mercredi 21 janvier 2009 - par
Faillite des médias et démocratie
Charlie Hebdo, les Inrockuptibles, Marianne, Médiapart, le Nouvel Observateur, Rue 89, soutenus par Reporters sans Frontières, ont lancé jeudi 8 janvier 2009 un appel commun contre la « régression de nos libertés » et les « abus de pouvoir » du président de la République.
Le 19 décembre 2008 l’intersyndicale de l’Agence France Presse (AFP) lançait un SOS :
"Depuis près d’un an, les velléités de mettre fin au statut d’AFP, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’entreprise, sont de plus en plus nombreuses. En témoignent les attaques sans précédent dont l’agence a récemment fait l’objet de la part de certains hommes politiques proches du pouvoir en France (…) Aujourd’hui, des projets bien avancés menacent le statut et l’indépendance d’une entreprise qui est unique en son genre, à savoir ni publique ni privée. Il serait notamment question (…) de permettre la transformation en société anonyme et l’entrée d’actionnaires. De tels changements (…) risquent fort de se traduire par la mainmise d’intérêts particuliers ou étatiques sur l’ensemble de l’information destinée au citoyen".
Lorsque l’on parle des médias et en particulier de la presse écrite, il convient tout d’abord de préciser l’importance et les enjeux de ce que l’on appelle le quatrième pouvoir et qui devrait en fait être « un contre pouvoir ». Les médias sont en effet nos yeux et nos oreilles et sans médias indépendants il n’y a pas de démocratie.
Voltaire (François Marie Arouet, dit), écrivain et philosophe français (1694-1778) situe le problème :
« Le droit de dire et d’imprimer ce que nous pensons est le droit de tout homme libre, dont on ne saurait le priver sans exercer la tyrannie la plus odieuse. »Source : « Questions sur les miracles ». D‘ailleurs, l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 précise : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
« Le droit de dire et d’imprimer ce que nous pensons est le droit de tout homme libre, dont on ne saurait le priver sans exercer la tyrannie la plus odieuse. »Source : « Questions sur les miracles ». D‘ailleurs, l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 précise : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
La loi sur la presse de 1881, texte fondamental de notre démocratie, est directement issue de cet article 11.
Voilà pour la théorie, nous allons maintenant analyser la réalité.
Vous avez remarqué dans mon introduction que la fronde des journalistes, larvée jusqu’ici, éclate au grand jour. Mais que se passe-t-il, la liberté de la presse est-elle menacée en France ?
Reporters sans frontières (RSF) a rendu public le 22 octobre son classement mondial de la liberté de la presse dans le monde en 2008. Nous apprenons ainsi que la France (35ème) est encore en recul cette année (31ème en 2007). Elle fait mon bien que la Jamaïque (21ème) et le Costa Rica (22ème).Terrible constat !
Par exemple, en France, la désignation du responsable éditorial d‘un journal doit être approuvée par les journalistes. C’est le minimum pour souligner l’indépendance de la rédaction. Or, par exemple, en 2005, le journal Libération renfloué par Edouard de Rothschild a renoncé à ce statut (Serge July a été congédié). Mais le problème n’est pas uniquement français, il est mondial.
Céline Fion a interrogé l’ensemble des journalistes professionnels, en Belgique francophone, à travers un sondage entre le 26 juin et le 10 juillet 2008.
80% des sondés estiment ainsi que le métier évolue "plutôt négativement". Ils sont 70% à penser que la principale menace pour l’avenir est la concentration des médias.
La FEJ (Fédération Européenne des Journalistes) en collaboration avec son syndicat-membre belge, l’AGJPB, a ainsi lancé le 08 janvier 2009 la campagne "Tous debout pour le journalisme". Elle affirme :
« Debout pour le journalisme veut également dire debout pour la qualité et pour la défense du journalisme de qualité, qui est confronté aux interférences politiques et aux pressions économiques".
