jeudi 12 janvier 2023 - par Sylvain Rakotoarison

Dieudonné, le salut par la rédemption ?

« Je tiens (…) à demander pardon à toutes celles et ceux que j’ai pu heurter, choquer, blesser au travers de certaines de mes gesticulations artistiques. Je pense notamment à mes compatriotes de la communauté juive, avec lesquels je reconnais humblement m’être laissé aller au jeu de la surenchère. C’est vrai, j’ai parfois été trop loin et fais preuves d’outrances, de provocations déplacées. Pour toutes ces fautes et excès, je demande pardon. Mon ambition était de faire rire tout le monde, et la communauté juive fait partie de mon monde. Je n’ai pas réussi à la faire rire, et je le regrette. » (Dieudonné, le 10 janvier 2023 dans "Israël Magazine").

Non, vous ne rêvez pas ! Non, ce n'est pas le premier avril ! Pour le coup, voilà une confession on ne peut plus surprenante de l'humoriste sulfureux Dieudonné (de son vrai nom Dieudonné Mbala Mbala). Il a contacté André Darmon, le directeur de la publication de "Israël Magazine", par un ami commun (Francis Lalanne), pour publier cette tribune de repentance et de demande de pardon (texte intégral ici).

André Darmon n'est pas n'importe qui, cela fait une vingtaine d'années qu'il a fustigé les déclarations et l'humour douteux de Dieudonné qui lui vaut d'être mis hors de tous les médias importants, souvent interdit de salle dans les mairies, soupçonné régulièrement d'antisémitisme et d'appel à la haine. On ne peut donc pas le considérer comme un complice de l'humoriste.

Dieudonné, je n'ai jamais su quoi en penser sinon que je sens qu'il y a eu un énorme gâchis. C'est un humoriste qui a du talent, sa voix est extraordinaire, son ton aussi. Il a un réel sens de la dérision. Mais ses provocations qui, comme il vient de l'écrire, l'ont amené lui-même à surenchérir, multipliant polémiques sur polémiques, croyant au départ que ce serait une poule aux œufs d'or pour alimenter son petit cercle de fans, qui se sont recrutés de plus en plus du côté de ce qu'on appelle improprement la fachosphère, jusqu'à intégrer Jean-Marie Le Pen dans sa propre famille, ne pouvait plus amuser ceux qui aiment le talent, mais seulement utilisé à bon escient. Pourtant, on partait de loin ; en 2000, Dieudonné recevait de l'ONU ce titre honorifique : "homme de bonne volonté dans sa lutte contre le racisme". Comment a-t-il pu changer autant ?

Ce que je pouvais comprendre, hélas, c'est qu'il était sincère. Oui, l'humour est toujours au second, voire troisième degré. C'est justement le décalage entre la réalité et ce qui est dit qui est drôle. Comment imaginer Pierre Desproges antisémite ? Et pourtant, reprenez certains de ses sketchs, c'est horrible. Il commençait l'un en demandant au public : y a-t-il un Juif dans la salle ? Puis continuait en disant quelque chose comme : remarquez, je n'ai rien contre eux... Pourquoi on ne pouvait pas imaginer Desproges antisémite ? Parce que c'était un humoriste tendre, qu'on ne pouvait pas l'imaginer haïr des personnes, surtout pour ce qu'elles ne sont pas. Qu'il ne détestait probablement pas les coiffeurs ni les garagistes... Pareil pour Coluche qui a surfé d'ailleurs sur cette ambiguïté du public quand il houspillait "les Arabes". Un vrai humoriste se fout de la gueule de tout le monde, pas seulement d'une certaine "communauté" comme écrit dans sa repentance.

Avec Dieudonné, rien de tout cela, aucune tendresse, aucun second degré. Pour preuve, c'est qu'il se prenait au sérieux. Il a eu des ambitions politiques, il s'est présenté très sérieusement à des élections (et heureusement, il s'est toujours fait très largement battre). Il s'est présenté quatre fois aux élections législatives (1997, 2002, 2012, 2017, cette dernière dans la circonscription de Manuel Valls), et à chaque fois, il n'avait qu'à peine 1 000 voix et jamais au-dessus de 4% (sauf à la première où il représentait 7,7% des électeurs, mais c'était du temps d'avant les polémiques). Il s'est présenté aussi aux élections régionales en 1998 et n'a pas atteint de justesse le seuil de 5%. Il avait des velléités de se présenter à la mairie de Toulouse en 2001 et à l'élection présidentielle en 2002.

Mais le plus parlant ont été ses deux candidatures aux élections européennes de 2004 et de 2009 où il menait, en Île-de-France, une liste. Celle de 2004 s'appelait EuroPalestine ; celle de 2009 venait du parti antisioniste (dissous en 2019) qui était assez transparent dans ses buts (l'antisionisme étant la forme légalisée d'une expression de l'antisémitisme). C'est facile à déceler : pourquoi parler du conflit isréalo-palestinien dans une campagne européenne qui parlait surtout de social, d'économie, d'Europe ? Pourquoi vouloir systématiquement importer un conflit extérieur, et toujours le même ? Cette obsession révèle trop bien les arrière-pensées idéologiques. Dieudonné n'était plus un humoriste, dans ces circonstances, mais un piteux et pitoyable homme politique (je le répète, heureusement, les électeurs sont d'un bon sens incroyable !).

