jeudi 24 novembre 2016 - par Desmaretz Gérard

Quand les « experts » nous fourvoient

Quelques mois après le drame de Nice, des experts nous expliquaient qu'il n'existait pas de « profil type » de terroriste et que leur personnalité demeurait « un profond mystère ». Ces experts autoproclamés ou valorisés par un journaliste pour drainer de l'audimat nous parlent sur le sujet et non du sujet. Et désolé de les décevoir dans leurs certitudes, on peut établir un parallèle avec les profils prédisposants au recrutement des sources humaines en matière de renseignement.

Le « terroriste » tout comme l'agent étranger, reste un individu venu d'un pays ou d'une société de culture différente pour porter atteinte à une autre, il ne faut donc pas s'étonner de retrouver des similitudes liées au recrutement et à l'aspect opérationnel. Le terroriste doit vivre au sein d'une population sans en éveiller les soupçons, ne doit jamais « trancher » sur son environnement, ne jamais se confier à quiconque, pas même à ses proches ni intimes. Poussons la comparaison plus loin, l'acquisition du renseignement clandestin requiert des connaissances et des aptitudes particulières : fausses identités, gestion des planques, agir en contradiction des lois, familiarisation à la vie clandestine, etc.

Plusieurs services de renseignement dispensent à leurs agents un cours sur les profils prédisposant destiné à leur apprendre : à repérer, à recruter et à manipuler plus facilement certaines catégories d'individus. Je vous invite à vous faire votre propre opinion en les rapprochant des évènements survenus et pourquoi accoler un patronyme en face de chaque profil décrit succinctement.

L'intellectuel : un individu intelligent qui éprouve le besoin d'évoluer, si cette évolution espérée ne se réalise pas ou qu'elle n'est à son goût, un sentiment de frustration apparaît. Il risque de s'apparenter à un déviant par ressentiment de la société réelle à la société rêvée et de rendre celle-ci responsable et de se retourner contre elle.

Le faible  : il éprouve un besoin d'affirmation et cherche à jouer un rôle dont il pense être le maître du jeu. L'impression de puissance peut être renforcée par le sentiment d'appartenance à une organisation qu'il assimile à une récompense. Ce type fait souvent un excellent agent retourné, puisqu'il ne fait pas la différence entre servir les intérêts d'un État ou ceux d'un autre !

Le héros : la vie lui semble terne et il rêve de jouer un rôle important. Il pense être en mesure de contribuer à changer la société. Tout ce qu'il peut espérer, c'est finir en martyr (en salopard) en ignorant ce qu'est le véritable courage, ou moisir des années en prison.

L'insatisfait : ils sont légion, si un recruteur parvient à en déterminer la cause ressentie, il deviendra en mesure de lui proposer une action de substitution en créant un « équilibre affectif ».

Le marginal : cet individu vit des tensions qui l'isolent de la société et est conscient d'être différent des gens qui l'entourent. Ce état est suffisant pour engendrer une double vie cachée.

Le solitaire : un chiffre, vingt-cinq pour cent de la population vit l'incommunicabilité ce qui entraîne des difficultés sociales à s'insérer dans un réseau. La solitude se rencontre jusqu'au sein des couples (20 %). Ne voilà-t-il pas des facteurs capables de favoriser un embrigadement ?

Le militant  : il s'agit d'un être convaincu et l'appartenance à une communauté (religion, humanitaire, etc.) le rend dévot de ses chimères jusqu'à le priver de tout sens critique. Il pourra être recruté « sous pavillon » et croyant servir une cause, il sera manipulé pour servir d'agent « kleenex ».

L'adolescent : toujours enclin à suivre ses désirs immédiats, la tendance du moment, et à s'enflammer. Son comportement est exacerbé par l'injustice réelle ou vécue comme telle. Il aime à se dépasser mais n'aspire guère à être reconnu et reste insensible aux honneurs mais pas aux horreurs d'Internet.

Le «  psychopathe  » : souffrant de fragilité psychique, paranoïa, d'asociabilité, etc., peut devenir la cible de manipulateurs. Une clinique située dans le centre du pays, dirigée par un psychiatre engagé politiquement, a longtemps servi de base à des activistes totalisant plusieurs assassinats à leur actif. Ils utilisaient les documents d'identité d'autres internés pour leurs déplacements !

J'ai brossé à grands traits les profils les plus souvent rencontrés, si certains se suffisent, deux ou trois peuvent venir se combiner. Il est tout à fait possible de cerner les individus les plus susceptibles de passer à l'acte ou d'y contribuer en repérant chez ceux-ci certains traits particuliers : de la personnalité - du mode vie sociale - familiale - dépendance, professionnelle, santé, etc. En croisant une centaine de critères (pondérés ou non pondérés), ce qui n'est rien pour un ordinateur, un algorithme serait en mesure de prédire avec une bonne fiabilité les personnes à risque (le programme de prédiction criminelle commandé par le maire de Chicago, atteint 60 % de succès dans la lutte contre le crime), il suffirait pour cela que l'État autorise les services à accéder à tous les fichiers (probablement un millier de vraiment utiles) et à en croiser les données. Les lois de la probabilité et l'analyse bayésienne en particulier, ont déjà permis en matière de renseignement, de résoudre des problèmes ardus que l'on pensait insolubles.

