vendredi 28 avril 2006 - par Samarcq Nicolas

Blogs et responsabilités en ligne

Le succès de ce nouveau vecteur de démocratie participative réside dans sa simplicité d’utilisation, permettant à chaque internaute d’enrichir son contenu par de nouvelles contributions. Le responsable d’un blog, personne physique ou morale, doit toutefois rester vigilant et mettre en œuvre une politique éditoriale rigoureuse. A défaut, il risque d’engager sa responsabilité en tant que directeur de publication.

Blogs et responsabilités en ligne

Les blogs[1] ont envahi internet. Du journal intime qui a renoncé à sa confidentialité, à l’outil de communication institutionnelle ou de libre expression, les blogs sont devenus pour certains une source d’information alternative aux médias traditionnels.

Ce phénomène a conduit la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) à dispenser les blogs personnels de déclaration relative au site Internet[2]. Dans le même temps, la CNIL a précisé les règles qui leur sont applicables en matière de protection des données à caractère personnel.

Le responsable d’un blog, personne physique ou morale, doit en effet rester vigilant et mettre en œuvre une politique éditoriale rigoureuse. A défaut, il risque d’engager sa responsabilité en tant que responsable de traitement de données personnelles, ou directeur de publication[3].

Blog et données personnelles

Dès lors que le blogueur collecte des données à caractère personnel (nom, prénom, image, etc.), il doit informer les personnes concernées de la finalité de cette collecte, des destinataires des données et de l’existence d’un droit d’accès, de rectification et d’opposition. S’il envisage de céder ces données à des tiers, il a l’obligation de recueillir leur consentement.

La diffusion en ligne d’informations relatives aux personnes nécessite également leur accord préalable. Celles-ci doivent de surcroît être en mesure de s’opposer ultérieurement à cette diffusion. La CNIL recommande par ailleurs que les données dites sensibles (santé, opinions politiques, religieuses, orientations sexuelles, etc.) ne soient pas diffusées en ligne.

La Commission conseille aussi aux blogueurs de mettre en place des accès limités pour les photographies familiales ou destinées aux proches (mariage, anniversaire, etc.). Elle rappelle enfin que la diffusion d’images de mineurs ne peut s’effectuer qu’avec leur accord et l’autorisation expresse des parents ou du responsable légal.

Blog et responsabilité éditoriale

Au sens de la loi, le responsable d’un blog est un éditeur de service de communication au public en ligne. Il a donc l’obligation de s’identifier soit directement sur ses pages Internet (nom, prénom, adresse, n° téléphone, nom du directeur de publication, hébergeur), soit de communiquer ces informations auprès de son hébergeur s’il n’est pas un professionnel. Le non respect de ces prescriptions légales est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende[4].

En tant que directeur de publication, le responsable du blog pourra engager sa responsabilité pénale en cas de diffamation ou d’injure « comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public »[5].

Cette notion implique une prise de connaissance du contenu avant sa mise à disposition au public. Autrement dit, lorsque le contenu, par exemple un commentaire posté par un internaute, est mis en ligne par le responsable lui-même ou par un membre de ses services, il sera considéré comme l’auteur principal de l’infraction[6].

Ainsi, le directeur de publication doit veiller tout particulièrement au respect des droits des tiers. Au cours du printemps 2005, plusieurs chefs d’établissement scolaires ont ainsi exclu temporairement et parfois définitivement des collégiens ou lycéens qui avaient mis en ligne des photos dérobées de leurs enseignants, assorties de propos moqueurs voire injurieux. Toutefois, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a récemment pondéré une de ces mesures disciplinaires en annulant une décision administrative d’exclusion définitive. Selon les juges, un collégien ne mérite pas la sanction disciplinaire la plus lourde pour avoir publié sur son blog « un ensemble d’élucubrations caractérisées par leur incontestable bêtise et une profonde vulgarité, mettant en cause nommément des élèves et des professeurs »[7]. Il semble néanmoins que cette pondération du juge administratif ait été motivée par le fait que ces publications n’ont engendré aucune violence physique ni connu de réitération, et que le jeune collégien (excellent élève) ne possédait aucun antécédent disciplinaire. En revanche, un proviseur de Montpellier n’a pas bénéficié de cette indulgence administrative. Il a été suspendu pendant un an, dont six mois avec sursis, pour avoir dévoilé son homosexualité sur son blog[8] ! Selon l’arrêté de révocation, le ministère de l’éducation lui reprochait « d’avoir manqué à ses obligations déontologiques en publiant sur son blog des propos portant atteinte à la dignité des fonctions qu’il exerce et plus généralement aux pouvoirs publics ». Rappelons qu’en dehors de cette obligation, le corps enseignant et plus généralement les agents de l’Etat et les salariés sont tenus à un devoir de réserve.

