mardi 12 janvier 2021 - par C’est Nabum

L’important, c’est la prose …

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On peut en gloser longtemps

 Si les paroles s’envolent, les écrits restent. C’est du moins ce qu’il était coutume de dire dans les dîners et lors des discussions animées entre gens de la haute. Le truisme donne toujours de la contenance à celui qui s’aventure sur le terrain glissant de l’affirmation qui se revendique comme étant une évidence incontestable. Affirmation d’autant plus étrange qu’elle émane souvent d’un non -lecteur, espèce en voie de prolifération.

 Curieusement cependant, nous pouvons gloser à l’infini sur ce propos qui tient lieu de vérité incontestable tout autant que d’axiome déguisé en aphorisme. La première remarque sera d’ordre technique. Bien des écrits furent jadis écrits à la plume, il est donc curieux de leur dénier le droit à l’élévation dans les airs tout comme l’accès à l’insoutenable légèreté de la lettre. L’oie a donné de son corps pour que l’écrit se fasse oiseau migrateur. L’imprimerie lui plomba un temps les ailes, lui conférant cette lourdeur qui sied à ce métal qui n’a rien de comparable à l’or. Puis les progrès de la technologie ont donné la possibilité à l’écriture de voguer plus aisément, de surfer sur la vague avant que de sombrer dans son creux.

 C’est ainsi que survit la seconde remarque : l’écrit se noie dans son abondance, il a submergé toutes les digues, prenant tellement de formes qu’il n’est plus possible de lui attribuer la même valeur. Les textes ont d’ailleurs beaucoup perdu, se vidant de leur substance, ne faisant plus corps avec une idée et exigeant une police pour mieux s’imprimer dans les consciences. Trop d’écrits tuent l’écrit et laissent sans voix les commentateurs de la chose. La logorrhée provoque la cacophonie.

 Le texte a perdu non seulement sa densité mais également sa forme. Les mots se raccourcissent, se distordent, s’émancipent de la syntaxe. Ils sont jetés en pâture comme des cris qu’on avale sans même les digérer. Le scripteur se prive de la nécessaire rumination avant que de coucher sur l’écran un mot plus souvent qu’une phrase. Le lapidaire a pris le pas sur l’élaboré. Les écrits sont soumis à un régime draconien, il y eut même une époque où le mot était contingenté, compté pour rester dans une limite acceptable.

 Le caractère a subi le même sort. Il doit tenir dans une limite, ce qui souvent ôte toute personnalité à ce qu’il est censé porter. L’écrit est devenu une forme diluée de la pensée, un raccourci d’une réflexion qui se contente d’être le reflet d’une idée commune et sans saveur. Sa multiplication n’est qu’un marcottage de clones, une variation à l’infini du même propos.

 Alors, pour sortir de ce marasme épouvantable, seule la fiction peut sauver notre culture. Bien sûr, le roman en est son porte-falot, cette lumière ténue qui tente de s’imposer dans les ténèbres d’une communication vide de sens. Tout ce qui fait sens à travers l’imaginaire est en mesure de constituer un électrochoc dans les rares cerveaux encore déconnectés de la machine médiatique à décérébrer.

 Lire relèvera prochainement du délit pour peu qu’il s’agisse de fictions évoquant le devenir de cette société, en critiquant les travers et les dérives. Nous avons perçu combien le livre est considéré comme dangereux par les tenants de cette civilisation du vide et de la consommation. Tout ce qui fait Culture est à jeter aux oubliettes. L’édition quand elle survit ne fait plus place qu’aux illusions. Les livres pour être vendus doivent porter le nom d’une vedette, d’un politicien, d’une fille de bonne famille ou du descendant sans talent d’une notabilité sans idée. La couverture est devenue une carte de visite tirée d’un bulletin mondain.

 L’important c’est la prose. Ne le perdez jamais de vue. Il faut lire en se donnant le temps de la pensée, en repoussant le pré mâché, le superflu de la tendance et de l’actualité. Lire c’est essentiel tout autant que gravement subversif. Ne vous y trompez pas, c’est un acte politique pour lequel vous aurez bientôt à rendre des comptes. Alors, ne perdez pas que les vrais écrits ne font pas devanture, il faut aller les quérir sous le manteau.

 Prosaïquement vôtre.



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