lundi 29 août 2016 - par Daniel Salvatore Schiffer

Sonia Rykiel ou la liberté de ton

Cet été 2016 n'en finit décidément pas d'égrener, au fil de ses illustres morts, son funèbre cortège. C'est maintenant la grande Sonia Rykiel qui, un jour à peine après Michel Butor, dernier maître du « nouveau roman », et un peu plus d'une semaine seulement après la regrettée Françoise Mallet-Joris, vient de s'éteindre en ce 25 août 2016.

Je connaissais un peu Sonia Rykiel, avec laquelle je m'entretenais parfois, avant que la maladie ne vînt la diminuer fortement, au téléphone, surtout les dimanches en fin d'après-midi ou début de soirée, heures de spleen baudelairien, propices à la mélancolie. Je me souviens : c'est mon ami et éditeur Gérard de Cortanze, dont j'apprécie tout particulièrement l'élégante plume ciselée en matière d'écriture, qui m'avait mis en contact avec elle. Il y a déjà, de cela, sept ans. C'était, en effet, en mai 2009, au moment même où je publiais, dans la superbe collection, « Folio Biographies », qu'il dirige aux Éditions Gallimard, mon Oscar Wilde, dont je me fis alors un très sincère plaisir d'envoyer un exemplaire, muni d'une tout aussi respectueuse dédicace, à la chère Sonia. A l'évidence, elle apprécia sa lecture tout autant que mon geste puisque, après m'avoir fait parvenir un gentil et chaleureux billet pour me remercier, elle me fit l'honneur, sans que je lui aie demandé quoi que ce soit, de garnir les grandes et belles vitrines de son très central magasin, à Paris, du boulevard Saint-Germain, et jusqu'aux étalages de la rue des Saints-Pères, d'une dizaine d'autres exemplaires au moins, tous bien exposés à la vue des passants, de ce même livre. Elle l'y accueillit, gratuitement, tout le reste du printemps, cette année-là, et une grande partie de l'été. Dire que j'en fus aussi flatté qu'ému serait, bien sûr, un euphémisme, sinon une tautologie. Aussi ma gratitude, pour cette attitude empreinte d'une rare générosité d'âme, lui sera-t-elle éternelle !

LA LIBERTE DE TON(S)

Sonia Rykiel, du reste, était bien plus qu'une styliste ou même une fabuleuse artisane, avec ses chatoyantes mailles, ses robes sans ourlet et ses pulls portés à l'envers, de la mode, y compris en ses aspects les plus innovants, sinon précurseurs d'un certain air du temps. Elle était aussi, et peut-être surtout, une admirable intellectuelle, qui, en femme résolument libre qu'elle fut toujours, connaissait à merveille, par exemple, ces autres grandes dames de la culture, insignes émancipatrices de la gent féminine, que furent, au dix-neuvième siècle déjà, Sarah Bernhardt, pour le théâtre, et George Sand, dont elle avait lu l’œuvre entière tout autant que la riche correspondance, pour la littérature.

De cette femme aussi fantasque que fantastique, Baudelaire aurait d'ailleurs pu dire ce qu'il écrivit, parlant là de ses extravagantes tenues, dans A celle qui est trop gaie, poème inséré en ses Fleurs du mal  :

« Ces robes folles sont l'emblème

De ton esprit bariolé. »

Bref : Sonia Rykiel, c'était, peut-être avant tout, une immense, quasi insolente, liberté de ton(s), dans tous les sens du terme (esprit et couleur) !

UN MODE D'ÊTRE PLUS QU'ÊTRE A LA MODE

Ainsi, avec Sonia Rykiel, convient-il d'inverser l'équation stylistique : plus qu'être à la mode, elle était un mode d'être !

