vendredi 9 octobre 2015 - par NAMASTE

Vous avez dit « VIOLENCE SOCIALE »

A partir des derniers évènements survenus chez AIR FRANCE, on tente d'analyser ce que peut être la violence sociale en France, en 2015.

AIR FRANCE

Les incidents survenus lors du Comité Central d’Entreprise (CCE) d’Air France tenu le 5 octobre 2015 ont fait couler beaucoup d’encre en France et à l’étranger. La violence sociale subie par le personnel a quelquefois été évoquée pour expliquer voire justifier les agressions contre des membres de la direction d’Air France.

QUE PEUT ETRE LA VIOLENCE SOCIALE ?

Que peut donc signifier " violence sociale " en France, en 2015 ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, ouvrons une brève parenthèse. Naître constitue le premier acte social de l’être humain, celui par lequel il prend sa place au sein de la société. De sa part, il s’agit d’un acte involontaire s’il en est au point que, quelques années plus tard, certains déclareront :« Nous n’avons jamais demandé à vivre » : Ces fils ingrats et révoltés voient leur naissance comme une violence sociale. Mais fermons vite la parenthèse car cet aspect de la condition humaine (1) n’est sans doute pas la préoccupation première des opposants à la direction d’Air France.

MATERIALISMES

Une large indifférence religieuse caractérise notre société sécularisée. Cette indifférence va le plus souvent de pair avec un double matérialisme. Le premier type, philosophique, affirme que seule la matière existe : des êtres spirituels tels que Dieu, l’âme humaine ou l’au-delà restent inconcevables (2). Le second type, plus terre à terre, marque l’attachement jouissif aux biens terrestres, aux plaisirs, faciles ou non, et à la camelote de ce bas monde. Si, contrairement aux matérialistes, l’on croit au salut de son âme dans un autre monde, on peut (ou on devrait…), sans trop geindre, accepter quelques privations matérielles ou, tout au moins, se passer du superflu pendant notre bref passage sur cette Terre (3). Par contre, il est révoltant de ne pas recevoir sa juste part du gâteau quand on est certain de n’avoir d’autre vie que celle d’ici-bas. Bien entendu, la réalité n’est jamais aussi simple : il existe des matérialistes du premier type qui n’adhèrent nullement au second et vice versa. Par exemple, on trouvera des croyants matériellement très avides pensant probablement recevoir hic et nunc une petite avance sur ce qui les attend à coup sûr au Paradis (4).

CONSUMERISME

Pour conclure cette analyse trop sommaire, admettons que le consumérisme (5) s’est substitué à la religion comme moteur d’existence si ce n’est comme principal générateur d’espoir (6). Cette religion a ses paradis ( les " shopping paradises " ) et ses saints ( les " shopping addicts " (7) ). Il est courant d’entendre, lorsqu’un salarié perd son travail, qu’il " reste sur le carreau ". Tel un pion, il sort du damier social où se joue un consumérisme dont il devient un damné, un hôte du purgatoire dans le meilleur des cas.

Entendons-nous bien : il y a plusieurs degrés dans l’élimination du circuit consumériste. Nous ne parlons pas ici des vrais pauvres et des travailleurs précaires dont les besoins primaires ne sont pas satisfaits, de ceux qui ne rêvent guère de peur d’être encore déçus. Nous ignorons également les très riches. Nous traitons seulement de ceux qui, déjà bien engagés dans le circuit consumériste ( belle voiture, voyages, club de gym, crédits, soins anti-âge etc… ), bref des classes moyennes confirmées, peuvent raisonnablement espérer des avancées consuméristes prometteuses au cours des années à venir. Leur sacro-saint pouvoir d’achat leur permet de s’aventurer dans des régions du superflu situées au-delà de la ligne grise du nécessaire (8). Ceux-là, lorsqu’ils perdent leur travail dans la France de 2015, se sentent victimes d’une violence sociale inouïe. Les syndicalistes des grandes entreprises ont d’abord ce type de violence en tête lorsqu’ils "comprennent " le comportement de certains de leurs camarades lors du CCE d’Air France. Arracher les vêtements d’un DRH, jugé comme valet du patronnat, c’est très symbolique, c’est un germe de guerre civile, la pire des guerres. C’est encore plus fort que de brûler des pneus ou des clayettes en mangeant de sympathiques merguez.

PARTAGE ET SOLIDARITE

Prendre goût au superflu ne rend pas très partageux, ça peut même vous rendre un tantinet égoïste. On assiste à une collectivisation non plus des moyens de production mais des désirs. Hélas, la différence entre un salaire brut et un salaire net ( celui qui permet de consommer sur-le-champ ) est là qui tente de pourvoir aux dépenses sociales notamment au sauvetage des pauvres évoqués plus haut. Sans compter les coûts d’une médecine de plus en plus sophistiquée censée augmenter l’espérance de vie ; sans compter non plus la pression de la compétition internationale L’équation n’est pas simple car, à côté des chiffres, elle fait intervenir le facteur humain comme nous avons tenté de le montrer. Et pourtant, il faudra bien la résoudre un jour ne croyez-vous pas ... 

