Au cœur de la Puerta Del Sol et des Quartiers de Madrid…
La décision a été prise hier par les indignés de se retirer progressivement de la Puerta del Sol. Est-ce pour autant la fin du mouvement 15 M ? Selon mon expérience de quatre journées passées en compagnie des indignés à Madrid : pas du tout. Au contraire, je dirais que ce n’est que le début du mouvement. Je structurerai le présent article en deux parties essentielles : j’expliquerai (1) ce qui se passe à la Puerta del Sol et (2) comment le mouvement s’est développé dans les quartiers de Madrid. Enfin, je conclurai par quelques remarques personnelles (quelques photos sont placées à la fin de l’article)
Puerta del Sol
La Puerta Del Sol se trouve au centre de Madrid, près du Palacio Real et de la Plaza Mayor. En arrivant sur la place, on est directement frappé par son aspect anarchique : un ensemble de bâches, suspendues à des poteaux, flottent légèrement dans le vent ; des tentes sont disséminées ici et là ; les édifices autour de la place sont ornés de différents messages et caricatures (par exemple ce visage aux oreilles de Mickey dont le sous-titre est : « no os representan ») ; et des légumes sont même plantés sur les parcelles de terre entourant la fontaine centrale. En outre, la place est composée 17 commissions : alimentation, psychologie, féminisme, droit des travailleurs, communication médias, poésie et littérature, librairie…. Des indignés occupent chacun de ces espaces et répondent aux questions et sollicitations. Différentes activités sont possibles, par exemple à la librairie : des gens jouent aux échecs et lisent des livres offerts par des citoyens.
Comme c’est assez complexe, une carte représente l’endroit où chaque commission se trouve. Chaque jour, un agenda est écrit sur un tableau et relate l’heure des assemblées, des activités, des repas, etc. L’ambiance est tranquille : les indignés ne boivent pas d’alcool et nettoient la place. Cependant, une certaine fatigue commence à se lire dans les regards.
Tous les jours, en fin de journée, des assemblées populaires de 700-800 personnes se déroulent (nombre plus important durant le weekend ; par exemple ce samedi des représentants des 30 villes participant au mouvement étaient présents à Madrid). Des médiateurs organisent le débat ; il y a même des traducteurs pour les sourds et muets. Le système est horizontal : chaque personne qui le demande peut s’exprimer. Les gens marquent leur approbation par deux bras parallèles en l’air ; leur désaccord en croisant les bras ; etc.
Le débat tourne autour de différentes questions : quel système de consensus ? l’organisation du mouvement ? le message ? la prochaine manifestation ? Comment s’autogérer ? Chaque décision est actée et notée. Ce système prend du temps mais fonctionne (vous n’imaginez pas le nombre de décisions déjà prises et directement mises en place). J’ai directement pensé à la démocratie athénienne du siècle de Périclès où les citoyens exposaient des idées sur l’Agora ; idées qui étaient ensuite votées à main levée par les autres citoyens.
Les personnes que j’ai rencontrées sont posées, réfléchies et proviennent d’horizons divers : des étudiants, chômeurs, travailleurs, jeunes et plus âgées, baba cools, espagnols mais aussi des syriens, des libyens, des français, des polonais. Beaucoup de sympathisants viennent (une large partie de la population espagnole soutient le mouvement, 57 %, il me semble, selon un sondage) chaque jour pour soutenir les indignés.
Le message politique est multiple. Les indignés désirent avant tout une démocratie réelle : il s’agit de se réapproprier le pouvoir et d’être capable de s’autogérer. Les cibles sont les politiques, les différentes mesures d’austérité (droits des travailleurs par exemple), les médias et les banquiers… (Un manifeste est disponible + site internet pour les intéressés…) Les indignés ne se retrouvent pas dans le bipartisme (grosse déception vis-à-vis de la sociale démocratie) au pouvoir et veulent plus de représentativité des petits partis. J’ai bien aimé un texte : « Nous voulons écrire nous-mêmes les premières pages de notre vie ». J’ai senti un désir profond de dignité, de liberté, de solidarité et de responsabilité.