Une question se pose à l'encontre des fichés « S » et de leur nombre qui est passé de quelques milliers à plus de 15 000 en seulement quelques années ! Faut-il y voir : la capacité des services à déceler des signaux plus faibles - une augmentation des signalements de la part des familles ou de la population - une présence jihadiste accrue - ou nos services sont-ils la victime d'une saturation ? Une première réponse repose sur le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (fichier créé en mars 2015 par un décret confidentiel) qui traite les plus extrémistes (quelques milliers). Mais qu'adviendrait-il si une partie de la communauté musulmane pro-islamique adoptait un comportement extrêmement visible dans le seul but d'attirer l'attention sur soi afin de saturer le travail de fichage, du renseignement administratif et judiciaire et ainsi permettre à des éléments radicalisés de toujours mieux se fondre dans la société (enfumage) ? Du temps de l'URSS, de nombreux hommes d'affaires sortaient tous en même temps et adoptaient un comportement « suspect » afin de mobiliser le maximum des effectifs de la Surveillance du Territoire ! Cela signifiait qu'un clandestin avait rendez-vous quelque part avec son traitant...

On peut aussi pousser la comparaison des terroristes avec le type d'agent qui reçoit une appellation particulière afin de préciser son rôle ou action clandestine.

L'infiltré : il s'agit d'un homme ou d'une femme qui va se faire recruter par l'adversaire dans le but de renseigner son service d'origine. S'il travaille apparemment pour les deux, il reste fidèle à son engagement initial, comme le samouraï, il n'a qu'un seul maître.

L'agent retourné : un individu découvert qui accepte de s'en retourner auprès des siens et de les trahir. Il peut représenter un rouage essentiel d'un plan d'intoxication, servir d'agent provocateur, ou marquer une zone pour la désigner à l'aviation ou artillerie.

L'agent d'influence : il s'agit d'un individu recruté ou utilisé à son insu pour influencer l'opinion de certaines catégories sociales, politiques, ou professionnelles : hommes d'affaires, journalistes, etc. La taupe, elle, s'introduit à un niveau hiérarchique d'où elle peut se livrer à une trahison interne.

Le traitant  : un vrai professionnel qui a reçu une formation pour recruter, animer ou diriger un réseau clandestin.

L'agent dormant : représente assurément la menace la plus forte, il a pu être implanté depuis plusieurs années et menant une vie sans histoire il n'a jamais attiré l'attention sur lui. Il peut s'agir de n'importe quel homme ou femme que vous croisez chaque jour sans vous douter qu'il n'attend qu'un ordre pour passer à l'action.

L'agent action : l'opérateur est agent coup de main qui a reçu une formation militaire clandestine pour mener à bien des missions de renseignement, des destructions, des éliminations.

Le repenti : transfuge, déserteur, pose un sérieux problème pour la sécurité. Il peut s'agir d'une technique d'infiltration destinée à obtenir des renseignements sur le personnel, les locaux, les techniques, l'état des connaissances, etc. Lors de la guerre d'Algérie par exemple, les agents du FLN devaient retenir les noms des policiers, l'emplacement des prises électriques, etc., informations distillées à leurs agents pour en cas de capture pouvoir dire qu'ils avaient été torturés à l'électricité et décrire la pièce et l'emplacement de la prise électrique...

On pourrait encore établir des rapprochements avec les différentes topologies de réseaux clandestins, mais Daesh n'a pas encore atteint ce point de préparation et rien ne laisse présager qu'il y parvienne dans un futur proche. La raison en est simple, le montage de réseaux reposant sur une structure pyramidale ou en grappe à rythme ternaire ou quaternaire est indiqué pour accompagner une visée de conquête politique au travers d'une organisation militante (on pourrait prendre l'exemple du FLN et de l'ANL des années cinquante et soixante), ce qui n'est pas le cas de l'EI.

Lorsque l'on examine les liens unissant les « Molbeckois » à l'origine de l'action des attentats de 2015, on constate une structure « spontanée » en géode ou mesh (treillis) sans personnage central ou leader ! Un groupe de quelques individus (3-4-5 ou 6) forme une cellule dont chaque membre est en contact avec tous les autres, si l'un disparait, la communication reste permise entre tous les autres membres (structure horizontale donc pas de fusible). Le groupe suivant est relié par un ou deux individus ou points de contact à la cellule précédente, et ainsi de suite. Cette topologie très répandue dans le monde animal (banc de poissons, troupeaux, etc.) a la particularité : de reposer sur l'intelligence collective - d'offrir l'avantage de la facilitation sociale (coopération consciente, familiale, humanitaire, charisme, etc.) - et nul besoin d'un cerveau centralisateur ! Les enquêteurs désireux de remonter la trame du réseau de cellule en cellule se doivent d'en découvrir les points de contacts, pendant ce temps, les éléments non interpellés restent susceptibles de commettre de nouvelles actions comme cela fut hélas le cas en Belgique.

