samedi 31 octobre 2015 - par Jules Elysard

Qui est Sweeney Todd ?

Qui est Sweeney Todd
Tentative d’élucidation du mystère Todd

« Il lui arrivait de se livrer à des énormités de débinage, qui risquaient de le rendre odieux ; parfois, c’étaient des enfantillages qui lui donnaient une pointe de ridicule. Les grands esprits ont presque toujours de petites faiblesses, c’est une loi mystérieuse de la nature. »

Octave Mirbeau, Le calvaire

 

« De plus, je suis actuellement à l'œuvre sur la rédaction d'un long acte d'accusation contre notre siècle. »

John Kennedy Toole, La conjuration des imbéciles

 

« A l’époque, pour déconner, je disais : "Je suis l’intellectuel organique des jeunes d’origine maghrébine. »

Emmanuel Todd, entretien avec le Bondy Blog, dans les Inrocks du 6 mars 2015

Emmanuel Todd était connu principalement pour avoir prophétisé la chute de l’URSS (et accessoirement pour quelques bons mots sur des présidents en exercice). Il connaît aujourd’hui une notoriété plus sulfureuse avec son pamphlet à la sulfateuse : Qui est Charlie ? Il y dénonce « un accès d’hystérie », « un flash totalitaire » dans une France de « cathos zombies ».

Il écrit avoir « souffert en écoutant (sur TF1) Jamel Debbouze, personnage central de la culture française(…) Il tentait d’expliquer gentiment et douloureusement à son inquisiteur que le blasphème, c’était difficile pour un musulman, que ce n’était pas dans sa tradition. Mais non, être français c’était, non pas avoir le droit, mais le devoir de blasphémer »[i].

Il soutient « que la condamnation de l’acte terroriste n’impliquait aucunement que l’on divinisât Charlie Hebdo. Que le droit au blasphème sur sa propre religion ne devait pas être confondu avec le droit au blasphème sur la religion d’autrui  » et conclut dès son introduction que « blasphémer de manière répétitive, systématique, sur Mahomet, personnage central de la religion d’un groupe faible et discriminé, devrait être, quoi qu’en disent les tribunaux, qualifié d’incitation à la haine religieuse, ethnique ou raciale  ».[ii]

Personnellement je trouve judicieux de ne pas réserver le qualificatif « totalitaire » aux régimes défunts de l’URSS et du IIIème Reich, ainsi qu’à leurs héritiers, revendiqués ou non. Emmanuel Todd n’abuse d’ailleurs pas de ce qualificatif dans son premier livre, La chute finale[iii], consacré à l’URSS. On peut voir donc qu’il ne l’utilise pas à la légère, mais qu’au contraire, pour reprendre une de ses expressions favorites, il le « prend au sérieux ». En outre, pour avoir aimé blasphémer un peu dans ma jeunesse (catholique, mais pas du tout zombie), je sais que le plaisir de le faire ne se savoure que lorsque l’on s’en prend à la religion dont on est issu, parce que l’on allie fort plaisamment la pertinence à l’impertinence.

 

Au mois de février, il avait déclaré à un journal japonais : « En France, si on ne touche pas à une personne en particulier, on considère qu'il est possible de tout caricaturer. Avant l'attentat, je critiquais les dessins satiriques de Charlie Hebdo. Je ne peux donc pas être d'accord avec la sanctification de cet hebdomadaire qui a publié des caricatures obscènes du prophète Mahomet » (…) « Se moquer de soi-même ou de la religion d'un ancêtre est une chose, mais insulter la religion d'un autre est une histoire différente. L'islam est devenu le support moral des immigrés de banlieue dépourvus de travail. Blasphémer l'islam, c'est humilier les faibles de la société que sont ces immigrants. »

http://www.lepoint.fr/societe/emmanuel-todd-mal-a-l-aise-avec-la-sanctification-de-charlie-hebdo-06-02-2015-1902788_23.php

Quelques semaines plus tôt, Rony Brauman, confiait : « Je suis Charlie, je ne suis pas Charlie. Le Charlie en moi est accablé par l’assassinat de figures familières, chantres de la grivoiserie et de la dérision, il est bouleversé par la mort de ces bouffeurs de religion dont l’outrance et le mauvais goût rigolards étaient la marque de fabrique. (…). Si d’authentiques défenseurs de la liberté se regroupent sous le drapeau « Je suis Charlie », sous ce même drapeau « Je suis Charlie » (mais non du fait des journalistes de Charlie, je le précise) surgit la figure basanée d’un ennemi intérieur, résonnent des discours martiaux sur la « guerre au terrorisme » et la nécessité d’un Patriot Act. »

http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/15/ce-qu-il-y-a-de-non-charlie-en-moi_4557224_3232.html#h8A7uzZDgJ4dHTBM.99

De son côté Shlomo Sand écrivait : « Rien ne peut justifier un assassinat, a fortiori le meurtre de masse commis de sang-froid. Ce qui s’est passé à Paris, en ce début du mois de janvier constitue un crime absolument inexcusable. Dire cela n’a rien d’original : des millions de personnes pensent et le ressentent ainsi, à juste titre. Cependant, au vu de cette épouvantable tragédie, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit est la suivante : le profond dégoût éprouvé face au meurtre doit-il obligatoirement conduire à s’identifier avec l’action des victimes ? Dois-je être Charlie parce que les victimes étaient l’incarnation suprême de la liberté d’expression, comme l’a déclaré le Président de la République ? Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales ?

Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j’avais vues bien antérieurement, m’étaient apparues de mauvais goût ; seule une minorité d’entre elles me faisaient rire. »

http://www.legrandsoir.info/je-ne-suis-pas-charlie-27791.html

Ces trois réactions sont assez proches et ont pu être partagées par beaucoup de ceux qui, comme moi, avaient lu le vieux « Charlie », et ne lisaient plus le « nouveau » depuis sa reprise en mains par Philippe Val, le chansonnier reconverti en commissaire politique.