La dernière affaire en date concerne un « blog citoyen », « MonPuteaux.com », dont le directeur de publication a été assigné en diffamation par la mairie de Puteaux.

Le délit de diffamation publique est constitué dès lors que les propos publiés renferment l’allégation ou l’imputation d’un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne déterminée ou au moins identifiable. L’auteur des propos peut quant à lui faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée, des faits antérieurs à 10 ans ou une infraction amnistiée.

Le Tribunal, tout en reconnaissant le caractère diffamatoire des propos à l’encontre de la commune de Puteaux, a rappelé que le responsable du blog peut cependant justifier de sa bonne foi[9] en démontrant qu’il poursuivait « un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait ». De plus, il est de jurisprudence constante que les critères habituels de la bonne foi s’apprécient différemment entre des écrits rédigés par un journaliste[10] et ceux diffusés dans le cadre d’une activité citoyenne et désintéressée[11].

Dans ces conditions, les juges ont considéré que l’éditeur du blog litigieux « n’était pas tenu de se livrer à une enquête complète et la plus objective possible sur les faits qu’il évoquait ». Dès lors, il pouvait « dans une rubrique consacrée à une revue de presse, citer des extraits d’un article relatif à un litige mettant en cause la mairie de Puteaux publié dans le quotidien régional Le Parisien -dès lors que, comme au cas présent, il précisait exactement sa source et ne lui faisait subir aucune dénaturation-, sans avoir à vérifier le bien-fondé des informations qu’il reproduisait ».

Déboutée de toutes ses demandes, la commune de Puteaux a fait appel du jugement[12].

Nicolas Samarcq, juriste TIC

www.lexagone.com



[1] La forme blog est issue de la langue anglaise, et vient du mot-valise weblog issu d’une contraction de web et log. Pour une définition plus complète : http://www.lexagone.com/dico/dico.php?ref_dico=Blog&lettre=blog.

[3] Au sens de la loi, le titulaire d’un blog est un éditeur de « service de communication publique en ligne » soumis aux dispositions de la loi sur la liberté de la presse, sur la communication audiovisuelle et la loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) du 21 juin 2004.

[4] Article 6.VI.2 de la LCEN.

[5] Article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.

[6] Au contraire, si le responsable ne contrôle pas les contenus préalablement à leur mise en ligne, il est considéré comme hébergeur. Il a alors l’obligation d’ « agir promptement » pour supprimer ou rendre inaccessible tout contenu litigieux, dès lors qu’il en a eu connaissance ou qu’il reçoit une notification en ce sens. A défaut, il risque d’engager sa responsabilité civile et pénale. En contrepartie, il doit participer activement à la lutte contre les contenus pédo-pornographiques, racistes ou antisémites en mettant à disposition des internautes un formulaire facilement accessible et visible, leur permettant de porter à leur connaissance ce type d’infraction.

[7] Tribunal administratif de Clermont-Ferrant, Corinne N. / Collège Teilhard de Chardin, 6 avril 2006.

[8] Décision du 3 février 2003 suite au recours gracieux du proviseur auprès du ministère de l’Education nationale.

[9] Article 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : « Toute reproduction d’une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».

[10] Cour de Cassation, ch ; civ., 8 avril 2004, N° de pourvoi : 01-17188N° de pourvoi : 01-16881 : « la bonne foi suppose la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que la fiabilité de l’enquête ; que la reprise d’une information, diffusée lors d’une conférence de presse, ne dispense pas le journaliste de ses devoirs d’enquête préalable et de prudence dans l’expression de la pensée ». Dès lors, « (...) en invoquant essentiellement l’un des rapports d’audit, mais sans communiquer l’ensemble des informations contenues dans celui-ci et en ne présentant que les extraits qui lui étaient défavorables, modifiant par là même le sens dudit rapport ; que les intimés ne sauraient donc se prévaloir d’une enquête sérieuse préalable pour justifier leurs imputations ni d’une prudence suffisante dans l’expression ».

[11] Cour d’appel de Versailles, 7 février 2006 : « Considérant, bien évidemment, que les critères habituels de la bonne foi doivent être appréciés différemment pour un tract de porté locale, rédigé par une association, que pour un écrit rédigé par un journaliste ».

[12] Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre - Chambre de la Presse, Commune de Puteaux / Christophe G., 17 mars 2006.



8 réactions


  • frederic5 (---.---.117.249) 28 avril 2006 11:41

    Je suis absolument sidéré d’apprendre que le fait de dévoiler son homosexualité soit qualifié de « propos portant atteinte à la dignité des fonctions qu’il exerce et plus généralement aux pouvoirs publics ». Quoi, c’est »pas de pédés dans l’Administration, ça fait sale" ? Enfin, bon, faudrait que je le lise le blog en question avant de m’énerver, on ne sait jamais, il dit peut-être d’autres choses plus croustillantes...

