mercredi 11 février 2009 - par edgar

L’impossible démocratie européenne

L’Union européenne est née avec un déficit démocratique. Ce déficit a crû et embelli depuis. Bientôt, le Traité de Lisbonne entrera en vigueur malgré l’opposition de plusieurs pays européens, exprimée (France, Pays-Bas, Irlande) ou supposée (au moins Royaume-Uni).
Les optimistes peuvent penser que des réformes institutionnelles permettront de démocratiser le système, plus tard. Si l’on suit une intuition de l’économiste américain Dani Rodrik, on peut être beaucoup plus pessimiste : l’Union européenne ne peut pas être démocratisée.

Dani Rodrik est un professeur d’économie à Harvard, très orienté sur les problématiques de développement macroéconomique. J’avais commenté un de ses billets récent sur le poids de la mondialisation sur les systèmes sociaux.

Il lance sur son blog une idée intéressante.

On connaît le triangle d’incompatibilité de Mundell, selon lequel on ne peut pas avoir à la fois des changes fixes, la circulation des capitaux et une politique monétaire autonome.

Rodrik énonce l’idée suivante : on ne peut pas avoir à la fois la démocratie, la souveraineté nationale et accepter la mondialisation (global economic integration).

L’idée principale est que, par nature, les états réglementent et sont donc une contrainte à la mondialisation. Ils doivent normalement, pour satisfaire leurs obejctifs internes, se doter d’outils qui sont autant de particularismes gênants pour les échanges mondiaux.

Ce préalable posé, essayons de prendre chaque paire de conditions du triangle de Rodrik, pour voir pourquoi la troisième ne peut pas être satisfaite.



1. Si l’on veut maintenir la mondialisation (deep economic integration) et la démocratie, il faut alors un gouvernment mondial ou un partage mondial de souverainetés (global federalism). Impossible dit-il, l’exemple européen montre déjà qu’à petite échelle c’est très complexe (Un commentateur ajoute - pas moi, promis : "jusqu’à maintenant, toutes les formes de fédéralisme global (comme l’Union européenne) sont des institutions plutôt non démocratiques". Dans le texte : Up to now, all the forms of global federalism (such as the UE) are rather undemocratic institutions.)

2. Autre paire de départ possible : que l’état national ait comme seul objectif de s’ajuster à la mondialisation (Golden Straightjacket). Cela ne peut être compatible durablement avec la démocratie, comme le montre l’effondrement de l’Argentine, qui avait décidé d’aligner son taux de change sur le dollar dans les années 90, subordonnant tout autre objectif interne à celui-ci.

3. Troisième paire : on garde la démocratie et l’état nation, il faut alors accepter une moindre mondialisation (Bretton Woods compromise) et donc, par exemple, un contrôle des mouvements de capitaux.

Parvenus à ce point, résumons la situation européenne et les choix européens à la lumière du triangle de Rodrik :


- l’Union européenne a fait le choix de la globalisation, c’est inscrit partout dans les traités européens. Le libre-échange est au tout premier rang des valeurs de l’Union, autant dans l’Union qu’avec les tiers ;


- l’Union européenne essaie de se doter des éléments caractéristiques de la souveraineté (défense, politique étrangère, justice). Elle croit donc aux nations et se veut telle ;

Conclusion : l’Union européenne ne PEUT PAS ETRE UNE DEMOCRATIE. Elle est obligée de mettre tous les moyens qu’elle arrache progressivement à ses états-membres, au service de la réduction des frottements dans le système commercial international (minima sociaux etc...) C’est la situation que Rodrik appelle la camisole dorée (golden straightjacket).

Le pari des européens intelligents est que l’Europe peut imposer aux USA un partage de leur souveraineté. Mais ces européens intelligents sont généralement fonctionnaires et ne sont pas au chômage en attendant que la raison vienne au reste de la planète - car les USA n’ont pas l’air touchés par la grâce, Obama ou pas.

On note par ailleurs que dès lors qu’un compromis à la Bretton Woods prévaudrait mondialement, l’Union européenne devient inutile puisque tous les états nations ont leur place dans le système, quelle que soit leur taille.

Autrement dit : l’imbécilité des abandons de souveraineté à un cadre européen, tels que consentis par la France, l’Allemagne et autres pays qui ont été contraints d’accepter ce fonctionnement pour pouvoir toucher les subsides du plan Marshall, c’est que de tels abandons de souveraineté ne servent à rien s’ils ne s’inscrivent pas dans un cadre mondial régulé.

S’il s’agit de consentir des abandons de souveraineté pour le bénéfice du globalisme, c’est tout simplement renoncer à la démocratie, y compris à un niveau européen. La démocratie perdue au niveau national n’est pas retrouvée à l’échelon européen parce que le pari globalisateur l’empêche (question au fond de la salle : mais alors une Europe démocratique non libre-échangiste c’est possible ? Réponse : oui, mais l’Union européenne est un traité de libre échange agrémenté de fioritures, donc d’abord on le déchire et après on voit).