 

Mais au mois de mai, Emmanuel Todd est revenu sur le sujet en déclarant d’emblée : « Nous savons désormais, avec le recul du temps, que la France a vécu en janvier 2015 un accès d’hystérie. Le massacre de la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, de policiers et des clients d’un magasin juif ont provoqué une réaction collective sans précédent dans l’histoire de notre pays. En parler à chaud aurait été impossible. »

Mais le fût du canon n’était toujours pas refroidi. La parution du livre avait été précédée d’un entretien accordé à L’obs. Le fort consensuel 7/9 de France Inter avait tenu à saluer cette parution en recevant la non moins consensuelle Caroline Fourest le vendredi 1er mai et Emmanuel Todd en personne le lundi 4. Il a subi ce qu’on peut qualifier de tir de barrage et a été contraint de venir défendre son livre, parfois sur des médias qu’il ne fréquentait pas.

Aux réactions hostiles qu’a suscité son pamphlet, on voit qu’il a été pris au sérieux par ses ennemis (la droite et la gauche qui se partagent le pouvoir, leurs affidés, leurs commis). Il s’est fait de nouveaux amis à « la gauche de la gauche », mais pourra-t-il compter sur ces débris du léninisme qui ne le connaissaient pas et que lui-même méprisait ?

Je ne sais pas s’il accepterait la qualification de « pamphlet » que je viens de faire de son livre, lui qui a tenu à souligner le caractère scientifique de sa démonstration. N’a-t-il pas pris, lui-même, trop au sérieux la formule publicitaire « Je suis Charlie » ?

Quittant sa posture de savant, il a confié, une fois ou deux au cours de ses entretiens, qu’une des victimes des assassinats était un de ses amis : il parlait de Bernard Maris. Lorsque j’ai acheté Qui est Charlie ?, j’ai trouvé le livre sur un étal, à côté du dernier livre posthume de Bernard Maris : Et si on aimait la France.

 

Plutôt que de commenter Qui est Charlie ?, j’ai préféré prendre un peu de perspective pour percer le « mystère Todd ». Dit autrement, jai décidé d’aborder ici son personnage, au sens de la piraterie, d’abord en le confrontant à trois autres personnages, puis en rappelant la place de la France dans son œuvre littéraire.

 

Trois rencontres un peu sportives

Toute ressemblances avec des personnes vivantes ou ayant existé n’est pas fortuite. Ces personnages sont à la fois historiques et littéraires ; leurs dialogues imaginés et vécus, leurs confrontations spectaculaires ou non. Leurs « entrées en scène » sont comme des « entrées en matière » tout à fait subjectives. Le premier s’est confronté réellement à Emmanuel Todd : il s’agit de Manuel Valls. Le deuxième a été défini par lui dans son pamphlet comme « personnage central de la religion d’un groupe faible et discriminé ». Le troisième, à ma connaissance, il ne l’a jamais cité dans son œuvre, il s’agit de Guy Ernest Debord, personnage central d’un groupe obscur et radical.

Emmanuel et Manuel

« De mémoire française, il ne s'était pas vu depuis bien longtemps que le pouvoir prenne peur à cause d'un livre »

Julien Coupat 2009

 

« Je réponds, ici, à Emmanuel Todd, mais je ne réponds pas qu’à lui. Le plus inquiétant dans ses thèses, c’est qu’elles participent d’un cynisme ambiant, d’un renoncement en règle, d’un abandon en rase campagne de la part d’intellectuels qui ne croient plus en la France. »

Manuel Valls Le Monde 7 mai 2015

 

« Pour moi, l’optimisme de Manuel Valls c’est l’optimisme de la Révolution Nationale et du Maréchal Pétain. Lui aussi accusait les français résistants, je veux dire, d’être des français pas bien. »

Emmanuel Todd BFM 8 mai 2015

https://www.youtube.com/watch?v=njBpGTYWFEo

 

 

Cette rencontre a eu lieu dans les « médias ». C’est dire si elle a été réelle. Manuel a en effet décidé d’engager avec Emmanuel un dialogue musclé

Emmanuel pouvait dès lors se vanter dès lors d’avoir atteint son but en obligeant le chef du gouvernement à lui répondre personnellement, en le forçant à le réprimander, lui qui, dès la première page de son livre Qui est Charlie ? avait écrit une phrase qui devenait prémonitoire : « Le gouvernement décrétait des sanctions.[iv] » Manuel Valls semblait en effet dénoncer dans le pamphlet « un refus d’adhérer à la communauté nationale ».Et l’auteur du pamphlet aurait presque eu le loisir de rappeler la description qu’il faisait de la manifestation du 11 janvier à la page 87 : « Il s’agissait avant tout d’affirmer un pouvoir social, une domination, objectif atteint en défilant en masse, derrière son gouvernement et sous le contrôle de sa police. »

Malheureusement pour Emmanuel, Manuel est coutumier de ce genre d’interventions et s’en était déjà pris, et plus sèchement encore, au triste Dieudonné, alors qu’il n’était que ministre de l’Intérieur. Et après les attentats de janvier, il revenait sur le sujet en se faisant applaudir.

http://www.dailymotion.com/video/x2enqfu_manuel-valls-sur-dieudonne-que-la-justice-soit-implacable-avec-ces-predicateurs-de-haine_news

Heureusement, Emmanuel a renoncé à poursuivre avec Manuel un concours de testostérone arbitré par Jean Jacques Bourdin. Il s’est peut-être souvenu que dans un entretien à Marianne le 16 octobre 2012 il avait déclaré : « je ne crois nullement que Valls soit le socialiste le moins perspicace sur le plan économique. »[v]

Aussi, au cours de cet entretien sur BFM l’a-t-il expédié en deux ou trois formules :

« Le Premier Ministre de la France devrait être en train de gouverner et ne pas s’occuper du débat intellectuel en France. Je veux dire, seul un Premier Ministre désœuvré peut perdre son temps à faire faire des notes par des collaborateurs euh sur un livre qu’il n’a pas lu »

