lundi 18 mars 2019 - par Octave Lebel

Des élites, ceux qui n’en seraient pas et ce qui en découle

 

Un général, un professeur d’université, un soudeur hautement qualifié qui intervient sur des assemblages de haute précision et haute sécurité sont des élites évaluées selon un processus reconnu et les capacités qu’ils montrent à réaliser ce qui relèvent de leurs responsabilités. Qu’en est-il de nos élites politiques et économiques ?

Une petite partie des élites de notre pays pense que l’horizon indépassable de l’évolution des savoirs, des technologies et des sociétés est le maintien et le développement sans limites de ses intérêts et son leadership qu’elle pense ou espère partager à jamais avec d’autres élites mondialisées.

Elle se raidit avec une violence mal dissimulée contre les prétentions de ses concitoyens à faire le bilan de leurs propositions et actions, à contester des pratiques qu’ils évaluent comme un détournement du contrat démocratique, à refuser le pillage des biens publics et le torpillage des services publics, à l’assujettissement de notre économie nationale et européenne au bénéfice d’intérêts qui n’ont jamais été concentrés dans si peu de mains avec si peu de garanties et de contrôles même si à les écouter leurs mains ne sont pas encore assez libres. 

Lassés des esquives institutionnelles et électorales à leurs demandes insistantes de réelle justice sociale et expression démocratique, nos concitoyens sont en train de passer après une longue patience de la révolte à une volonté de réappropriation démocratique d’institutions les représentant équitablement, soumises au principe de responsabilité et accessibles à leur contrôle. Ils souhaitent une réforme du fonctionnement notamment économique des médias dont la fonction d’information doit permettre l’exercice d’une authentique citoyenneté et l’expression équilibrée de la diversité des points de vue.

Il s’agit d’une poussée démocratique qui découle de l’explosion des savoirs, de leur accessibilité, de leurs nouveaux modes d’appropriation, de l’augmentation des compétences sociales, de la diversité et la créativité de pratiques culturelles qui échappent aux prescripteurs officieux et officiels. D’une volonté d’autonomie et de coopération qui ne souhaite pas s’inscrire exclusivement dans un cadre marchand ou institutionnel. De l’écart enfin de plus en plus flagrant entre les progrès des savoirs et des technologies, le bénéfice qu’en retirent ceux qui les ont rendu possibles et les font fonctionner et le contrôle et la possession exclusive dont s’emparent quelques uns qui veulent faire croire que les règles du jeu libéral sont les seules valables.

 Cette poussée entre fortement en tension avec ceux qui avides de pouvoirs économiques et de domination souhaitent augmenter significativement la dépendance économique de la population par une instabilité entretenue, le dumping social intra européen ou mondial, l’affaiblissement des solidarités et des représentations collectives, un catéchisme économique doctement distillée et valorisée à longueur de journée dans les organes dits d’information. C’est la condition de leur survie en tant qu’élites dominantes puisque que leur légitimation ne découle plus de leurs contributions effectives à nos sociétés.

Ces "élites" ont mis en œuvre en France un droit du travail avec une campagne de presse en forme de mascarade non fondée sur la portée du contenu mais l’épaisseur du code du travail. Ce qui laisse à penser en quelle estime elles tiennent le bon sens de leurs concitoyens. Elles ont été servies complaisamment par des "journalistes" soigneusement sélectionnés (une petite aristocratie vassalisée qui contribue à rendre détestable ce métier et à en affaiblir le statut et l’image au détriment du plus grand nombre d’entre eux). L’abus de droit par un employeur n’est pas moralement condamné mais dorénavant tarifé par avance pour sécuriser le transgresseur. C’est mieux qu’un système d’assurance. Ces élites préconisent de vendre nos bien nationaux et de démanteler nos services publics au prétexte de solder les dettes dont elles sont historiquement les principaux contributeurs en dédaignant des investissements à moyen et long terme qui bénéficieraient au plus grand nombre. Vendre à ceux qui sont déjà riches d’avoir encore et toujours augmenté leur part dans le partage des richesses produites par le travail et les talents de tous et en payant toujours moins d’impôts.