*

Je trouve absolument délicieux, et décisif, et illustrateur de la noblesse de la macro-économie, qu’un raisonnement abstrait portant sur le système économique planétaire décrive parfaitement la situation européenne. La camisole dorée c’est en effet exactement ce que nous vivons tous les jours - toute une classe sociale vit fort bien de l’entretien de la camisole et protestera violemment, mais la réalité est là.

*

Conclusion, à propos des élections européennes : voilà pourquoi il ne faut pas voter en juin prochain lorsqu’on se veut démocrate - sauf pour un parti qui entendrait explicitement mettre fin à l’Union européenne. Ceux qui entendent lutter contre le libre-échangisme au sein de l’Union européenne devraient comprendre que l’Union a été créée pour cela, et que renoncer au globalisme c’est la faire éclater. S’ils n’osent pas afficher la couleur c’est qu’ils ne sont pas prêts à renoncer réellement au globalisme ; ou alors qu’ils n’ont pas compris la nature de l’Union, ce qui les disqualifie pour être élus au Parlement européen ; ou enfin qu’ils mentent pour ne pas effrayer les électeurs, qu’ils prennent donc pour des gogos.





8 réactions


  • Antoine Diederick 11 février 2009 12:29

    Elle est née avec un déficit démocratique et disparaitra avec un bénéfice démocratique, j’en ai la conviction.

    Elle n’est pas adaptée au monde tel qu’il se profile aujourd’hui...elle est née d’une époque révolue.


  • Alpo47 Alpo47 11 février 2009 13:57

    Félicitations à l’auteur, voilà une démonstration argumentée de la "grande tromperie" de l’UE.
    Nul changement allant vers le retour du pouvoir au peuple à en attendre, donc.
    A moins ... que les actuelles prises de position économique nationales, trop différentes, ne provoquent l’implosion de ce monstre technocratique ou "dictature douce" .
    C’est sans doute notre dernière chance.


  • Tzecoatl Tzecoatl 11 février 2009 14:48

    C’est un résultat très intéressant, révélateur de l’impuissance à satisfaire toutes les objections et les utopies.

    Le choix de la mondialisation économique est le choix de l’impuissance de la souveraineté nationale, c’est clair comme de l’eau de roche d’ici :

    - Sarkozy ne peut faire de relance par la demande pour cause de favoriser l’industrie chinoise, et son cynisme s’en satisfait ;

    Pour compléter l’analyse autour de l’exemple de l’UE, la Chine fait bel et bien dans la mondialisation et la souveraineté nationale (contrôle de la valeur de sa monnaie), mais ne fait pas dans la démocratie.

    Cependant, ce trilemne n’est pas parfait, en réalité, c’est un jeu entre ces trois concepts qui s’opèrent , mais chacun, démocratie, souveraineté nationale et mondialisation s’y trouvent souvent dégradés au profit d’un, de l’autre ou des deux autres,






  • bernard29 bernard29 11 février 2009 18:36

    Votre conclusion ne sert à rien.. .

    - parce que ne pas aller voter ne sert à rien non plus . Au contraire même, les grands partis ouiouistes seront alors trés contents de cette abstention des nonistes. Il n’y a pas de seuil plancher pour valider une élection.

    - parce que voter pour des partis qui veulent mettre fin explicitement à l’Europe.. ça ne vaut pas le coup de se déplacer non plus. ça me fait penser aux personnes qui se présentent aux cantonales en disant qu’ils sont pour la disparition du conseil Général et de l’échelon départemental. Ils n’ont jamais été élus, ou si par aventure un est élu, il change d’avis dès son élection.

    - parce que justement les élections européennes sont avant tout des élections nationales. 
     De nombreux partis politiques se présentent aux élections européennes n’ont pas tant pour peser au niveau européen que pour se situer et préparer ou consolider leur avenir au niveau national. 

    Alors que faire ?? 

    soutenir les deux objectifs suivants :

    1) - Faire que tout nouveau traité général européen, en particulier institutionnel, soit obligatoirement soumis au référendum dans tous les Etats membres au même moment ;

    2) - Obtenir que soit créée, au Parlement européen ou en dehors, une commission chargée de revoir les dispositions institutionnelles des traités existants et de faire les recommandations propres à démocratiser ces institutions. La commission aurait notamment pour mission :

    - d’organiser des débats publics dans chaque Etat-membre sur les questions de son domaine ;

    - de faire les recommandations qu’elle jugerait utiles en tenant compte de ces débats ;

    - de rendre compte au minimum une fois par an du déroulement de ses travaux par voie de rapport public.