« C’est quand même curieux parce qu’en fait il fait une publicité énorme que je lui ai absolument pas demandé. (…) Parce que si les gens de gauche qui lisent, qui vont lire ce livre grâce à Manuel Valls vont y découvrir les raisons ultimes de toutes les trahisons du PS. »

« le Parti Socialiste, Manuel Valls et François Hollande, faut pas le laisser hors du coup celui-là quand même, lui aussi[vi] ... »

En réalité, la cible réelle d’Emmanuel n’est pas Manuel, mais le vice-chancelier François, pour qui il a appelé à voter en 2012, et le Parti Socialiste, avec qui il a commis une « valse à contretemps » depuis au moins 1979, année de la parution de son deuxième livre, Le fou et le prolétaire, et de l’accession au pouvoir des « fous de dieu » en Iran.

Emmanuel et Mahomet

Les Arabes fanatiques qui ont bombardé New York ont nécessairement de sérieux et puissants motifs. On ne bombarde pas New York négligemment, par distraction ou pour le seul plaisir de nuire.

Jean Pierre Voyer. Diatribe d’un fanatique

 

« Homme génial, issu d'une société en marge des grandes civilisations de l'époque, il sut forger une synthèse idéologique impressionnante, capable de séduire d'abord son pays natal, puis de s'imposer dans une vaste zone du globe. Il sut aussi employer des dons remarquables de chef politique et militaire à acquérir le contrôle de l'Arabie. Mystique (incomplet), profondément religieux, mais non pas pur homme de sainteté comme le Christ et le Bouddha, les faiblesses humaines de cette impressionnante personnalité ne font que rendre sa biographie plus attachante. »

Maxime Rodinson. Encyclopædia Universalis 2004

 

« Un mythe se développe, celui de Mahomet comme souverain et législateur tolérant et sage. »

Maxime Rodinson. La fascination de l’islam (1989)

 

A cette époque, vivaient les Prophètes. C’était les habitants de la Prophétie, petit peuple très industrieux.

Jean-Charles. La foire aux cancres (1962)

 

À son tour Mahomet ne mérite pas moins d’être applaudi. Le Dieu qu’il annonce est également d’une bonté, d’une justice, d’une sainteté parfaites. L’auteur du Coran n’est ni moins éloquent, ni moins explicite que le fondateur du Christianisme, en parlant de cet amour à la fois si tendre et si expansif que le Créateur nourrit pour ses créatures.

Simon Levy. Moïse, Jésus et Mahomet (1887)

 

C’est peut-être leur qualité de « prophète » qui réunit ces deux personnages puisque plusieurs siècles les séparent. Mais l’un n’est qu’un historien qui écrit des livres et tente d’intervenir un peu dans la politique de son pays, tandis que l’autre, qui se flattait de ne savoir ni lire ni écrire, était aussi un chef de guerre qui fait l’histoire et qui est devenu « prophète en son pays » et même au-delà.

Emmanuel écrit donc qu’il faut « prendre la religion au sérieux, particulièrement lorsqu’elle disparaît ». Cependant il ne traite pas avec le même sérieux « les trois grandes religions sémitiques » (pour employer l’expression de son ancêtre Simon Levy).

Ainsi, quand dans La Nouvelle France (1988), il se livre à une analyse comparée des religions catholique et protestante, et de leurs rapports avec la Révolution Française, il cite assez longuement un Catéchisme à l'usage des diocèses de France, puis des propos édifiants de Joseph de Maistre, Pierre Calvin et Martin Luther. Il les aborde du point de vue de la théologie et souligne ce que ces différentes doctrines entraînent ou révèlent sur le plan de l’égalité, de l’autorité et de la liberté. Développant son raisonnement, il écrit : « Le catholicisme est explicitement familialiste : Dieu est « Notre Père ». Les monarchistes durs identifient quant à eux très clairement l’autorité du roi à celle d’un père.[vii] »

Concernant une des religions dont il est lui-même issu, il écrit six ans plus tard dans Le destin des immigrés (1994) : « Un idéal de différenciation des frères est au cœur de la tradition juive, telle qu’elle apparaît dans la Bible, à la fois reflet et modèle d’un type de vie familiale (…). Le système met en évidence l’inégalité des frères, des hommes et des peuples mais manifeste aussi une préférence invincible pour le faible, enfant ou peuple. »[viii]

 

En revanche, quand il aborde l’islam en 1983,dans La Troisième Planète (1983), il le fait du point de vue de l’anthropologie, écrivant d’emblée que :

« La théologie ne permet pas de définir une différence de nature claire, précise, décisive entre islam et christianisme. (…) Les idéologies— athées, laïques ou religieuses— étant de même nature, il n’est pas étonnant de pouvoir déceler, sous l’apparence théologique de l’Islam, une essence anthropologique : la famille communautaire endogame. »[ix]

Puis à la page suivante, sous le titre révélateur Ambiguïté du Coran, il cite 5 lignes du texte « révélé » pour souligner qu’il contient « des prescriptions exogamiques » et revient à son idée de départ :

« La sphère chrétienne incarne l’idéal d’exogamie ; le monde musulman s’identifie à l’idéal d’endogamie.[x]

Je n’ai pas lu toute son œuvre et peut-être cite-t-il ailleurs plus abondamment des théologiens mahométans. Mais dans tout ce que j’ai lu de lui à ce jour, je ne l’ai jamais vu en citer un seul, ni même le Coran ou la tradition coranique, dans la façon où il a cité un catéchisme, Joseph de Maistre, Pierre Calvin et Martin Luther.

