vendredi 12 mai 2017 - par Bruno Hubacher

Qui paiera ?

En 2016, le volume mondial des transactions en devises s’élevait à 5'100 mia USD par jour, selon la « Banque des Règlements Internationaux » BIS à Bâle, ou deux semaines d’échanges commerciaux réels en une année, le reste est de la spéculation. Il faut contrebalancer ce déséquilibre par l’introduction d’une taxe financière et, par la même occasion, une augmentation massive des salaires.

En 2016, le volume mondial de transactions en devises s’élevait à 5'100 mia USD par jour, selon la « Banque des Règlements Internationaux » BIS à Bâle. 

A titre de comparaison, le produit mondial brut GWP, donc toutes les marchandises et services produits en une année dans le monde, s’élève à 75'000 mia USD. Autrement dit, deux semaines de transactions en devises équivalent les échanges commerciaux réels, le reste est de la spéculation. En outre, le rapport entre le niveau mondial des transactions en valeurs boursières et le total des marchandises et services, produits en une année, a augmenté de 20% à 160% entre 1992 et 2015. 

Cette bulle financière continue à être alimentée, bien sûr par la planche à billets des banques centrales, mais aussi par les multinationales qui rachètent leurs propres actions et versent des dividendes à leurs actionnaires, prétendument faute d’opportunités d’investissement dans l’économie réelle, dividendes qui sont réinvestis à leur tour dans les marchés financiers. Ceci pour la théorie économique néolibérale du « trickle down ». S’il en faut une preuve supplémentaire que le marché libre et dérégulé détruit l’économie, en voilà une.

La solution serait simple et ne ferait de mal a personne. Pour contrebalancer ce déséquilibre, il suffirait d’introduire une taxe universelle sur les transactions financières, un impôt progressif sur le capital, ainsi que sur le revenu du capital et, par la même occasion, une réduction du taux d’imposition sur le travail et une augmentation massive des salaires. 

Taxer les robots est une fausse bonne idée, car le progrès technologique en soi est un bienfait pour la société. Il permet la réduction du temps de travail et donne la possibilité aux individus de dédier énergie et talents à d’autres activités, enrichissantes et même utiles. La tâche de la répartition équitable des fruits de ce progrès, découlant idéalement de choix démocratiques en revanche, devrait être assumée par les élus politiques, qui malheureusement manquent d’inspiration. Serait-ce parce qu’ils sont un peu trop souvent à la botte d’intérêts particuliers ? 

Le capitalisme est capable de beaucoup de choses, mais il y une chose dont il est incapable : « faire des choix de société » Sinon le cimentier franco-suisse « LafargeHolcim » et le fabricant suisse de matériaux de construction Sika refuseraient de participer à l’appel d’offre pour la participation à la construction d’un mur entre le Mexique et les Etats Unis et le cimentier « LafargeHolcim », encore lui, aurait tout simplement fermé son usine en Syrie en 2013, plutôt que de payer le « pizzo » à des groupes terroristes.

C’est un constat amer, mais depuis Ronald Reagan et Margareth Thatcher avec le lancement de leur société néolibérale, plus aucun parti politique ni politicien n’a eu de projet de société. Sauf, peut-être, le député européen et sénateur français, Jean-Luc Mélenchon, avec son mouvement « La France insoumise », mais, comme disait le comique Coluche : « Certaines choses on ne peut pas dire à la télévision, il y a trop de gens qui regardent. » Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, car la récente invitation sur un plateau de télévision de la chaîne publique française, pour présenter son programme, a dégénéré en un véritable guet-apens. On ne veut décidément pas entendre parler d’un changement du statu quo. Mais, peut-être ce n’est qu’une théorie de complot. 

En ce moment, le parlement suisse se livre à une querelle de chiffonniers pour savoir si oui ou non il faut augmenter la rente mensuelle de CHF 70.00, le prix d’un bon repas, ou augmenter l’âge de la retraite pour les femmes à 65 ans pour contrecarrer un manque à gagner dans la prévoyance privée de capitalisation.

Le chancelier de l’empereur Guillaume 1er, Otto von Bismarck, avait introduit, en 1883, la première assurance sociale paritaire, dans le but d’apaiser les tensions sociales et de protéger la monarchie contre la montée du socialisme et les syndicats, et, en 1889 le système des retraites. Il était malin, Bismarck, car pouvait partir à la retraite à l’âge de 70 ans tous ceux qui avaient cotisé au préalable pendant 30 ans. Peu nombreux étaient les heureux élus, car l’espérance de vie au temps de Guillaume 1er était de 40 ans.

En Suisse, l’âge de la retraite est actuellement fixé à 65 ans pour les hommes et 64 ans pour les femmes, avec une espérance de vie entre 80 et 85 ans, une amélioration de 45 ans, ce qui fait que le calcul bismarckien ne fonctionne plus. Qui paiera ?