Le début du mouvement fut étonnant. En effet, il n’a fallu que quelques personnes sur la place pour allumer une étincelle qui, entretenue par l’arrivée massive de nouveaux adhérents, éclaire aujourd’hui une bonne partie de l’Europe. En réalité, beaucoup de monde ressentait de l’indignation mais, seul, se sentait impuissant.
Dans les quartiers
Un des indignés m’expliquait que l’objectif du mouvement était de se retirer progressivement de la Puerta del Sol afin de s’installer durablement dans les quartiers. Nous avons décidé d’assister à une assemblée de quartier dans le nord de Madrid, à la plaza dos de Mayo. Des pancartes partout dans le quartier annonçaient le rassemblement : samedi 19h00. Surprise, au moins 300 personnes étaient présentes. La police était là aussi mais après négociations, elle s’est retirée. Il faut dire que les brutalités de Barcelone et de Paris ont eu un impact considérable à Madrid (les indignés ont chanté la « Marseillaises » en soutien aux français éjectés de la Bastille).
Le début de la réunion a commencé par le rappel des mesures prises la semaine précédente et de l’avancement de ces dernières. Après quelques remarques relatives à l’organisation, les personnes sont venues au milieu afin de prendre la parole et d’exprimer leurs idées. Certaines étaient locales et relatives au fonctionnement du quartier : création d’une garderie, déjeuners le dimanche matin, journée sans voiture chaque semaine, aide aux personnes âgées, chaîne de solidarité en fonction des compétences de chacun, etc. D’autres étaeint plus globales et concernaient le mouvement total : organisation du quartier pour la manifestation du 19 juin, organisation avec la puerta del Sol, etc. Chaque idée est votée et actée. Malheureusement, au bout de trente minutes une pluie diluvienne est intervenue et la réunion a du être reportée au lendemain.
Anna, une des médiatrices, et les survivants du déluge nous ont ensuite invités à nous joindre à eux dans le patio (maison vide et occupée par des associations). Le débat a continué avec les 30 personnes présentes. C’est fascinant de voir toutes ces personnes - de tous les âges, appartenant au même quartier et qui ne se connaissaient pas initialement - participer à ce débat. J’ai vu un souci constant du respect de la démocratie, de considérer chaque point de vue, de solidarité, etc. C’est une sorte de laboratoire constant où chacun veut communiquer et s’exprimer ; un cri profond qui avait trop longtemps été contenu par des illusions « aliénantes ».
En guise de conclusion
Au final j’ai vraiment été séduit par le mouvement et par cette volonté de se réapproprier le champ politique, d’être responsable et acteur de leur vie. Quel espoir !
Trois arguments me permettent de croire en la continuité du mouvement et à l’aboutissement de certains de ces principes (très rapidement développés…).
D’un point de vue historique (en partant du postulat que l’histoire façonne, d’une certaine manière, nos représentations actuelles), l’Espagne dès le 10ème siècle s’est doté d’un système d’assemblées locales relativement égalitaires qui a pérennisé malgré les monarchies absolues et l’état (voir histoire de l’Espagne, Josef Perez, 1998). Un proverbe castillan disait « nadie es mas que nadie » : un homme en vaut un autre. Il y a toujours eu, plus qu’ailleurs, le respect d’autrui et de la dignité ; pour être acceptées, les élites devaient d’abord être reconnues et non imposées arbitrairement (voir même auteur).
La solidarité familiale : à Madrid j’ai eu l’impression que la famille était très importante. Dans un bar par exemple, souvent on voit toutes les générations d’une même famille, réunie ensemble, riant et conversant. Ici, toute la famille se soutient face à la crise et participe en conséquence aux assemblées.
Et puis il y a peut-être encore un résidu de romantisme car c’est le pays du Quijote qui a magnifié l’espoir et la quête impossible…
Espérons que les autres pays suivent cet exemple.