ceux qui ont suivi la campagne de Philippe Poutou : un homme qui détonnait parmi les onze candidats présents au premier tour des présidentielles. Malgré son score infime (1,1%) il aura réussi à marquer les esprits par sa décontraction, sa franchise et son impertinence. N'est-ce pas cela, une élection ? Choisir entre différentes personnalités et différentes conceptions de la France…
Tout au long de la campagne, le candidat trotskiste n'a cessé de se démarquer. Seul ouvrier, il est également le seul non-diplômé. En outre, Philippe Poutou a le patrimoine le plus faible : à peine 23 000 euros et une Peugeot de 2012. Précisons qu'il travaille dans une usine Ford comme réparateur de machine-outil et qu'il a un fort engagement syndical depuis plus de vingt ans au sein de la CGT.
Durant les semaines précédant l'élection, il a multiplié des coups d'éclat qui lui ont valu d'attirer l'attention de l'opinion publique. Le débat à onze, diffusé par BFM TV le 4 avril, a été pour lui une occasion de se confronter aux "grands" candidats. Son choix de ne pas venir en costume et de ne pas apparaître en photo avec les dix autres candidats auguraient de la suite de son attitude.
Lors de ce débat, il n'a pas hésité à interpeller avec brio les favoris de l'élection, dont Marine Le Pen, à laquelle il a reproché de n'avoir pas honoré sa convocation chez les juges en vue de sa mise en examen. "Quand nous sommes convoqués, nous n'avons pas d'autre choix que d'y aller, nous n'avons pas d'immunité ouvrière" a-t-il affirmé, suscitant les applaudissements de l'assistance.
C'est pourtant lors du dernier "débat" qu'il s'est illustré par ses prises de positions singulières sur la sécurité. Le 20 avril, alors que les onze candidats étaient invités sur France 2 à défiler un par un pour "convaincre en 15 minutes", ils ont dû faire face à une situation imprévue en direct : un attentat sur les Champs Élysées ayant coûté la vie à un policier.
Il est de bon aloi qu'en pareil cas tous s'adonnent à une surenchère émotionnelle sur fond de virage sécuritaire. Même Mélenchon n'a pu éviter cette droitisation qu'imposent les lendemains d'attentats, promettant qu'il renforcerait les moyens de la police. Philippe Poutou, quant à lui, alors qu'il n'ignorait rien des évènements en cours, a réitéré son discours habituel sur les violences policières en affirmant qu'il fallait désarmer les policiers car "ils agressent dans les manifs, les jeunes et les quartiers populaires" (sic). Une sortie qui lui aurait valu les insultes des policiers à sa sortie du débat : d'aucuns affirment qu'on l'aurait traité d'ordure et d'en***é.
Ces propos, tenus dans un tel contexte (bien que ni lui ni les journalistes n'aient évoqué les attentats) ont valu de vives critiques à l'ouvrier de la part du beau monde. L'inénarrable Denis Brogniart s'est ainsi fendu d'un tweet dénonçant les propos du candidat Poutou, une indignation reprise par la journaliste Karine Ferry et par l'actrice Marie Fugain qui a twitté "non non non non non… non non non, ça n'est pas possible, Monsieur Poutou". Un argumentaire à faire pâlir Socrate !
Quoi qu'on pense de M. Poutou, de ses idées et de son attitude, on ne saurait lui dénier la constance dans ses propos. Voilà un homme qui ne change guère de discours en fonction des faits divers, préférant rester dans la droiture de ceux qui font fi de la surenchère émotionnelle et gardent leur cap avec sincérité et engagement. Une attitude bien différente de celle d'un Mélenchon ou d'un Hamon qui critiquent d'ordinaire les supposées "violences policières" mais se muent en sécuritaires dès qu'un attentat survient et que l'opinion publique se montre soudain plus favorable aux forces de l'ordre.
Avant même sa sortie sur les policiers (mais plus encore après celle-ci) plusieurs journalistes se sont interrogés sur la "légitimité" de Philippe Poutou dans cette élection. Faut-il comprendre qu'un candidat ouvrier, non cravaté, franc et authentique, cela indispose le marigot cramoisi des journalistes parisiens qui se pincent le nez et détournent la tête à la vue d'un travailleur qui parle trop fort et effarouche leurs chastes oreilles ?
C'était la deuxième campagne présidentielle pour le candidat du NPA qui affirme ne plus vouloir se représenter en 2022, "la politique ne doit pas être une carrière" déclare-t-il. Son appel au refus du choix entre Macron et Le Pen sera donc sans doute son dernier geste politique. Après quoi, il regagnera surement Bordeaux pour y couler des jours heureux avec Béatrice, "la femme de sa vie" selon Closer. Avant cela, il se sera tout de même expliqué sur son souhait de désarmement : "il ne s'agit pas de désarmer la police antiterroriste mais la police anti-émeute et la police de proximité qui interviennent dans des manifs. Je n'ai jamais parlé de désarmer toute la police, et surtout pas la police antiterroriste" s'est-il confié.
Quel souvenir en garderons-nous ? Un homme dont les idées sont aux antipodes des patriotes que nous sommes, mais un homme qui par sa fraîcheur et sa franchise aura apporté une touche d'impertinence française à cette ô combien solennelle élection présidentielle.