jeudi 12 octobre 2006 - par

L’infanticide, peut-on le comprendre ?

Véronique Courjault a tué, selon l’état actuel de ses aveux, trois de ses enfants. Ces gestes sont-ils monstrueux, ou entrent-ils dans le champ des actes humains ? L’infanticide est le seul crime dont les auteurs sont plus souvent des femmes que des hommes. Le nombre de cas est loin d’être négligeable, on connaît l’usage qui est fait de l’infanticide en Chine, en Inde, por des raisons culturelles ou sociales, ou dans des tribus ; les Ayoreos, à la frontière de la Bolivie et du Paraguay, enterrent dès la naissance les enfants si un père n’est pas là pour subvenir à ses besoins, s’il a une malformation, si la mère est surchargée, sans plus d’état d’âme que lorsqu’on « exposait » les nouveau-nés dans l’Antiquité.

Quand on explique l’infanticide par une cause sinon humaine, du mois rationnelle (cause morale : la mauvaise mère, cause physiologique, économique...), l’acte inspire la colère, le dégoût, mais s’inscrit dans l’ordre de l’humain, de ses frontières. En revanche, comme on entend que Véronique Courjault a deux enfants, qu’elle est une mère attentive et affectueuse, qu’elle est équilibrée, épanouie (propos tenus par les membres de sa famille), l’acte paraît effrayant. Pourtant, une étude de cas célèbre, celui de madame T., exposée dans l’ouvrage de E. Esquirol, Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, publié en 1838, montre qu’une mère peut éprouver des sentiments de profonde affection pour un enfant qu’elle met au monde et ressentir des pulsions meurtrières. On peut lire ces lignes, qui commencent par un témoignage de Madame T. : « Et cependant, mon enfant est un amour, il est superbe ; je l’adore, néanmoins ses caresses me font une impression intérieure bien étrange, et je tressaille sans savoir pourquoi dès que je suis auprès de lui . J’ai un excellent mari, je devrais être heureuse, maintenant je me reproche d’avoir abandonné mon ménage, mes affaires, qui m’occupaient et me distrayaient ; j’ai fait des prières, je n’ai point été exaucée ; je voudrais pouvoir me persuader que je suis malade, mais je ne le peux point, je suis une malheureuse mère. » Le médecin analyse ensuite : « Toutes les fois que, causant avec cette malade et lui assurant affirmativement que les craintes de tuer son enfant sont le résultat d’une maladie, on parvient à la convaincre, alors sa physionomie devient calme, et Madame T. rend parfaitement compte de ses sensations et des tourments de son esprit. Il lui arrive souvent de se reprocher les aliments qu’elle prend ; si elle s’efforce de manger après quelques bouchées, elle ne peut plus continuer, sa bouche est habituellement très sèche. Madame T. éprouve des douleurs à l’épigastre, des spasmes à la gorge, elle dort très peu et elle a des coliques très fortes lorsque ses craintes et son désespoir s’exaspèrent. »

Me Morin, avocat des époux Courjault, a indiqué que « l’intervention de Me Hélène Delhommais à ses côtés, la veille, avait été le tournant du dossier. Le déclic s’est produit chez Mme Courjault lors de cet entretien entre femmes. Loin de chez elle, déracinée en Corée, notre cliente a été dépassée par la situation. Elle a constaté trop tard être enceinte. Si son mari avait été présent lors de l’accouchement, elle aurait gardé les bébés ». Véronique Courjault est-elle cette femme équilibrée que sa famille dépeint, ou en état de profonde souffrance psychologique, de nature à affecter et à modifier l’ensemble de ses perceptions de la réalité ?

Dès l’origine de la pénalisation de l’infanticide, au XVIIIe siècle en France, les juristes ont pris en compte la très grande pauvreté des mères, conduites comme malgré elles au meurtre de leur enfant. Au XIXe siècle, l’acte devient une infraction criminelle qui bénéficie encore de circonstances atténuantes (détresse subjective de la mère, ou solitude, ou état pathologique de l’enfant nouveau-né...). N’a-t-on pas tendance aujourd’hui encore à considérer que seule une situation « invivable » pour la mère peut expliquer cet effacement de ce qu’on appelle toujours « l’instinct maternel » ? Mais cela suffit-il ? Il sera probablement très difficile aux juges d’identifier la part de responsabilité de Véronique Courjault dans ce triple infanticide, à des années d’écart. Rien ne dit d’ailleurs que l’acte sera reconnu comme infanticide -il faut que la mère apparaisse en état d’affaiblissement de ses capacités.




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