 

(1)Vraisemblablement jugé comme inacceptable par les transhumanistes les plus intégristes

(2)Le matérialisme est un monisme opposé, par exemple, au dualisme cartésien

(3)Tout en concoctant une nouvelle drogue à l’usage du prolétariat, Marx ne disait-il pas que la religion est l’opium du peuple …

(4) Cependant "… votre or et votre argent sont rouillés … " (Lettre de Saint Jacques sur la richesse)

(5)Le consumérisme, comme le matérialisme, possède deux significations : la première désigne l’action de groupes de consommateurs désireux de faire valoir leurs droits (class action, par exemple), la seconde, employée ici, dit la consommation en tant qu’axe de vie majeur.

(6)A ceux qui trouveraient ce point de vue abusif, il convient de rappeler que l’offre de vie corporelle éternelle se fait de plus en plus précise dans le milieu transhumaniste.

(7)Une shopping addict se rendra, par exemple, dans un shopping paradise de Dubaï afin d’acheter un " it bag " prétendument introuvable ailleurs.

(8)Permettez-moi de rappeler ici mon article " Nécessaire et superflu, marchand et non marchand " ( 26 mars 2015 )



10 réactions


  • Paranoïd 9 octobre 2015 12:37

    Alors, merci pour cette occasion de débat, mais pourriez-vous précisez par quelle question vous préféreriez commencer ? car votre article en soulève plusieurs.

    On pourrait commencer par définir ce que comprend le terme de violence sociale, puis essayer de lister ce qui peut en être à l’origine et enfin proposer des idées pour atténuer ces causes.
    qu’en pensez-vous ?


    • NAMASTE 9 octobre 2015 12:56

      @Paranoïd

      Bonjour,

      je suis très conscient que mon article en dit à la fois trop et trop peu.
      J’ai surtout voulu amorcer un débat en tentant de faire sentir que la violence sociale ne concerne pas seulement les pauvres mais aussi ceux qui, plutôt assez bien nantis sur le plan matériel, voient leur rêve consumériste s’évanouir.

      Merci de votre intérêt

  • Spartacus Lequidam Spartacus 9 octobre 2015 13:27
    Demander a des gens qui travaillent 75h par mois de passer à 80h dans une compagnie en déficit depuis 2009 ? 
    Quelle violence sociale !

    Demander a des gens qui ont 13 jours de congés en plus des légaux d’en avoir seulement 11 ?
    Quelle violence sociale !

    Effectivement quand on a goutté aux statuts......Impossible de s’en passer...
    Par contre les clients eux peuvent se passer des statutaires !

    • Paranoïd 9 octobre 2015 14:05

      @Spartacus

      Vous avez sans doute raison sur ce point, les résultats d’une entreprise évoluent et lorsque cela va mal il faut bien faire quelque chose. On ne peut demander au secteur privé d’embaucher tous les chômeurs, tout comme on ne peut demander à l’état de faire de même. Il existe une certaine quantité de travail à faire dans une durée précise et il est contre productif de vouloir utiliser plus de personne que nécessaire. C’est certain.

      Néanmoins on peut penser que pour irréfléchie que puisse être la réaction d’un salarié à qui on annonce qu’il va devoir entrer en concurrence avec d’autres chômeur pour essayer de trouver un nouvel emploi, il semble bien que la situation économique actuel n’aide pas à prendre sereinement une telle nouvelle.

      Qu’en pensez-vous ?
       


    • NAMASTE 9 octobre 2015 14:29

      @Paranoïd

      Dans la conjoncture actuelle (dette, compétitivité, écologie, espérance de vie, coût de la santé), le pouvoir d’achat permettant de s’offrir quelque superflu va devoir être raboté si l’on veut conserver, si ce n’est élargir, les prestations sociales historiques pour tous. Cela signifie que les classes moyennes vont devoir trinquer sans y être trop préparées par les éducateurs, les politiques et les syndicats. 


  • Paranoïd 9 octobre 2015 14:42

    J’ai bien peur que vous ayez raison. Il faut aussi penser à ceux qui ne peuvent pas compter sur le superflu, et je crois bien en faire partie. Je ne vois pas de solution proposée. J’entends surtout parler de la possibilité de créer un sous smic,enfin d’oublier le smic. Personnellement en dessous de 750 € net par mois, je devrais prendre un crédit pour aller travailler.