 Elles inventent sans cesse des lois et des règlements pour dénier à leurs concitoyens le droit de prendre la parole et pouvoir s’arroger ainsi l’exclusivité de la définition de l’intérêt général que l’on ne peut quand même pas laisser aux mains de grandes masses ignorantes et confuses. Comme on dit dans les conseils d’administration, les rédactions et les services politiques des médias, Il s’agit de les éclairer dans le bon sens. Pour maintenir dans le droit chemin ceux qui, admettant une répartition des richesses produites au prorata du travail et des compétences apportés, se révoltent contre cet accaparement sans fin au profit de quelques uns des efforts de productivité et des innovations qu’ils génèrent. Les citoyens sont maintenant écœurés par la pesanteur toujours accrue d’un système d’information concentré dans les mains de quelques milliardaires tout en étant largement subventionné par l’argent de tous. Système qui pour sauver les apparences leur concède la parole avec une bienveillante condescendance ou une franche hostilité dès que le dévoilement du système d’intérêts et de connivences se fait jour.

 Après avoir piétiné les syndicats, déformé leurs analyses et propositions, disqualifié les mobilisations exemplaires et opiniâtres des travailleurs ces élites ont dédaigné la révolte digne et résolue des gilets jaunes qu’elles avaient provoquée pour s’attaquer finalement aux droits démocratiques des citoyens d’exprimer leurs désaccords et de se faire entendre lorsque la simple assurance du lendemain est mise en cause. Illégitimes de par les acrobaties institutionnelles auxquelles elles pensent accrocher quelques apparences, elles en sont rendues à mettre en danger le pacte social qui maintient les composantes de la société unies en s’attaquant au droit de manifester ce qui confirme leur impuissance à diriger et représenter le pays. Pensent-elles mater ou intimider durablement ainsi un pays comme la France ? Avec des perquisitions, des arrestations préventives qui visiblement au passage ne s’appliquent pas aux casseurs professionnels ? Rêvent-elles d’un état policier parce que l’on trouvera toujours quelques complices quand le policier lui sait bien où est sa place dans le peuple et quelles sont ses missions ? Là aussi, les gilets jaunes ont remporté une victoire malgré les efforts de la caravane médiatique. Ils ont réveillé l’esprit français et ont fait tomber des masques bien ajustés et apprêtés pour que chacun présente finalement son vrai visage.

Cette petite élite et ceux qui aspirent à en faire partie redoutent une autre élite à l’assise plus large, plus profonde, un peuple dans sa diversité et notamment les ouvriers et les employés, leurs cadres, les professionnels aux compétences incontournables, les acteurs économiques et sociaux qui vivent de leurs talents et contributions et qui sont indispensables à la perpétuation de ses privilèges. La réciproque n’étant pas vraie. Elle la redoute, la flatte et la méprise en même temps dans des formes variées. Fausse connivence, autorité, condescendance bienveillante ou soupçonneuse, paternalisme moralisateur, mépris ordinaire, violence directe quand la violence symbolique n’agit plus, assistanat pour les plus démunis fiscalement intéressant pour certains et socialement valorisant, hommage de l’effort et du travail voire du travailler plus. Les travailleurs licenciés après des décennies d’efforts parce que des capitaux, ayant été dopés à l’occasion par des subventions, recherchent une meilleure valorisation, savent à quoi s’en tenir. Ceux qui voient les services publics progressivement vidés de leur personnel, leurs prestations dégradées et l’invite à recourir à des services payants aussi.