On parle parfois de l'action d'un loup-solitaire, c'est à dire d'un individu passant à l'acte sans aide aucune, un électron libre en quelque sorte. Pour atteindre ce niveau opérationnel ou tactique et réunir à la fois de solides compétences, il faut des mois de préparation, tout le contraire des « daechiens » qui ont fait de l'impréparation leur marque de fabrique puisqu'il ne saurait dans leur esprit « être et durer ». Il s'agit dans les faits plus d'une « résistance sans chef » ou d'une « cellule fantôme » qui décide d'une action indépendante en réaction à une situation, à un moment (souvent mimétique) qui se rapproche unilatéralement de l'État islamique au dernier moment, et non d'une véritable cellule autarcique, pour cause, leur indigence en matière d'organisation clandestine. Le principe de fonctionnement du réseau Curiel par exemple, reposait sur la méthode de l'école mutuelle. Un camarade disposant de compétences dans un domaine donné les transmettait aux autres, cela pouvait concerner les faux-papiers, les techniques policière, l'acquisition du renseignement etc. L'homme finira par être abattu au pied de l'escalier de son immeuble situé proche de la place Monge. « Aujourd’hui (4 mai 1978), à 14 heures, l’agent du KGB, Henri Curiel, militant de la cause arabe, traître à la France qui l’a adopté, a cessé définitivement ses activités. Il a été exécuté en souvenir de tous nos morts. »



4 réactions


  • fred.foyn 24 novembre 2016 12:14
    Pourtant, avec une étude du comportement, il est très facile de dessiner un profil de la personne ?
    C’est vrai qu’en France y pas de comportementaliste ?
    Alors..vivez dans votre peur sans rien faire...

  • SamAgora95 SamAgora95 24 novembre 2016 14:45

    Vous avez oublié le plus évident, et certainement le plus actif, le terrorisme d’état ! et donc l’état terroriste.
    Probablement celui qui est derrière 90% des attentats depuis quelques siècles, le 11 septembre 2001 en est un très bonne exemple, il en va de même de tous ceux dont les « coupables » désigné en quelque minutes ne sont jamais jugés à savoir 99% des attentats en Europe y compris Merha, Couachy, Bataclan.....


    ---------------

    En cas ou les attentats eux même ne suffiraient pas à terroriser un maximum de personnes, l’état a mis en place une application pour être terroriser en temps réel à 30 kilomètre à la ronde.


  • MagicBuster 24 novembre 2016 17:17

    A force de ne rien faire pour ces (vrais) concitoyens — la France se met un peu plus en danger chaque jour.

    Si les terroristes n’ont pas peur de la France , je ne vois pas pourquoi les Français en aurait peur.

    Je ne vois pas non plus pourquoi les Français auraient peur des terroristes ...
    S’il n’y a pas de solutions — c’est qu’il n’y a pas de problèmes.

    Rétablissons la peine de mort pour les terroristes.
    CQFD


  • Alren Alren 25 novembre 2016 11:04

    Cette analyse, très experte au demeurant, pouvait s’appliquer aux agents secrets de la guerre froide dont la plupart recevaient en URSS une formation avant d’être envoyés en France par exemple où ils recherchaient « d’honorables correspondants » qui leurs fournissaient consciemment des renseignements soit pour de l’argent soit plus souvent parce qu’ils étaient communistes ou anti impérialistes US et souhaitaient un équilibre entre les deux « mondes » pour éviter une troisième guerre mondiale.

    Leur objectif premier était la collecte secrète de renseignement politique, économique, technologique (cf. le Tupolev 144 comme piratage du Concorde).

    Il en va tout autrement pour les terroristes islamistes dont l’objectif n’est pas le renseignement mais la mort des passants, coupables de n’être pas islamistes.

    Autant il faut être intelligent pour être un bon agent de renseignement qui ne se fait pas prendre, autant il faut être stupide pour croire qu’en se faisant tuer après avoir commis plusieurs assassinats, on vit après la mort une éternité de béatitude.

    La lutte contre ces deux catégories d’adversaires-ennemis est donc très différente.

    Ceci dit, face à ces pauvres types qui sont nos ennemis mortels, tous les moyens de lutte préventive sont bons et le croisement de données par un programme judicieux pour repérer des profils sont bons comme complément d’autres actions de renseignement.

    Actions qui nécessitent le recrutement de nombreux agents pouvant s’introduire dans la communauté musulmane ou mieux qui en font déjà partie et pour lesquels on ne devrait pas lésiner sur les avantages consentis en échange de leur collaboration.

    En attendant, il est une chose qui devrait être mise en place immédiatement, c’est l’enregistrement systématique des prêches des imams dans les mosquées. Car il est clair que certains d’entre eux ne sont pas républicains ...


Réagir