L’opinion publique a pu être surprise des propos du pape
Benoît XVI sur l’islam. Pourtant cette position ne date pas d’aujourd’hui. Le
pape a construit une rupture.
Récemment le maire de Paris a loué les « inlassables efforts » de Jean-Paul
II « à bâtir des ponts entre le christianisme et l’islam ».
Premier pape à entrer dans une mosquée, à Damas, il déclarait vouloir « un dialogue sincère, profond et
constant entre catholiques et croyants musulmans, d’où pourra jaillir une plus
grande connaissance et confiance mutuelles ». Cependant il existait déjà dans la
sphère vaticane une contestation du dialogue avec l’islam. En janvier 2003, l’évêque de Côme,
Alessandro Maggioloni, fait paraître dans Il Giornale un article retentissant sous le titre «
L’Evangile, ultime rempart contre l’islam ». (« Il Vangelo, ultima barricata
contro l’Islam »). Quelques mois avant son élection, le 5 juin 2004 à Caen, le
cardinal Ratzinger, évoquant la « collusion entre deux grands systèmes
culturels, l’Occident et l’islam » a souligné les « grandes
différences internes », d’un côté une raison stérile, de l’autre un
fanatisme aveugle. Au cours de cette même conférence, il a comparé le
terrorisme au nom de l’islam à « une espèce de nouvelle guerre mondiale ». Quelques
mois plus tard, dans le premier grand discours qu’il adresse en tant que pape à
la communauté musulmane (Journées mondiales de la jeunesse de Cologne), il évoque
« la vague du fanatisme cruel [...] faisant obstacle à la progression de la paix
dans le monde ». Puis, devant le corps diplomatique accrédité auprès du
Saint-Siège, en janvier, il reconnaît l’existence du « danger d’un choc des
civilisations [...] rendu plus aigu par le terrorisme organisé ». En 2005, dans la
revue Civilta Cattolica, une sorte d’organe officieux du Saint-Siège,
Giuseppe de Rosa affirme que l’Europe a « vécu sous la menace constante [de
l’islam] pendant près de mille ans ». Lors de la crise des caricatures de
Mahomet, l’hiver dernier, il a déploré la faiblesse fondamentale de l’Occident,
soumis à « la dictature du relativisme » face à l’islam.
Les 1er et 2 septembre 2005 à Castel Gandolfo, un groupe
d’universitaires, constitué d’anciens élèves, a été réuni par le pape autour de
deux jésuites islamologues, pour débattre de la position de l’islam face au
monde sécularisé, et des conséquences de cette position sur le dialogue entre
chrétiens et musulmans. Samir Khalil Samir, l’un des deux islamologues présents
au colloque, analyse : « Benoît XVI juge très difficile une herméneutique
du Coran, descendu du ciel dans les mains du prophète, contrairement aux
Evangiles, dont la révélation est passée au travers de la pâte humaine. Pour
lui, cela rend d’autant plus difficile un dialogue entre l’islam et le monde
moderne, et par voie de conséquence avec le christianisme, qui en a permis
l’émergence. » Il souligne aussi « le fossé observé par le Pape devant une grande
partie du monde musulman qui n’intègre pas la modernité, possède une conception
figée de la révélation et renforce son attitude radicale, par sécurité ». Ajoutons
la dénonciation de la situation des chrétiens en terre d’islam (évoquée ici).
Au cours de sa
première audience générale après son élection, sur la place Saint-Pierre, il a
expliqué qu’il avait choisi le nom de Benoît en référence au saint patron de
l’Europe, qui « représente un point de repère fondamental pour l’unité de
l’Europe et un rappel puissant des incontournables racines chrétiennes de sa
culture et de sa civilisation ». La construction d’une Europe chrétienne est une
priorité : en septembre 2004, le cardinal Ratzinger déclare que «
l’intégration de la Turquie
dans l’Union européenne serait une grande erreur », la Turquie étant terre d’islam.
La rivalité des deux religions pour investir l’Europe est une réalité ;
ainsi on lit sur http://www.oumma.com/spip.php?article1555
: « Il est même parfaitement établi aujourd’hui que la civilisation
européenne contemporaine a pris ses racines à partir du quinzième siècle dans
le bagage intellectuel et les novations de la civilisation arabo-islamique.
Elle a ensuite produit ses propres valeurs selon des paradigmes sécularistes
qui l’ont conduite entre autre à l’affranchissement de tous les dogmes
religieux, à commencer par les doctrines chrétiennes. » La main tendue de
Jean-Paul II n’était pas toujours acceptée par la communauté musulmane, comme
le montre clairement cet autre extrait du texte cité : « Dans son
livre Entrez dans l’Espérance, Jean-Paul
II estime qu’en raison de leur monothéisme, ceux qui croient en Allah sont
particulièrement proches des chrétiens, que le Dieu du Coran est appelé
des plus beaux noms connus dans le langage humain, que la religiosité des musulmans
est digne de respect et devrait même constituer un modèle pour les
catholiques ; cependant, dans un curieux retournement, adoptant une
attitude proprement polythéiste, il proclame qu’Allah ne serait que le Dieu des
musulmans, qu’il ne serait donc pas le Vrai Dieu, qu’il reste étranger au
monde, que dans sa Parole le Coran est réducteur quant à la Vraie Révélation (Bible
et Evangiles) et que le Dieu du Coran n’a pas compris (?) ce que le Vrai Dieu a
dit de lui-même dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Autant de postulats
révélateurs aussi bien de dogmatisme intolérant que de méconnaissance de la Révélation islamique et
notamment de la pureté et de l’universalisme de son monothéisme. »