Serge Halimi enfonce le clou :
Serge Halimi enfonce le clou :
"Les journalistes ont presque toujours été corsetés dans un costume de contraintes. Au siècle dernier, la liberté de la presse appartenait déjà à ceux qui en possédaient une ; pour les autres, c’étaient silence aux pauvres ! Comment le professionnel de l’information a-t-il pu imaginer qu’un industriel allait acheter un moyen d’influence tout en s’interdisant de peser sur son orientation."
Fabrice Trochet quant à lui avoue tout :
« Les partenariats économiques nourrissent évidemment les journaux. L’avouer s’est se discréditer, discréditer la profession de journaliste et finalement s’auto flageller. Donc, le silence reste de mise sur le réel impact des publicités sur les feuillets de nos meilleurs journalistes. Le lecteur, lui, de toute façon, n’y verra que du feu, et se contentera de lire le papier final dont le contenu dépendra de la plume intègre ou non du journaliste ; de sa déontologie et sa philosophie, de sa véritable enquête. »
En ce qui concerne la télévision, la situation est encore plus catastrophique, et, elle applique à la lettre ce que disait Adolf Hitler dans « Mein Kampf » :
« Si vous désirez la sympathie des masses, vous devez leur dire les choses les plus stupides et les plus crues. » La télé réalité est donc partout au détriment d’une information de qualité.
D’ailleurs, le 8 décembre Peter Schiff (un financier diplômé de Berkeley) qui a prédit l’actuelle crise financière, déclare en direct sur CNN que « les mesures officielles actuelles ne font qu’aggraver la situation » et lorsqu’il aborde « le probable effondrement du dollar » il est tout simplement censuré en direct.
Pendant la guerre du Golfe de 1991, 200 000 civils ont été tués lors des bombardements, ce que les médias nous ont caché en parlant sans cesse de « frappes chirurgicales ». Le Pentagone a ainsi acheté les droits exclusifs sur toutes les images d’Afghanistan provenant du satellite Ikonos. (source : The Guardian, Londres, 17 octobre 2001). L’armée israélienne fait la même chose à Gaza. Ne parlons même pas de la chape de plomb pesant sur les attentats du 11 septembre. Tous ceux qui ont osé en parler sont passés pour des « idiots du village ». Il est pourtant légitime de se demander comment la troisième tour (3 tours se sont écroulées dont le WTC7) qui n’a été heurtée par aucun avion s’est effondrée ! Pierre Gripari (écrivain) nous rappelle que "toute censure est un aveu : on ne ferme que la bouche qui dit la vérité".
En France, le journaliste Yann Cholet s’interroge : « Que représente le lecteur pour les médias ? Une cible pour des produits de consommation ou un acheteur qui souhaite s’informer, réagir et exister ? Patrick Le Lay, PDG de TF1 répond à ses interrogations :
"Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit [...] Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible".Source : "Les dirigeants face au changement" (Editions du Huitième jour, préfacé par Ernest-Antoine Seillière).
Il est en effet temps d’éteindre définitivement sa télévision afin de consacrer notre temps de cerveau humain à l’étude et à la lutte pour notre liberté !
Pourtant, au-delà de ce constat, il ne faut pas oublier les soixante journalistes tués dans l’exercice de leur métier en 2008 (Source : Reporters sans frontières (RSF), publié mardi 30 décembre) ainsi que les nombreux journalistes ayant combattu pour la liberté d’information et qui ont pris des risques. Par exemple l’ancien directeur de publication de Libération, Vittorio de Filippis a été traité comme le dernier des gangsters et emmené au commissariat du Raincy à cause d’une affaire de diffamation à l’encontre de Xavier Niel, fondateur de Free. Il avait à l’époque osé publier des informations sur l’un des « 100 plus grands hommes qui font le monde » (source : magazine Challenges).
