mardi 14 mars 2017 - par Orélien Péréol

Ce qui nous unit, discriminations, égalité et reconnaissance

Ce qui nous unit, Discriminations, égalité et reconnaissance de François Dubet, Editions du Seuil collection la République des idées 119p 11,80 €

François Dubet est un sociologue de l’école et de la jeunesse. Il pratique ce qu’il appelle une sociologie de lexpérience, titre d’un de ses livres, méthode de création d’un savoir sociologique. Il s’agit d’être proche de celles et de ceux dont on décrit la place dans la société, de les faire parler au plus près d’eux-mêmes, de les écouter et d’analyser leurs dires.

François Dubet part de la définition de la discrimination, que l’on peut connaître par la statistique, laquelle ne montre pas nécessairement une causalité. Plus près du terrain, on a le « testing », qui corrobore la statistique. La perception d’être discriminé est, enfin, un critère fondamental de définition. La discrimination est un déni du mérite, un refus de l’égalité (l’égalité, c’est la justice) (p25). Le sentiment d’être discriminé est personnel. Deux frères, avec des vécus semblables donc, interprètent leur situation à l’envers l’un de l’autre : l’un est en haine de l’Occident qui prétend vivre selon les droits de l’Homme et en fait triche, l’autre trouve que les droits de l’Homme sont une recherche d’égalité qui, si elle est loin d’être parfaite, a grandement contribué à leur progression sociale. Le sentiment d'être discriminé est si personnel que les discriminés ne se sentent souvent pas représentés par celles et ceux qui parlent en leur nom. Certains refusent ce positionnement de victimes, qui serait une double victimisation (discriminé et plaignant-plaintif) (p65).

La France n'a pas à proprement parler de politique de discrimination positive. Les statistiques ethniques sont interdites. Seule, la parité, l'égalité des femmes et des hommes, fait l'objet d'un traitement positif clair et affirmé. Comment connaître le problème ? De nombreuses institutions ont été mises en place contre les discriminations : les ZEP, la HALDE (fondue en 2011 dans le Défenseur des Droits)... Mais, les discriminations sont enchâssées dans les inégalités sociales dont on ne parle plus guère, d'une part. D'autre part et surtout, les discriminés sont les descendants des anciens colonisés. Le choc des mémoires a peu de chance de trouver des apaisements : pour les uns, il n'y a pas de dette historique, il n'y a pas à réparer un crime. Pour d'autres, les discriminations ne sont que le prolongement de la colonisation. Et dans ce cas, il n'y a guère de solution (surtout pas une discrimination positive) car les anciens colonisateurs ne seront jamais des compatriotes. (p46)

Après les inégalités, la reconnaissance est le second volet, complexe, de la discrimination... La reconnaissance des minoritaires (les homosexuels par exemple) met en cause les majoritaires, elle les met en équivalence avec d'autres, en remplacement d'une situation quasi hégémonique dans laquelle les « nouveaux » minoritaires étaient des marginaux, un peu pathologiques, aisément réductibles à des « moins que rien ». La reconnaissance des minoritaires modifie l'écologie de la société. La reconnaissance d'une différence d'origine, de religion... a aussi des avantages et peut être choisie pour fonder des entreprises et les faire vivre, que ce soit parmi les employés ou parmi les fournisseurs ou les clients. Se crée un entre soi confortable (ou plus confortable que l’ouverture à tous) qui divise.

Ce que Dubet appelle les garants méta-sociaux s'effritent (il s'agit de « conceptions implicites et partagées de la nature des choses, sur les systèmes symboliques » (p74) : la nation, la nature (des femmes et des hommes, entre autres p83), la laïcité (p81).

Il nous faudrait refaire société, bâtir un récit national conforme à ce que nous sommes (nos ancêtres ne sont pas toujours les gaulois), intégrant le douloureux moment de la colonisation et de la décolonisation des deux côtés : celui des colonisateurs et celui des colonisés. Il faudrait amplifier la vie démocratique... Dubet reconnaît qu'il s'agit là d'une certaine façon, d'un vœu pieu, dont la nécessité est impérieuse cependant. Ce tiers qui pourrait produire et porter les termes d'un débat est, selon Dubet, la société, de nos jours disparue. Elle avait trois piliers : la division du travail et les solidarités qui en naissaient ; les institutions, dont l'école, destinée en premier chef à tisser cette vision de la société comme une ruche dans lesquels les conflits sont supportables car ils ne détruisent pas l'unité ; la nation, une idée communautaire à grande échelle, qui porte et nourrit l'idée d'un destin partagé, quoi qu'il arrive. Cette représentation, aussi mythique et loin du réel soit-elle, était vive, « nous étions la société par excellence, l'emboîtement parfait d'une culture, d'une économie nationale et d'une souveraineté politique. » p99. L'école est en crise, l'hôpital en burnout, le chômage installé, on vote moins et souvent contre... La laïcité est une pomme de discorde, sujette à plusieurs définitions incompatibles... Les discriminés de banlieue n'ont pas de représentants clairs. Le débat, si intense, se fait d'une certaine façon sans eux.

La tentation de repli est forte, qui ferait magiquement revenir l'unité d'antan avec ses divisions contenues... Il faudrait au contraire élargir, « essayer d'entendre les personnes concernées » au lieu « de poser les problèmes de manière à ce qu'ils ne puissent être résolus » (p117).

Il manque, ce n’est pas du tout l’objet de ce livre, un peu d’histoire : Comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’ont fait les uns et les autres pour obtenir ce blocage ? Les acteurs de cette société sont un peu des réceptacles de toutes sortes d’événements et d’évolution dans les états d’esprit qui se passent sans eux. Certes, il n’est pas agréable d’avoir plus de difficultés que les autres du fait de choses sur lesquelles on ne peut rien ; certes, nous avons en principe choisi l’égalité et la démocratie, d’où il faut débattre, échanger, écouter et non se dénigrer, s’invectiver…

Ce livre est un constat, une tentative réussie de montrer le vécu et le ressenti des discriminés, et de ce que la discrimination fait à notre société.



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