Mieux ! Probablement ce cher Oscar Wilde qui nous unissait tant, par son génie comme par sa liberté, aurait-il pu dire d'elle, s'il avait eu, comme moi, le privilège de la connaître aujourd'hui, ce qu'il avait jadis écrit, dans son célèbre Portrait de Dorian Gray, à propos de ce jeune et beau dandy :

« La mode, qui confère à ce qui est en réalité une fantaisie une valeur provisoirement universelle, et le dandysme qui, à sa façon, tente d’affirmer la modernité absolue de la beauté, le fascinaient. Sa façon de s'habiller et les styles particuliers qu'il affectait de temps à autre influaient fortement sur les jeunes élégants (…) ; ils copiaient tout ce qu'il faisait, et tentaient de reproduire le charme fortuit de ses gracieuses coquetteries de toilette (…) Il désirait pourtant, au plus profond de son cœur, être plus qu'un simple arbiter elegantiarum qu'on consulterait sur la manière de porter un bijou, de nouer une cravate ou de manier une canne. Il cherchait à inventer un nouveau système de vie qui reposât sur une philosophie raisonnée et des principes bien organisés, et qui trouvât dans la spiritualisation des sens son plus haut accomplissement. »

LA FLAMBOYANCE D'UNE EMINENTE FEMME DANDY

Aussi n'est-ce certainement pas un hasard si Oscar Wilde, le dandy le plus flamboyant de son temps, finit sa difficile existence dans le quartier parisien de Saint-Germain-des-Prés, là même où vécut et travailla pendant si longtemps, précisément, Sonia Rykiel, non moins, ne fût-ce qu'au vu de son incomparable et dense chevelure rousse, flamboyante : une indomptable crinière de fauve !

Sonia Rykiel, en effet : une fille du feu, pour reprendre ici l'incendiaire mais surtout magnifique expression de cet autre grand poète que fut Gérard de Nerval, tout autant qu'une éminente femme dandy et, comme telle, dotée, toute sa vie durant, d'un indéfectible esprit d'indépendance, valeur suprême entre toutes.

Adieu, donc, très chère Sonia : votre souvenir flamboie, en moi, telle une immortelle flamme !

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, auteur, notamment, de « Philosophie du dandysme - Une esthétique de l'âme et du corps  » (Presses Universitaires de France), « Oscar Wilde » et « Lord Byron  » (Gallimard - Folio Biographies) ainsi que Petit éloge de David Bowie - Le dandy absolu (Éditions François Bourin). A paraître : Requiem Dandy - Méditation sur l'art de mourir, de Socrate à Bowie.



6 réactions


  • philouie 29 août 2016 10:20

    Il n’est pas inintéressant de rappeler, à l’heure des polémiques sur la vêture des femmes, que la mode à largement contribué à la dictature du corps qui impose aux femmes tout un tas de sacrifice alimentaire pour demeurer potable lorsqu’elles montreront leur fesses à la plage.
    Faire de la femme un corps, non pas temple de la reproduction, mais simple objet sexuel qui doit s’offrir au regard des hommes, est une tyrannie du corps social que perçoivent mal ceux qui prétendent la libérer, là où ils l’enferment dans une certaine conception qu’il faut bien qualifier de consumériste.
    Je crois savoir que Sonia Rykiel a su proposer une mode faite de vêtements amples et couvrants, libérant les femmes du regard culpabilisateur que porte le corps social sur la femme trop nourri, ou simplement bien en chair.


  • simplesanstete 29 août 2016 10:33

    Un dandy qui se dandine sur une dandy et la boucle est bouclée. Next. Parlez en à MENabe enterré dans sa galerie où il s’épate !


  • UnLorrain (---.---.27.122) 29 août 2016 12:07

    Allons sur litteratureaudio a Cuisin J,P,R la femme de cire 1820, Cuisin ne en 1777 ! Astreinte a regime la femme illustrant la couverture ? Femme que Flaubert dans Novembre plus tard aurait certainement dit qu elle avait des hanches superbes comme ces grisettes qu il voulait toucher ?


  • Fergus Fergus 29 août 2016 22:07

    Sonia Rykiel a été une styliste parmi d’autres, et si elle a réussi à s’imposer alors que tant d’autres talents véritables échouent dans cette profession, c’est grâce à un slogan marketing : « la démode », ou comment faire prendre aux naïfs des vessies pour des lanternes.

    Même chose avec ses pulls portés à l’envers : ce n’était ni plus ni moins ridicule que les jeans troués !


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