  • Paranoïd 9 octobre 2015 15:29

    Alors je vais avoir une réaction pas forcément intelligente mais j’espère que vous (agoravoxien) voudrez bien me corriger.
    Par rapport à ce que vous avez écrit NAMASTE (et je suis d’accord avec vous, mais je me pose une question (au moins)) "le pouvoir d’achat permettant de s’offrir quelque superflu va devoir être raboté si l’on veut conserver, si ce n’est élargir, les prestations sociales...«  :

    N’y a t-il pas de quoi raboter ailleurs en premier, ne serait-ce qu’à titre de démonstration de bonne volonté ? Et là j’attends de l’aide de SPARTACUS qui je crois connais quelques dépenses de l’état qui sont peut être mal placées.

    Attention je ne suis pas de ceux qui pense que »les chômeurs sont des fainéants« que »les étrangers nous volent notre pain et arnaquent la sécu", j’ai bien conscience que la fraude des pauvres est une pauvre fraude.
    Je ne suis pas non plus de ceux qui pense que si tous les patrons touchaient le SMIC tous nos problèmes seraient résolus.
    Je pense que les hommes et femmes politiques qui ont dirigé et dirigent la plupart des pays de cette planète ne l’ont pas fait dans l’intérêt du plus grand nombre, que petit à petit, les avancées sociales que l’on a pu connaitre dans certain pays comme la France, disparaissent et ce sans profit pour aucune nation.

    Il pourrait être bon de discuter un peu des objectifs que l’on vises à court, moyen et long termes et de rediscuter les bases sur lesquelles ont va baser les politiques qui peuvent nous y mener.

    Un exemple simple de base sous entendu par certains partis politique et qui me semble devrait être rediscutée :
    Il est existe un courant de pensée répandu se basant sur un constat simple et qui je crois est mortifère :
    De tous temps l’humanité a connu la guerre, le meurtre, la trahison, la violence en général, DONC cela sera de tous temps, on y peut rien, le mal est dans l’humanité.
    Et ainsi inutile de vraiment lutter contre la guerre, on y peut rien.
    Inutile d’éduquer correctement la populace, les violents le sont de manière innées.
    Et pourquoi pas aussi ce genre de conclusion qui trotte dans la tête de pas mal de favorisés :
    Je mérite par mes efforts répétés ma situation sociale donc ceux qui sont défavorisés le mérite probablement. Pourquoi dépenser de l’argent à essayer de changer l’immuable ?

    Qu’en pensez-vous ?


    • NAMASTE 9 octobre 2015 16:24

      @Paranoïd

      Mon credo spontané est le suivant :

      Tout doit être fait pour éradiquer la misère

      La misère matérielle c’est d’être mal nourri, mal soigné, mal éduqué, mal logé, mal protégé, mal «  retraité »

      La misère c’est manquer du nécessaire

      La frontière du nécessaire doit rester invariable et ne devrait notamment pas dépendre du superflu

      Dans une société consumériste, le superflu devient nécessaire

      Il faut de la richesse pour éradiquer la misère

      Tout le monde doit «  bosser » pour créer de la richesse

      Le travail doit être partagé mais il n’est pas « sécable » indéfiniment

      Ceux auxquels on ne peut fournir un travail ne doivent pas vivre dans la misère

      L’Etat est un panier percé et ne peut donc pas créer de richesse

      Les hommes politiques ne doivent pas tenir leur pouvoir à des comportements démagogiques

      L’endettement de l’Etat résulte très souvent de la démagogie électorale des hommes politiques

      La corruption est un crime contre l’humanité

      Ne disposer que du nécessaire c’est être pauvre

      Le sentiment de pauvreté résulte de la comparaison avec ceux qui ont plus que soi

      Il faut des riches pour tirer la machine économique 

      Dieu merci « Los ricos tambien lloran » ( « Les riches pleurent aussi » titre d’une telenovela mexicaine )

      Je pourrais continuer longtemps ...


    • Paranoïd 9 octobre 2015 16:50

      @NAMASTE
      Merci c’est simple et efficace comme base. J’adhère.
      Cependant le constat « Il faut des riches pour tirer la machine économique » est sans doute vrai pour cette machine économique, et je sais bien que l’on entend peu ou pas parler d’autre modèle déjà près et viable. Mais je ne suis pas sûr qu’il faille garder la machine dans cette état.


    • NAMASTE 10 octobre 2015 15:29

      @Paranoïd


      Bonjour,

      je dois m’absenter mais tenterai de répondre à votre dernier commentaire par le biais d’un autre article. Cela étant, force est de constater que le présent article attire une audience plutôt faible, comme si le mot « social » contenu dans son titre était éculé.

      Aune prochaine fois, peut-être.

Réagir