Guillaume DASQUIE, journaliste d’investigation pour le quotidien Le Monde a été mis en examen pour « compromission du secret défense ». Il avait, dans un article publié dans Le Monde (17 avril 2007) divulgué des rapports confidentiels sur ce que la DGSE connaissait d’Al Quaïda avant les attentats du 11 septembre 2001. Deux exemples parmi tant d’autres !
La presse écrite est en effet en danger car elle n’est plus capable de résister aux pressions et de plus en plus de lecteurs ne s’intéressent plus à des journaux qui n’informent plus vraiment. La crise économique n’arrange rien car elle diminue dangereusement les budgets. Mais surtout, 2008 a été révolutionnaire sur le plan des médias car, aux USA, Internet est devenu la 2ème source d’informations nationales et internationales des Américains, derrière la télévision mais devant la presse papier. Dans mon article « destruction de l’économie et médias », j’ai d’ailleurs démontré la gravité de la situation.
D’ailleurs, jeudi 8 Janvier 2009, Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, a reçu le "Livre Vert" des Etats Généraux de la Presse Ecrite lancés par Nicolas Sarkozy pour remédier à la situation économique catastrophique. 150 professionnels et experts de la presse française se sont réunis durant trois mois afin de remettre leurs recommandations (près de 100 propositions).
Lancés le 2 octobre par le Président de la République, les Etats généraux de la presse écrite ont pour objectif « d’établir un diagnostic partagé de la situation de la presse écrite française, d’analyser ses points de blocage et d’identifier, sur la base de ce diagnostic, les solutions à mettre en oeuvre pour l’accompagner dans le tournant stratégique des années 2000. » (Source : www.assemblenationale.fr/13/budget/plf2009/b1198-a29.asp).
Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs déclaré : "La presse est une industrie stratégique qui mérite d’être développée" (interview au Monde daté de jeudi 17 juillet 2008).
Quels sont ces points de blocage ? En voici quelques-uns :
-La protection des sources que Presse-Liberté demande d’inclure dans la loi du 29 juillet 1881, principe pourtant consacré par la cour européenne des droits de l’homme comme pierre angulaire de la liberté de la presse.
-L’indépendance de la rédaction qui doit être obtenue par la désignation du responsable éditorial par les journalistes.
-La suppression de l’article 3b de la convention collective nationale des journalistes (refondue le 1er octobre 1987), qui déclare que « les journalistes ont une liberté d’opinion, l’expression publique de cette opinion ne devant en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l’entreprise de presse dans laquelle ils travaillent ».Article qui permet de renvoyer un journaliste trop « indépendant ».
-La mise en place de subventions d’état (une sorte de redevance comme pour la télévision) en raison de la nécessité d’une presse libre et indépendante garante de la démocratie.
-La création d‘un organisme de contrôle indépendant géré par les journalistes à l’image d’un conseil de l’ordre des médecins, seul capable de juger et sanctionner les erreurs.
Voilà quelques points qui méritent d‘être soulevés lors de ces Etats Généraux.
La survie de la presse écrite est à ce prix car son principal problème est son manque de liberté qui est à l’origine d’un fossé énorme entre l’information que l’on trouve sur le net et celle que l’on peut lire dans les journaux. Dans moins de deux mois l’économie mondiale s’effondre à nouveau (LBO, ALT A, faillite des constructeurs automobile, etc) et cela sera d‘une violence incomparable par rapport à ce que nous avons vécu jusqu’à présent. Le web (le seul où vous trouverez cette information) est d’ailleurs lui aussi en grand danger et ceux qui sont heureux des déboires de la presse écrite feraient mieux de la soutenir.
Il faut maintenant du courage et cesser d’être « les porte paroles du gouvernement » et reconquérir ce que nous avons perdu : la démocratie.
Pour conclure, je reprends ces paroles de John Swinton ancien rédacteur en chef du New York Times, qui, lors d’un banquet pour son départ à la retraite avec le New York Press Club, après qu’on l’ait invité à porter un toast à la presse indépendante, le 25 septembre 1880 déclara :
« Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! » (Source : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979).
Gilles Bonafi