Pendant une vingtaine d'années, il a fatigué les plus tolérants et dopé, exacerbé les plus militants de ses soutiens, au point que certains n'hésitent pas à affirmer qu'il était intellectuellement responsable de certains actes antisémites, de leur passage à l'acte par des petites frappes, parfois devenues meurtriers, qui l'écoutaient et allaient plus loin dans ces idées nauséeuses.

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Ce retournement exceptionnel est très courageux de sa part : qu'il soit sincère ou pas (j'y viens plus loin), il faut du cran pour dire en quelque sorte qu'on a eu tout faux pendant vingt ans. Par la même occasion, il donne raison à ceux qui, pendant ce temps, le contestaient parce qu'ils contestaient les idées puantes qu'il véhiculait. Cette repentance montre qu'ils n'avaient pas tort et les conforte a posteriori dans leur combat idéologique, car il s'agit/s'agissait bien d'un combat idéologique (je ne sais pas s'il faut mettre encore au présent ou enfin au passé).

Il conclut sa tribune ainsi : « Je suis un être imparfait mais sincère qui cherche à réparer ses erreurs et ses fautes. (…) Entendons nous bien, je ne me cherche aucune excuse, aucune circonstance atténuante car nul n’en a lorsqu’il peut constater qu’il a nui à son prochain, je demande tout simplement pardon pour le mal que j’ai pu faire même sans le vouloir. ».

Quelle est la motivation d'une telle demande de pardon ? De celle-ci, on pourra juger si elle est sincère ou pas. Est-ce pour retrouver un public, des salles de spectacle et de l'argent ? Est-ce un flash dans la nuit, une illumination qui lui a demandé de se racheter (la rédemption) ?


Dieudonné a précisé ses motivations : « Bref, mon âge, ma santé m’invitent aujourd’hui à préparer ma retraite au Cameroun, sur la terre de mes ancêtres. Aussi, j’aspire à quitter la scène en paix : en paix avec moi-même, en paix avec les autres, dans un respect réciproque et sincère. Je veux apporter ma pierre à l’édifice de la réconciliation dans un contexte de tensions générales exacerbées. ». En somme, le pyromane transmuté en pompier.

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Serait-il mourant ? Pas étonnant que de nombreux internautes viennent alors quérir des informations sur sa santé et une possible maladie ? Cela ressemble à ces combattants cruels, au Moyen-Âge, qui renonçaient aux armes et s'esquivaient dans un monastère jusqu'à la fin de leur vie pour préparer leur passage dans l'Au-delà.

Face aux nombreuses réactions qu'a suscitées la publication de cette repentance dans son journal, André Darmon a voulu apporter son commentaire et accorder à Dieudonné le bénéfice du doute : « La meilleure façon d’expier et de matérialiser sa volonté, était de faire passer dare-dare un message opposé, contraire à celui démentiel, qu’il avait toujours véhiculé et à travers le même canal qu’il avait utilisé : ses sketches. Je lui ai rappelé que l’autre forme parallèle d’expiation était de se tourner vers les autres et de consacrer cette fondation qu’il dit vouloir monter, avec Élie Semoun, à ceux qu’il a fait souffrir, mais aussi à ses frères noirs, auxquels il n’a finalement pas fait de bien. J’ai insisté et lui dit qu’il lui fallait très vite porter la bonne parole dans les écoles françaises, des écoles qui ont été infestées par son discours. J’ai appris de mes 35 ans en Israël qu’on ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis. J’ai aussi appris de ma jeunesse parisienne un proverbe : il faut suivre le menteur jusqu’à la porte. Aussi, nous saurons très vite ce que Dieudonné a dans la tête, mais aussi dans le ventre. ».

Peut-être sera-t-il vite déçu par Dieudonné.

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Car d'un rapide coup d'œil au site officiel de Dieudonné, j'ai appris que justement, Dieudonné reprenait ses spectacles à partir de ce vendredi 13 janvier 2023 dans de nombreuses villes de France, et cela jusqu'au 3 mars 2023, et le spectacle est intitulé : "Foutu pour foutu". Mais après tout, rien ne dit qu'il en sortira des messages pas très différents de ses précédents spectacles. Il y a cependant un doute persistant : une nouvelle excitation médiatique avec Dieudonné juste avant une série de représentations, quelle coïncidence ! (Sur la page, on y lit aussi : "Accueillez Dieudonné sur votre propriété, proposez votre lieu" !).

Et toujours à la première page du site officiel, que lit-on également ? Que l'internaute est invité à donner son opinion sur une question. Pourquoi pas ? Beaucoup de sites le font, ça ne sert à rien mais ça permet de fidéliser. Mais ici, la question reste quand même problématique : « Êtes-vous pour la dissolution du CRIF et de l'UEJF ? ».

Décidément, Dieudonné ne changera jamais...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 janvier 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La tribune de Dieudonné publiée le 10 janvier 2023 dans "Israël Magazine".
Dieudonné.
Patrick Bouchitey.
Laurent Gerra.
Jacques Tati.
Charlie Chaplin.
Jean Roucas.
Jean Bertho.
Thierry Le Luron.
Jean Amadou.
Frédéric Fromet.
Daniel Prévost.
Coluche.
Sim.
Élie Kakou.
Pierre Desproges.
Pierre Dac.

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