Ces élites minoritaires avec leurs caractéristiques si spécifiques méconnaissent celles des travailleurs et citoyens ordinaires tellement sont artificiels et convenus ceux qui sont présentés dans les médias d’informations. Ces derniers sont souvent réduits à être des figurants dans un micro trottoir dont on sait d’avance ce qu’il y sera dit. Les mêmes procédés se répètent jusqu’à la saturation. Les questions rhétoriques qui suggèrent fortement la réponse attendue, puis l’oppressant " Êtes-vous d’accord avec…, oui ou non ?" Le fameux téléphone qui sonne si bien que certains masquent leur véritable question pour accéder enfin à l’antenne. Le banal mépris sociologique inconscient de lui-même à l’égard de ceux qui sont armés d’un bagage scolaire qu’ils n’ont pas eu l’occasion de compléter autant qu’ils auraient pu ou voulu le faire mais aussi d’une inestimable expérience de vie qui aurait écrasé la plupart de nos petits soldats d’élite persuadés de leur supériorité et qui sont bien incapables de l’appréhender. Condescendance pour ceux qui cherchent leurs mots parce qu’ils veulent parler juste et privilégient l’exemple à la rhétorique pour exprimer une idée, qui n’ont pas besoin de se dissimuler derrière la pensée d’autrui pour poser un argument, qui admettent avec simplicité leur ignorance quand les professionnels de la parole connaissent toutes les astuces pour dissimuler l’étroitesse de leur expérience, qui en remonteraient à tous sur leur champ de compétences propres et qui ne demandent au fond qu’à être correctement écoutés et informés. Qui pensent que cela est le préalable pour exercer leur citoyenneté, que le fonctionnement réel des institutions doit être accessible à tous et qu’ils sont légitimes eux-aussi parmi d’autres pour en débattre et en décider. Que les langages et les pratiques en vigueur dans les médias, cocktail baroque de celles de la publicité, des talk show, de la téléréalité, des bateleurs-animateurs, des communicants et politiciens en séduction, des acrobaties verbales de pseudo-philosophes ne peuvent se substituer lorsqu’il s’agit de la conduite des sociétés à celles qui consistent à dire ce que l’on veut faire, pourquoi et comment et de s’expliquer ensuite sur les résultats obtenus auprès de ceux qui vous ont mandatés. Et de laisser la créativité fictionnelle, les effets artistiques, les récréations humoristiques aux responsables marketing de produit, aux talentueux feuilletonistes et auteurs de séries qui satisfont déjà largement ces besoins d’évasion. Qui ne se reconnaissent pas dans une démocratie vidée de son sens qui tous les 5 ans organise à grands frais une tonitruante parade de cirque largement animée par les médias qui laissent au bout du compte les citoyens-spectateurs éberlués et abasourdis. Qui ne tardent pas à constater que la nouvelle fournée d’élus se dépêche de reprendre la parole donnée, comme un bon tour joué à de crédules enfants irresponsables et indisciplinés.

 Ils savent qu’ils ne vivent pas sous un régime de censure mais constatent qu’ils subissent une pseudo démocratie fondée sur une propagande intensive, une ignorance entretenue et une citoyenneté formelle. Ils s’inquiètent de voir qu’une minorité est résolue à différer au maximum les mesures capables d’enrayer le gaspillage et l’épuisement des ressources, de préserver les conditions sanitaires de nos vies parce qu’elle pense que ce ne sera pas compatible avec son mode de vie et le partage des richesses dont elle abuse. Ils la voient freiner les évolutions dont elle a pourtant convenu, jouer des apparences et des discours généreux pour substituer des mesures minimalistes tant qu’elle peut.

Comment cette minorité en est-elle arrivée à penser qu’un monde plus juste, plus démocratique, plus sûr serait moins vivable pour elle et ceux qui comptent pour elle ? Comment est-elle arrivée à susciter autant de complicité ? Effets d’auto confirmation narcissique, de connivence, de dépendance, de soumission ? Effets de propagande sur le plus grand nombre dont l’énergie principale est absorbée par les exigences du présent et les incertitudes du lendemain ? Imaginer cette domination indépassable, c’est faire fi de l’être humain animé du désir de comprendre, du souhait d’un monde meilleur et convaincu de sa capacité à y contribuer.