Dans La Troisième Planète, il déclare rapidement qu’il n’est « pas question de faire (…) le procès de l’islam [xi] ». Chez les mahométans, il préfère mettre l’accent sur « l’hypertrophie du lien fraternel »[xii] et le caractère « débonnaire »[xiii] du père musulman. Dans son introduction, faisant une intrusion dans la psychanalyse, il souligne « le frère oublié » dans la théorie de Freud et demande : « Une même structure familiale peut-elle mener au créateur sévère des protestants, à l’Allah miséricordieux des musulmans, aux dieux multiples de l’hindouisme et à l’incertitude bouddhique quant à la nature du divin ? [xiv] »

Son ancêtre Simon Lévy, auteur d’un livre de théologie hébraïque qu’il cite dans Qui est Charlie ?, nuançait, lui, en 1887, cette notion d’un « Allah miséricordieux » écrivant que « tout en exaltant la bonté de Dieu et en se plaçant constamment sous son invocation, Mahomet fait encore une large part à la justice divine. Dans son opinion aussi, Dieu ne saurait laisser passer une infraction à l’ordre établi sans la châtier. »[xv]

Emmanuel passe sous silence cet aspect autoritaire, assez peu libéral, du chef de guerre qu’était aussi le prophète. Il souligne au contraire l’importance de la figure du père dans les religions juive et chrétienne et son effacement dans la religion de Mahomet.

Mais cet effacement n’est qu’apparent. Bruno Etienne souligne, lui, ce « non-dit qui structure l’imaginaire des Arabes(…)(le) fait que le prophète Mohammad est resté sans filiation. « Mohammad n’est le père d’aucun homme... » Cette phrase lourde de sens est prononcée pudiquement comme à regret. [xvi] »

Il ajoute quelques lignes plus bas que « la dispute généalogique, qui est au principe même de la' succession du Prophète, pose en toile de fond ce non- dit de la non-paternité de Mohammad ». Et cette « dispute généalogique » est à l’origine de la division de la « communauté des croyants », réactivée par la « Révolution iranienne ».

 

Emmanuel semble avoir un a priori favorable pour la religion de Mahomet. Ira-t-on jusqu’à supposer dans sa psychologie un souci de réparer le péché originel de la tradition judéo-chrétienne dont il est lui-même issu : de n’avoir pas voulu reconnaître le nouveau prophète et de l’avoir contraint à fonder une nouvelle religion ? Lui-même note, on l’a vu, dans sa tradition familiale une « préférence invincible pour le faible, enfant ou peuple ».

Cependant, le mahométisme ne mérite pas cet excès de soumission intellectuelle ou affective de la part des chrétiens et des juifs qui se sont éloignés de leur religion d’origine.

Emmanuel n’accepterait sans doute pas ce reproche. Certes, on voit que, tout au long de son œuvre, il reconnaît à la religion de Mahomet une qualité progressiste, voire révolutionnaire parce qu’elle porterait en elle des valeurs égalitaires, universalistes, antiracistes[xvii] [xviii].

Dans son dernier opus, il souligne qu’elle serait aussi la religion d’un grand nombre d’opprimés. Il rejoint ainsi, et peut-être à son corps défendant, une tradition de la « gauche radicale », née dans les années soixante. Ainsi, lors du dépeçage de l’empire colonial français, les gauches « radicales » métropolitaines ont pris fait et cause pour les opprimés. Elles-mêmes fraîchement déchristianisées (chrétiens zombies), elles ont considéré avec indulgence, voire bienveillance, dans l’aire « arabo-musulmane » des mouvements de libération encore empreints de mahométisme, persuadées que le sens de l’histoire les conduirait jusqu’au grand soir. De l’autre côté de l’océan, dans un pays où la religion tient une grande place, les revendications des populations noires opprimées, qui étaient portées par des pasteurs « protestants », ont trouvé des porte-parole plus « radicaux » avec les Black Muslims.

Mais la religion de Mahomet, qui était aussi un chef de guerre, porte aussi des valeurs de violence et de hiérarchie militaire qui plaisaient (et plaisent encore) aux militants des diverses obédiences léninistes. Malcolm X est mort assassiné. Si des mouvements de libération « laïcs » ont d’abord triomphé dans l’aire « arabo-musulmane », ils ont si bien trompé les attentes des opprimés que des oppositions religieuses ont entrepris de les assassiner. En outre, la géopolitique de la « guerre froide » avait réuni dans le camp de la défunte URSS la plupart de ces régimes laïcs. En conséquence, les gouvernements religieux des Etats-Unis ont entrepris une guerre sainte contre les « sans-dieu » et instrumentalisé des oppositions religieuses, avec les succès qu’on sait, en Afghanistan et même en Pologne. L’intrépide Jean Pierre Voyer a poussé à l’extrême cette fascination pour le mahométisme. Il a vu le jugement de dieu[xix] commencer en Iran en 1979 et se poursuivre avec la destruction des tours de Babel en 2001. Et il semble voir dans le « jihad » une guerre sociale contre le nihilisme de la marchandise, le successeur d’un projet prolétarien avorté.

 

Depuis la « Révolution iranienne » de 1979, des mots arabes comme « djihad » et « fatwa » ont fait l’objet d’une grande publicité en occident dans une transcription phonétique. Auparavant, depuis le Moyen Age, des noms arabes étaient fréquemment francisés : amiral, bédouin, caïd… Parmi ceux-là, « assassin », du nom des « membres d'une secte musulmane, célèbre par la manière dont elle se faisait un devoir sacré de mettre à mort les ennemis de la Vérité. Les assassins recherchaient, croit-on, l'extase dans la drogue, ce pourquoi on les appelle en arabe hashshashin ou hashishiyya, nom qui est communément rapporté au mot hashish : herbe séchée, hachisch.(…) »[xx]. Roger Arnaldez, qui écrit ces lignes, rappelle que le plus connu de leurs leaders est passé à la postérité sous le nom de Vieux de la Montagne.