    Alors que, tiens, au hasard, les déboires conjugaux du couple Sarkozy, avec commentaires des amis députés « proches », (Nicolas est quand même député, maire et Ministre, trois obligations de porter haut l’honneur des Pouvoirs Publics et de la France), alors ça, ça passe, on en a plein la tête et les journaux, et personne n’est suspendu...

    Ah c’est pas pareil, lui, c’est un élu, c’est pas un vrai fonctionnaire, c’est ça ??


  • Tout va bien (---.---.18.96) 28 avril 2006 12:11

    « Le responsable d’un blog, personne physique ou morale, doit toutefois rester vigilant et mettre en œuvre une politique éditoriale rigoureuse. A défaut, il risque d’engager sa responsabilité en tant que directeur de publication. »

    C’est ce qui nous pend au nez ! RDDV (qui ne sait plus s’il est ministre de la justice ou de la culture) abonde je crois dans ce sens par bientôt une proposition de loi insensée en catimini ! La responsabilité individuelle est décidémment une notion de plus en plus volontairement ignorée, voire méprisée.


  • Yves (---.---.146.142) 28 avril 2006 18:33

    Raison de plus pour se faire héberger à l’étranger.

    les dispositions de la loi française sont du niveau de la Corée du Nord.


  • L'enfoiré L’enfoiré 28 avril 2006 20:50

    Je suis malheureusement resté sur ma faim avec l’article. Beaucoups de raisons invoquées (diffamations, usages d’images ou de textes d’autres auteurs sans autorisation) sont pour moi naturelles. Mais quand il s’agit de donner des informations sur un blog qui seraient incomplètes par la seule méconnaissance d’un aspect de cette info, comment considérer l’attaque d’un lecteur se sentant lésé par l’article. Droit de réponse suffit ? Jusq’où aller trop loin ? Est-ce toujours une affaire de pays, de juridiction pour se retrouver face à avocat (et devoir se défendre) ? Se permettre un jugement personnel sur une institution est-ce un délit ? Voilà les questions restées sans réponse pour moi et qui m’intéressent quand il s’agit d’écrire un article un « peu » personnel. Quelqu’un a-t-il été confronté avec cette situation. Ecrire sur un sujet n’est pas nécessairement l’encenser. Si quelqu’un.... Merci A+


    • nicolas samarcq (---.---.246.197) 5 mai 2006 14:03

      Publier une information incomplète ou porter un jugement sur une institution n’est pas en soi une infraction de presse, bien heureusement.

      En cas d’information incomplète l’exercice d’un droit de réponse en ligne suffit à rectifier l’erreur. Mais il faut être réactif à ce droit. En effet, la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (21 juin 2004) dispose que « Le directeur de la publication est tenu d’insérer dans les trois jours de leur réception les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le service de communication au public en ligne sous peine d’une amende de 3 750 EUR, sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l’article pourrait donner lieu ».

      En cas de jugement porté sur une institution ou une personne les limites à la liberté d’expression sont la diffamation ou l’injure publique.

      La diffamation est définie par l’article 29 de la loi de 1881 comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

      L’injure publique à Article 29 al. 2 : « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ».

      Enfin, la liberté d’expression varie en fonction des conceptions des ordres juridiques de nos démocraties (Europe/Etats-Unis). Elle est bien entendu bâillonnée dans les Etats autoritaires (pour exemple les internautes chinois). Au niveau européen, l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe (43 membres) dispose que : « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

      Exemple de restrictions : apologie des crimes de guerre, racisme, nazisme...

      Aux Etats-Unis, contrairement à la conception française et européenne, le 1er amendement de la constitution pose le principe qu’aucune loi ne peut limiter la liberté d’expression.

      Cependant, il existe des restrictions à la liberté d’expression, strictement encadrées par la Cour suprême :

      - la diffamation, pour protéger les personnes non publiques ;
      - l’obscénité
      - la sécurité nationale

      Pour exemple, la convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe (23 nov 2001 - entrée en vigueur le 1 mai 2006 en France) a intégré l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe dans un protocole additionnel pour que les Etats-Unis puissent signer la convention sans ces délits contraire à la liberté d’expression du 1er amendement.


  • Olivier Bonnet Olivier Bonnet 5 mai 2006 06:17

    « La CNIL recommande par ailleurs que les données dites sensibles (santé, opinions politiques, religieuses, orientations sexuelles, etc.) ne soient pas diffusées en ligne. » De quand date cette recommendation ? La CNIL connait-elle la blogosphère ?


  • MDV (---.---.152.252) 17 mai 2006 19:15

    Penser politiquement correct, encore et toujours ...

    J’en suis incapable et je suis trop vieille pour changer. Pas vous ?

    Cordialement :

    MDV ;O)


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