Des propositions de la boîte à outils de « Monsieur Bricolage » sont nombreuses, augmentation de la TVA. 0,6% ou 1%, augmentation de la contribution de la Confédération de 19,55% ou 20%, augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans, augmentation générale de l’âge de la retraite à 67 ans. Tout cela rappelle l’arnaque bismarckienne 

Ce n’est pas une question d’argent, c’est un choix politique. La seule réponse possible est une répartition plus équitable entre le capital et le travail. Contrairement à ce que veulent faire croire les clichés, qui ont la vie dure, le succès de l’économie suisse ne tient pas aux succès de ses banques, ni au fromage d’ailleurs. La part du secteur bancaire fournit moins que 6% des places de travail et son poids dans l’économie représente à peine 10%. 

L’économie suisse doit son succès à sa démocratie directe et, par conséquent, à sa stabilité politique exemplaire, son système libéral à l’américaine couplé d’une paix sociale sagement négociée entre les partenaires sociaux, mais menacée actuellement par la disparition du contre pouvoir de la gauche au parlement lors des élections d’octobre 2015. 

Preuve, en revanche, que la démocratie directe fonctionne à merveille dans ce pays, à condition qu’on prenne soin de toujours bien la bichonner, sont les récentes votations, lors desquelles le peuple suisse a décidé de ne pas accordé de baisse d’impôts aux entreprises.

Il serait donc temps d’avancer quelques pistes hérétiques supplémentaires, telles que taxer le secteur de la finance et le capital, à commencer par l’introduction d’une « taxe tobin » sur les transactions financières. Certes, peut-être quelques « sociétés de trading » partiraient. A Londres ? Non, pas à Londres elles partent de Londres à cause du « Brexit ». Le produit pourrait financer un tas de choses, l’éducation, la recherche, l’aide à la création de nouvelles entreprises, dans le domaine des énergies renouvelables, par exemple, la santé, des idées ne manquent pas. 

Ensuite il y a la manne de la prévoyance, publique et privée, obligatoires les deux. Le « Fonds de Compensation » qui s’occupe de l’argent non utilisé, à moyen terme, pour le paiement des rentes de l’Assurance Vieillesse et Survivants AVS, de l’Assurance Invalidité AI et de l’Assurance perte de gains EO est géré par une cinquantaine de fonctionnaires à Genève, dont le site internet « compenswiss.ch » dévoile de plus en plus de secrets, grâce à la curiosité et l’assiduité du député vaudois PLR, Olivier Feller. 

On y apprend, par exemple, que la gestion de 16 des CHF 34 mia, dont dispose le fonds, est confiée à des gestionnaires externes, suisses et étrangers. Le plus important d’entre eux, avec CHF 2,9 mia, est la multinationale américaine de gestion d’actifs et numéro un mondial, « Black Rock », qui à elle seule gère des capitaux d’une valeur de USD 5'000 mia et dont le vice président du conseil d’administration n’est personne d’autre que l’ancien président de la Banque Nationale Suisse, Philipp Hildebrand. 

Parmi d’autres heureux élus sont le « Crédit Suisse » et « UBS » avec CHF 1,7 mia chacun, la maison « Pictet » avec CHF 1,3 mia, la maison « Schröder » avec CHF 1,3 mia, « Pramerica Investments » avec CHF 1,3 mia et ainsi de suite. La performance globale du fonds en 2015 était de - 0,95%. 

Le secret du modèle d’affaire de la gestion de fortune est le fait que, contrairement à celui d'un avocat ou d'un médecin, le tarif est en fonction de la taille de la fortune sous gestion. Si on payait la gestion de fortune au tarif horaire le modèle s'effondrerait.

Alors, plutôt que de laisser partir un savoir faire à l’étranger ou même dans les banques indigènes, on pourrait annuler tous les mandats de gestion externes, engager une flopée de spécialistes sur place, pour le service public, fraîchement diplômés de nos universités. On économiserait quelques dizaines de millions en commissions et renforcerait le savoir faire en matière de finance. En outre, on pourrait investir davantage dans l’économie réelle sous forme d’aide à la création d’entreprises et la recherche, activité qui demande un savoir faire plus pointu que la simple gestion financière.

Pour résumer, et contrairement à ce que le courant d’opinion dominant veut faire croire, le progrès technologique qui engendre la réduction du temps de travail et l’amélioration de la santé publique qui engendre le vieillissement de la population sont une chance et non un problème. Tout ce qui reste à faire est de répartir les fruits de ce progrès de manière équitable en allant voter. 



2 réactions


  • Gilles Mérivac Gilles Mérivac 12 mai 2017 11:58

    Une taxe sur les transactions financières n’est efficace que si elle est mondiale sinon il y aura une évasion fiscale monumentale, donc uniquement si les principaux acteurs le veulent. Actuellement, ce n’est pas le cas.


    • rogal 12 mai 2017 13:56

      @Gilles Mérivac
      C’est juste, sauf à mettre fin à la liberté (entière) de mouvement des capitaux.


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