Les « assassins » ont connu une grande gloire littéraire en France, de Charles Baudelaire à Guy Ernest Debord qui évoquait dans son dernier film « le secret que le Vieux de la Montagne ne transmit, dit-on, qu’à son heure dernière, au plus fidèle de ses fanatiques : « Rien n’est vrai ; tout est permis. » »[xxi]

Emmanuel et Guy Ernest

« Le pillage du quartier de Watts manifestait la réalisation la plus sommaire du principe bâtard « A chacun selon ses, faux besoins », les besoins déterminés et produits par le système économique que le pillage précisément rejette »

Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire marchande Internationale situationniste n°10 (1966)

 

«  J’étais fier d’être français en 2005 quand les banlieues mettaient le feu à je ne sais combien de milliers de voitures et que les flics n’ont pas tiré un seul coup de feu. »

Emmanuel Todd, entretien avec le Bondy Blog, dans les Inrocks du 6 mars 2015

 

Cette rencontre aurait-elle pu avoir lieu dans le monde réel ? Emmanuel aurait pu être le fils de Guy Ernest, mais celui-ci est mort sans enfant. Tous les deux ont été des passionnés de l’histoire et des amoureux des cartes, mais pas forcément de la même histoire et des mêmes cartes. Surtout, ce n’est pas seulement une génération qui les sépare, c’est une façon de vivre : en 1968, l’un est sorti du PCF sur des bases libérales quand l’autre, pourfendeur de staliniens, a poursuivi une aventure radicale de plus en plus solitaire et fatale. Guy Ernest est mort un fusil à la main il y a plus de vingt ans et n’a sans doute jamais rencontré Emmanuel. A-t-il lu avant de mourir en 1994 les premières publications d’Emmanuel ? Celui-ci a sans doute lu (ou parcouru) La société du spectacle, mais je ne souviens pas qu’il ait jamais évoqué ce livre.

 

Cependant le ton du pamphlet de Qui est Charlie ? peut faire penser à certains textes que publiait Guy Ernest Debord dans la revue de l’I.S[xxii], même s’il ne les signait pas toujours. Trois textes viennent particulièrement à l’esprit : Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire marchande ; Le point d’explosion de d’idéologie en Chine et Deux guerres locales.[xxiii]

Ces trois textes avaient en commun d’apporter un éclairage original et nouveau sur des phénomènes et des événements qui étaient abondamment commentés dans la presse de l’époque, la presse « bourgeoise » comme la presse « révolutionnaire ».

Le premier est un récit critique des émeutes noires d’un quartier de Los Angeles entre le 13 et le 16 août 1965. Le deuxième est une narration ironique de la prétendue « révolution culturelle » chinoise.[xxiv] Les Deux guerres locales que le troisième met en parallèle, ce sont la « guerre des six jours » qui, dans les esprits, entre en collision avec la « guerre du Vietnam » qui dure depuis plus de dix ans (plus de vingt, si on inclut la « guerre d’Indochine »)[xxv].

 

On peut imaginer ce que Guy Ernest aurait pu écrire sur les événements de janvier 2015. Il n’aurait sans doute pas parlé de « flash totalitaire », mais plutôt de « spectacle » et plus précisément de « spectaculaire intégré ». En 1988, il revenait en effet sur la distinction qu’il avait faite en 1967 entre un « spectaculaire concentré » à l’Est et un « spectaculaire diffus » à l’Ouest[xxvi]. Forgeant alors ce concept de « spectaculaire intégré »[xxvii], il en disait que sa plus haute ambition était « que les agents secrets deviennent des révolutionnaires, et que les révolutionnaires deviennent des agents secrets »[xxviii]. Il ajoutait que ce « spectaculaire intégré » était caractérisée par son complément : « le secret généralisé »[xxix].

En effet, Guy Ernest se piquait d’être un stratège et aurait vraisemblablement imaginé la main d’un Etat guidant les terroristes. Il ne serait pas tombé pour autant dans un vulgaire complotisme. Mais les uns se réclamant d’Al Qaida (Péninsule Arabique), l’autre de « l’Etat islamique », il n’est pas ridicule d’imaginer la manipulation de services secrets orientaux. D’ailleurs, la dernière compagne (selon les enquêteurs) du dessinateur Charb a déclaré en octobre : « On ne peut pas se contenter de la seule thèse du terrorisme islamiste ».

http://www.leparisien.fr/charlie-hebdo/la-verite-sur-l-attentat-de-charlie-est-encore-loin-18-10-2015-5196355.php

Il aurait remarqué aussi que, dans un « orient compliqué » qui avait remplacé « l’Est bureaucratique » de la guerre froide, le « spectaculaire concentré » avait fait un retour en force. En 1989 déjà, un Etat, « l’Etat islamique » iranien condamnait à mort Salman Rushdie. Depuis, d’autres « Etats plus ou moins islamiques » organisent des manifestations de masse pour punir l’occident, parfois pour dénoncer les caricatures d’un journal moribond.

Enfin, publiant son pamphlet, Guy Ernest aurait eu la conscience claire de provoquer un scandale, dans la tradition situationniste, et ne serait pas venu à la télévision pour s’en défendre, en prenant la posture du savant.

 

Cependant, malgré leurs différences évidentes, Emmanuel Et Guy Ernest auraient pu se retrouver sur le sujet des émeutes, par exemple, bien que, on l’a vu plus haut, le ton qu’ils emploient n’est pas le même. Remarquons d’abord que les émeutes de 1965 à Los Angeles comme celles de la banlieue parisienne cinquante ans plus tard font suite à un incident de circulation mettant face à face une police blanche et une minorité plus sombre. Certes, Emmanuel se félicite encore aujourd’hui que, en 2005, « les flics n’(aient) pas tiré un seul coup de feu » . Cependant il pourrait souscrire aussi à l’intention des situationnistes de 1966 : C’est le rôle d’une publication révolutionnaire, non seulement de donner raison aux insurgés de Los Angeles, mais de contribuer à leur donner leurs raisons, d’expliquer théoriquement la vérité dont l’action pratique exprime ici la recherche. »[xxx]