Ces élites redoutent-elles un meilleur partage du savoir, un meilleur accès à la formation, un approfondissement des pratiques démocratiques, l’avènement d’un citoyen qui a compris que s’il ne s’implique pas dans le fonctionnement de la démocratie, d’autres conserveront le nom pour lui en ôter l’envie et l’usage ? Redoutent-elles que ce soit la fin de leur domination qu’elles imaginent sans fin ni limites ?

 

Vont-elles pouvoir continuer encore longtemps de proposer une fuite en avant qui masque leur bilan calamiteux et les privilèges qu’il s’agit de dissimuler et maintenir avant tout à défaut de pouvoir les justifier de plus en plus difficilement. Nous entraîner dans un monde toujours plus incertain et conflictuel dont ils pensent comme cela a été souvent le cas dans notre histoire pouvoir tirer parti pour se maintenir au pouvoir ? Dénoncer le populisme qu’elles aident à prospérer par leurs politiques qui affaiblissent les infrastructures économiques et sociales des pays pour se poser comme un moindre mal contre le pire dans un coup de bluff qui se répète. Spécialistes en subterfuges, il semble qu’elles ne sont pas prêtes à renoncer. Elles trouvent abondamment dans l’intelligentsia portée par les médias des voix pour agiter des épouvantails et ratiociner sans fin sur ce qu’il faudrait faire et ne pas faire comme si le diagnostic et les responsabilités n’étaient pas établis. Ceux qui ont de moins en moins à perdre et à qui on veut encore disputer l’essentiel savent mieux que d’autres qu’ils n’ont qu’une vie et qu’il n’y a pas de raison d’attendre encore le bon vouloir de ceux qui se croient destinés par l’ordre des choses à en disposer à leur guise. Au fond, la seule question qui vaille est :"Est-ce qu’une sortie démocratique sera rendue possible ?"



5 réactions


  • Francis, agnotologue JL 18 mars 2019 10:48

    D’accord sur le fond, mais l’auteur veut trop en dire et la formulation en est parfois laborieuse. Par exemple :

     

    ’’ Condescendance pour ceux qui cherchent leurs mots parce qu’ils veulent parler juste et privilégient l’exemple à la rhétorique pour exprimer une idée, qui n’ont pas besoin de se dissimuler derrière la pensée d’autrui pour poser un argument, qui admettent avec simplicité leur ignorance quand les professionnels de la parole connaissent toutes les astuces pour dissimuler l’étroitesse de leur expérience, qui en remonteraient à tous sur leur champ de compétences propres et qui ne demandent au fond qu’à être correctement écoutés et informés. ’’

    Je suppose qu’il faut lire « remontreraient » et non pas « remonteraient » ?

     

     

    ’’ l’intérêt général que

    l’on ne peut quand même pas laisser aux mains de grandes masses ignorantes et confuses.

    Comme on dit dans les conseils d’administration, les rédactions et les services politiques des médias, Il s’agit de les éclairer dans le bon sens.’’

     

     « La conscience des masses n’a besoin d’être influencée que dans un sens négatif » (Orwell)


  • UnLorrain 18 mars 2019 11:57

    Plus que jamais et pourtant. ..elle date. Écoutons cette voix douce,mélodieuse, perlée, sussurėe,de Berni B. https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://www.youtube.com/watch%3Fv%3Dp9YKdHvtTG8&ved=2ahUKEwjcwLeFw4vhAhVS-YUKHbXoDoQQjjgwAHoECAIQAQ&usg=AOvVaw31mGawvJ26TGTKpmV5lbwo

    Vanité de ne pas paraître vain, j’ai lu en diagonale votre Feuille.


  • zygzornifle zygzornifle 18 mars 2019 13:29

    Les élites ....

    Hahaha une bande de bras cassés égoïstes et menteurs qui ne pense qu’a se remplir la panse et leur compte en banque et qui n’a rien a foutre du sort des autres, nous ne sommes la que pour les servir ....


  • Baron de Risitas lee oswald 18 mars 2019 18:55

    Bonjour , Mr Lebel , très belle analyse qui rejoint les propos de Juan Branco .


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