    Europe Citoyenne 2009 http://european01.over-blog.com/article-27120250.html 

     


    • Laurent_K 12 février 2009 00:17

      Ne pas aller voter me pose un grave problème. Un bulletin, ce n’est pas grand chose en soit mais c’est une goutte d’eau dans l’océan des mécontentements face à l’UMPS et consort. Voilà pourquoi je partage votre position sur le fait qu’il faut voter : pour éliminer ces menteurs qui ont constamment ignoré les besoins et les décisions de ceux qu’ils prétendent représenter.

      Néanmoins, je ne crois pas (ou plutôt je ne crois plus) que le parlement européen ait la moindre chance de faire changer les choses. C’est au mieux un dortoir pour hommes ou femmes politiques -regardez donc comment la gauche et la droite une fois élues se sont entendues pour la présidence du parlement européen, c’est édifiant- , au pire une pseudo-caution démocratique d’une union européenne qui est devenue tyrannique, malhonnête et dangereuse pour les démocraties.


    • taktak 12 février 2009 09:42

      On vous démontre que structurellement l’europe, par son caractére mondialisateur, libéralisateur, capitaliste, bref par la nature du système économique qu’elle défend est incompatible avec la souveraineté populaire et donc avec la démocratie. Et votre réponse est fort illogiquement qu’il faut réformer les structures de pouvoirs de l’UE.

      Mais cela est impossible ! C’est structure sont causées par la nature de cette UE, et non l’inverse. Une autre europe n’est donc pas possible à partir de celle-ci. Il faut cesser de croire à se mirage et bien vouloir repartir de zero.

      Si vous en voulez la preuve regarder l’effet des nons aux TCE : revote jusqu’à résultat UE compatible, ou encore (merci Sarko) pas de vote du tout...
      On peut faire une europe uniquement si elle est le résultat d’un échange entre peuples souverains ! Sans préalable donc et notamment économique, chaque peuple choisissant de partager ce qu’il souhaite.
      C’est la voie par exemple choisie par l’alba, et elle montre toute son efficacité pour le progrès, là où l’UE montre toute son efficacité guerrière dans la regression sociale et l’exploitation de l’homme et de la nature !

      Ouvrez les yeux


  • vinvin 12 février 2009 02:34

    Bonjour.

    (@L’ AUTEUR ).

    Merci pour cet exellent article, qui est une pure vérité, et qui contient de bons arguments logique et rationel.

    je n’ ai pu lire l’ article de DANI RODRIK car je ne connait pas l’ anglais. Mais je sais que vous vous etes inspiré de son article, donc si vous voulez lire d’ autres articles concernant le fait que l’ europe ne peut pas etres démocratisée, ( n’ étant pas technicien en informatique, je ne connais pas les manipulations pour faires des liens,) mais je vous suggère d’ aller dans le moteur de recherche GOOGLE et de taper le nom de VLADIMIR BUKOVSKY, et prendre connaissance de ces articles.

    V. BUKOVSKY eest un ancien dissident soviétique, et qui explique lui aussi a sa façon, que l’ europe ne peut pas etre démocratisée. Il déclare également que l’ europe est en train peu a peu a devenir une dictature a l’ image de l’ ancienne URSS.
    Il déclare aussi que des gros blocs comme L’ URSS, ou l’ UE sont des trop gros blocs pour pouvoir etre démocratisés, et que l’ europe s’ éffondrera tot ou tard exactement comme c’ est éffondré l’ URSS avec toutes les conséquances que cela impliquera comme affrontements......( On l’ a vu avec l’ éffondrement de l’ URSS......).


    Bien cordialement a vous.



    VINVIN.



  • nervyoko nervyoko 15 février 2009 12:58

     @ l’auteur : sympas le billet sur l’impossible démocratie européenne...


    Il est vrai que beacoup de gens ignorent que l’Europe est une Dictature déguisée ! demandez leur de faire un tour d’horizon de l’Europe, sur les institutions qui les dirigent, ils seront surpris de l’aspect enfumage.

    L’EUROPE n’a pas un gouvernement démocratique par contre l’europe à un supra gouvernement qui chapeaute les gouvernements nationaux, la comission est nommée et non pas élu... ==> quick-wiki club 

    Composition de la Commission européenne : 
    Les 27 commissaires, choisis « en raison de leur compétence générale en offrant toute garantie d’indépendance » (article 213-1 TCE) et nommés pour cinq ans, forment un collège solidaire. 

    et oui, Cette commission a tous les pouvoirs : gardiennes des traités , force de proposition "lois", organe exécutif 

    Bref, l’EUROPE n’est pas une démocratie,elle est soumise aux lobbies : 

    Dès l’origine, les représentants des administrations nationales et régionales, les groupes d’intérêt et les lobbies ont été invités à siéger au sein de comités consultatifs : les négociations qui s’y déroulent donnent lieu à la publication de Livres verts et de Livres blancs (voir infra) proposant des pistes pour des actions communautaires.

    le chemin le plus court pour comprendre, c’est de se renseigner sur les institutions.


    salutations


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