Evidemment, il le dit autrement, car il ne se prétend pas révolutionnaire : « L’essentiel de la gauche de la gauche rejette, en théorie et en vrac, l’austérité, le système capitaliste, le leadership américain, l’oppression des Palestiniens. Elle accepte en pratique la monnaie unique et le libre-échange. »[xxxi]

Il pourrait rejoindre Guy Ernest dans ce constat : « Ce qui constitue le péché originel du sionisme, c’est d’avoir toujours raisonné comme si la Palestine était une île déserte. »[xxxii]

Aujourd’hui, et depuis plusieurs années, cette île est divisée, déchirée, morcelée. Un seul Etat a vu le jour, mais frontières, enclaves et territoires, colons, colonies et colonisés se sont multipliés. Certains de ces mots ont même connu des glissements de sens assez révélateurs. Ainsi, dans le territoire de l’ancienne Palestine, on peut voir une Etat démocratique défendre le « droit des colons »et nier l’existence même de « colonisés ». Ces mots se sont en outre exportés, selon la loi du retour, dans une Europe qui avait cru se débarrasser d’un problème en le déplaçant de l’autre côté de la Méditerranée. Deux camps apparemment irréductibles se renvoient à la figure un prétendu « droit au retour » et leurs catastrophes respectives, Shoah et Nakba.

En France, les membres des minorités judaïque et mahométane subissent l’injonction de se penser et de se comporter en « communautés opprimées », d’un côté ; « communautés en danger », de l’autre. Ces « communautés en danger » sont invitées par certains dirigeants de l’Etat Juif à rejoindre « l’armée nationale » ou « la communauté nationale », la « terre promise », et donc à quitter le territoire dangereux de la République Française. Les « communautés opprimées » sont renvoyées à leurs origines religieuses, alors que la moitié de leurs membres ne pratiquent plus cette religion. Le « barbu » a remplacé le « bougnole » et le « bicot », le « musulman intégriste » a supplanté l’« arabe sournois » dans l’imaginaire effaré du « beauf à la Cabu ». Une minorité active ou agitée de ces « communautés opprimées » se replie sur son « identité arabo-musulmane », parfois en affichant les marques de son « appartenance », parfois en les masquant pour entrer en « résistance armée ». Elle erre dans les territoires perdus de la République et imagine son salut dans une terre de perdition où personne ne les attend, si ce n’est la mort ou un chef de gang.

Emmanuel ne partage pas cette analyse de « la montée de l’antisémitisme dans les banlieues », lui qui, après avoir dit qu’elle doit être traitée «  comme un fait sociologique », conclut que :

« Nous aurions toujours tort de n’y voir qu’une importation en France du conflit israélo-palestinien, même si la réalité lointaine de l’injustice faite aux Palestiniens anime consciemment les jeunes antisémites des banlieues. »[xxxiii]

(à suivre)

[i] « J’ai souffert en écoutant Jamel Debbouze, personnage central de la culture française, soumis à cette injonction sur TF1. Il était venu affirmer sa qualité de musulman, sa fidélité aux jeunes des banlieues, son amour de la France, de sa femme non musulmane, de ses enfants issus d’une union mixte et qui sont la France de demain. Il tentait d’expliquer gentiment et douloureusement à son inquisiteur que le blasphème, c’était difficile pour un musulman, que ce n’était pas dans sa tradition. Mais non, être français c’était, non pas avoir le droit, mais le devoir de blasphémer. Voltaire dixit. Je ne pouvais m’empêcher de penser à ce que j’avais lu sur l’inquisition, sur ces interrogatoires des juifs convertis dont on voulait s’assurer qu’ils mangeaient bien du porc, comme tous les vrais chrétiens. » Qui est Charlie ? (p 13-13)

[ii] « Que la condamnation de l’acte terroriste n’impliquait aucunement que l’on divinisât Charlie Hebdo. Que le droit au blasphème sur sa propre religion ne devait pas être confondu avec le droit au blasphème sur la religion d’autrui, particulièrement dans le contexte socio-économique difficile qui est celui de la société française actuelle : blasphémer de manière répétitive, systématique, sur Mahomet, personnage central de la religion d’un groupe faible et discriminé, devrait être, quoi qu’en disent les tribunaux, qualifié d’incitation à la haine religieuse, ethnique ou raciale  ». (p 15)

[iii]La chute finale. Essai sur la décomposition de la sphère soviétique. (1976)

[iv] « Le gouvernement décrétait des sanctions. Tout refus par un lycéen d’observer la minute de silence décidée par le gouvernement était interprété comme une apologie implicite du terrorisme et un refus d’adhérer à la communauté nationale. »

[v] Entretien connu sous le titre « Dans deux ans, Hollande sera un géant ou un nain » : « Si, dans un an, Valls pense faire une carrière en déménageant le même camp de Roms tous les deux mois, clamant en même temps que l’euro est formidable, je changerai d’avis. Mais je ne crois nullement que Valls soit le socialiste le moins perspicace sur le plan économique. S’il voulait un destin, il lui suffirait de ne pas s’enfermer dans le rôle de ministre de la police et de la délinquance. Dans ce registre-là, il ne fera jamais aussi bien que l’UMP. La gauche ne doit jamais oublier que le véritable ennemi, c’est les riches. »

[vi]« Manuel Valls et François Hollande, faut pas le laisser hors du coup celui-là quand même, lui aussi c’est un catholique zombie qui hurlent le mot de liberté, qui hurlent le mot égalité et qui font des politiques économiques radicalement inégalitaires et qui détruisent une partie de la société française et puis je dirais qui font des politiques, politiques concernant les libertés publiques etc qui sont potentiellement liberticides. Vous voyez ? Ils sont les représentants de la mauvaise France dans l’histoire mais ils prétendent être les représentants de la liberté et de l’égalité. Et en ce sens ce sont des imposteurs. » BFM le 8 mai 2015

[vii] Chapitre 5 : Famille et idéologie (p 99)

[viii] « Un idéal de différenciation des frères est au cœur de la tradition juive, telle qu’elle apparaît dans la Bible, à la fois reflet et modèle d’un type de vie familiale (…). L’association du père Isaac et du fils aîné Ésaü (principe de primogéniture masculine) est brisée par la mère Rebecca au profit du fils cadet Jacob. Le système met en évidence l’inégalité des frères, des hommes et des peuples mais manifeste aussi une préférence invincible pour le faible, enfant ou peuple. » Le destin des immigrés (Le Seuil 1994) (p 27)

[ix]« La théologie ne permet pas de définir une différence de nature claire, précise, décisive entre islam et christianisme. Ces deux religions sont également monothéistes et universalistes. Elles se réclament d’une même tradition biblique. (…) une frontière invisible arrête la foi musulmane (…) L’Islam a abattu des géants et plié devant des nains. (…) Les idéologies— athées, laïques ou religieuses— étant de même nature, il n’est pas étonnant de pouvoir déceler, sous l’apparence théologique de l’Islam, une essence anthropologique : la famille communautaire endogame. » La troisième planète (Le Seuil 1983) 5ème partie : Endogamie (p 152)

[x]« La sphère chrétienne incarne l’idéal d’exogamie ; le monde musulman s’identifie à l’idéal d’endogamie. Deux universalismes, deux monothéismes, s’affrontent, piégés par une différence anthropologique. Chrétiens et musulmans se considèrent mutuellement comme des sauvages, réciproquement inacceptables à cause de leurs mœurs sexuelles et familiales. » (p 153)

[xi] « Il n’est cependant pas question de faire ici le procès de l’Islam, de le considérer comme essentiellement antiféministe, dans la grande tradition européenne et chrétienne. Formulée en termes généraux, vagues et moralisateurs, « l’oppression de la femme » n’est qu’un slogan sans substance sociologique. Par bien des aspects, la condition des femmes indiennes ou chinoises est plus dure que celle des musulmanes. »  (p 162)

[xii] La troisième planète (Le Seuil 1983) 5ème partie : Endogamie (p 165)

[xiii] « Le père musulman est trop débonnaire pour être haï, nié dans son enveloppe charnelle ou dans sa forme divine. Le dieu de l’Islam pardonne trop souvent pour qu’on cherche à le liquider. » (p 169)

[xiv] « La grande faiblesse de l’argumentation psychanalytique vient de ce qu’elle postule l’existence d’une structure familiale unique et universelle, dont on voit mal comment elle pourrait engendrer tous les produits idéologiques de l’imagination humaine. Une même structure familiale peut-elle mener au créateur sévère des protestants, à l’Allah miséricordieux des musulmans, aux dieux multiples de l’hindouisme et à l’incertitude bouddhique quant à la nature du divin ? La psychanalyse n’a rien à envier à la science politique par son européocentrisme. » (p 20)

[xv] Moïse, Jésus et Mahomet (1887)

[xvi]Bruno Etienne, L’islamisme radical (1987) (p 35). Et il poursuit : « Dans une société qui privilégie non seulement la filiation paternelle mais la primogéniture masculine, toutes les conséquences symboliques de cette non-paternité obèrent l'imaginaire de la même façon que l’origine du mythe abrahamique (la descendance d'Ismaël et d'Israël) fit l’objet de controverses traumatisantes (bien longtemps avant que Freud n’en formalisât la théorie). » Il ajoute même en note une réflexion qu’aurait pu écrire E.T. : « Il ne fait pas de doute en ce sens que l'Islam est révolutionnaire et bouscule tes règles arabo-bédouines, par exemple en établissant la possibilité d’héritage de la femme ou de la fille. Mais depuis quatorze siècles, la société arabe a inventé toutes sortes d'expédients pour contourner la Loi.”

[xvii] « La tradition révolutionnaire française et l’islam sont deux des systèmes idéologiques les plus fortement universalistes et antiracistes existant dans le monde. L affrontement ne vient pas du sentiment de supériorité de l’une ou de 1’autre communauté, mais de l’existence de deux structures anthropologiques différentes et incompatibles. » La nouvelle France (1988) p (233-234)

[xviii] « L’islam est l’universalisme d’origine non européenne le plus connu des Européens. La religion de Mahomet s’appuie, aussi sûrement que celle du Christ, sur la certitude a priori d’une essence humaine universelle, qui permet à tout individu d’acquérir par la conversion la qualité de musulman. Entre le Sénégal et l’Indonésie, 1’homme musulman peut être noir, blanc ou jaune. » Le destin des immigrés (p 16)

[xix] Avec Pierre Brée en 1982 LE JUGEMENT DE DIEU EST COMMENCÉ dans le numéro 1 (et sans doute unique) de la Revue de préhistoire contemporaine. (disponible sur son site ; esprits fragiles s’abstenir)

[xx] Roger Arnaldez, Encyclopædia Universalis 2004

[xxi] In girum nocte et consumimur igni (1978)

[xxii] Internationale Situationniste. Des rééditions de 12 numéros sont disponibles en version papier et en ligne.

[xxiii] Les deux premiers ont réédités en 2004 avec un texte de 1971 sous le titre de ce dernier : La planète malade.

[xxiv] Internationale situationniste n°11 (1967). René Viénet, auteur du film Chinois, encore un effort si vous voulez être révolutionnaires, a sans doute participé à l’écriture de ce texte. Alors que la France gaullienne est fascinée par Mao, on peut y lire : « Ce sont finalement les débris gauchistes des pays occidentaux, toujours volontaires pour être dupes de toutes les propagandes à relents sous-léninistes, qui sont capables de se tromper plus lourdement que tout le monde, en évaluant gravement le rôle dans la société chinoise des traces de la rente conservée aux capitalistes ralliés, ou bien en cherchant dans cette mêlée quel leader représenterait le gauchisme ou l’autonomie ouvrière. Les plus stupides ont cru qu’il y avait quelque chose de « culturel » dans cette affaire, jusqu’en janvier où la presse maoïste leur a joué le mauvais tour d’avouer que c’était « depuis le début une lutte pour le pouvoir ».

[xxv] Internationale situationniste n°11 (1967)

[xxvi] « Grâce à son étymologie, et aux souvenirs contemporains des affrontements limités qui, vers le milieu du siècle, opposèrent brièvement l’Est et l’Ouest, spectaculaire concentré et spectaculaire diffus, aujourd’hui encore le capitalisme du spectaculaire intégré fait semblant de croire que le capitalisme de bureaucratie totalitaire — présenté même parfois comme la base arrière ou l’inspiration des terroristes — reste son ennemi essentiel, comme aussi bien l’autre dira la même chose du premier ; malgré les preuves innombrables de leur alliance et solidarité profondes. » Commentaires sur la société du spectacle (1988)

[xxvii] « La société qui s’annonce démocratique, quand elle est parvenue au stade du spectaculaire intégré, semble être admise partout comme étant la réalisation d’une perfection fragile. De sorte qu’elle ne doit plus être exposée à des attaques, puisqu’elle est fragile ; et du reste n’est plus attaquable, puisque parfaite comme jamais société ne fut. »

[xxviii] « Mais l’ambition la plus haute du spectaculaire intégré, c’est encore que les agents secrets deviennent des révolutionnaires, et que les révolutionnaires deviennent des agents secrets. »

[xxix] « La société modernisée jusqu’au stade du spectaculaire intégré se caractérise par l’effet combiné de cinq traits principaux, qui sont : le renouvellement technologique incessant ; la fusion économico- étatique ; le secret généralisé ; le faux sans réplique ; un présent perpétuel. (…) Le secret généralisé se tient derrière le spectacle, comme le complément décisif de ce qu’il montre et, si l’on descend au fond des choses, comme sa plus importante opération. »

[xxx]Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire marchande Internationale situationniste n°10 (1966)

[xxxi] Qui est Charlie ?, p 102

[xxxii]« La guerre israélo-arabe a été un mauvais tour joué par l’histoire moderne à la bonne conscience de gauche, qui communiait dans le grand spectacle de sa protestation contre la guerre du Vietnam. (…)L’absence de mouvement révolutionnaire en Europe a réduit la gauche à sa plus simple expression : une masse de spectateurs qui pâment chaque fois que les exploités des colonies prennent les armes contre leurs maîtres, et ne peut s’empêcher d’y voir le nec plus ultra de la Révolution. (…)L’adhésion de la conscience spectatrice aux causes étrangères reste irrationnelle, et ses protestations vertueuses s’embourbent dans les méandres de sa culpabilité.(…) Ce qui constitue le péché originel du sionisme, c’est d’avoir toujours raisonné comme si la Palestine était une île déserte. » Deux guerres locales Internationale situationniste n°11 (1967)

[xxxiii] « les sentiments antijuifs qui prospèrent dans certains milieux sont désormais avérés, sans discussion possible, et doivent être traités comme un fait sociologique, à la manière d’un taux de suicide. Nous aurions toujours tort de n’y voir qu’une importation en France du conflit israélo-palestinien, même si la réalité lointaine de l’injustice faite aux Palestiniens anime consciemment les jeunes antisémites des banlieues. Qui est Charlie ?



4 réactions


  • sls0 sls0 31 octobre 2015 21:28

    Quand on écrit, c’est souvent à l’autre que l’on s’adresse.

    • 1) Beaucoup se font plaisir en écrivant, c’est peut être gratifiant mais c’est pas le but. L’écrit s’adresse aux autres, pas à soi-même.
    • 2) Si l’on a envie que le message passe, il faut tenir compte de la diversité des autres, si pour une personne ayant un grand capital culturel, c’est facile à lire et souvent est déjà au courant, pour la personne ayant un bagage moindre ça peut être incompréhensible alors qu’il fait partie de la population qui a le plus besoin de l’information.

    Vulgarisation, j’aime pas trop le mot car on l’associe parfois à vulgaire, sa définition latine je préfère : ’’Relatif au public, relatif à la foule, qui appartient à tout le monde, général’’.

    Un écrit qui appartient à tout le monde. Ici c’est quand même difficile à lire.

    Vu le travail de recherche et les références j’ai cliqué sur bon et j’apprécie Todd.


  • Passante Passante 31 octobre 2015 21:31

    sauf qu’emmanuel a besoin d’évacuer le facteur guy en janvier

    because le facteur guy à ce moment-là est bien le coeur de l’affaire
    sur toutes les unes mondiales, 
    présent ? y’a pas photo ?
    oh que si, et c’est bien tout ce qui reste justement, souriez ..
    poor dear : pas d’histoire surtout.

    et voilà, figé forever 
    le coeur même de l’explosion smiley

    charlie n’a plus jamais arrêté de se fusiller
    (normal, c’est lui qui avait commencé).

    • alinea alinea 31 octobre 2015 21:53

      @Passante
      je ne vous cherchais pas mais j’étais sûre de vous trouver là !!
      bon, j’ai bien aimé l’article mais j’ai vraiment rien à en dire !
      Il s’est suicidé au fusil ? Quel cran !


  • claude bonhomme claude bonhomme 2 novembre 2015 12:27

    Mon jeune ami, quand vous m’aviez dit, au mois de mai, que vous prépariez un nouveau texte sur Emmanuel Todd, je ne pensais pas que vous alliez attendre la fin du mois d’octobre pour le publier. De plus, vous semblez en annoncer une suite en novembre.
    Je vous ai déjà dit que sur ce site il faut s’inscrire dans l’actualité la plus brûlante. Revenir sur ce livre publié en mai, alors que son auteur n’a pas fait une tentative de suicide comme ce pauvre Bonnemaison la semaine dernière ; qu’il n’a pas été licencié par Delphine Ernotte comme ce cuistre de la télévision ; qu’il n’est pas passé chez Ruquier samedi dernier...


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