lundi 14 mars 2016 - par Roland Gérard

La démocratie en volant ou le management naturel

C'est l'art de faire ensemble qu'elles nous montre les petites oies bernaches qui après un hiver breton, par de grands vols sompteux en ce moment même, s'en vont en Sibérie.

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parties pour la Sibérie
Photo : Jacques Lebaill

Impressionnantes les filles ! Entre côtes Atlantiques et Sibérie, les milliers de kilomètres qu'elles font, les petites oies Bernache cravant. Personne jamais ne leur a dit que c’était impossible, alors elles le font. Les vols sont somptueux, immenses, ils fendent l'air dans cette forme en - V - bien connue. Le leader est devant, pour le reconnaître, c'est facile, c'est celui qui est devant. Et comme ça – assemblées- elles partent à l'assaut de tous les dangers, au-dessus des mers et des étendues glacées ou pire urbanisées. Un exploit répété depuis - la nuit des temps -.

Et le pouvoir là-dedans ?

Et le pouvoir là-dedans, demanderez-vous ! Il est où le pouvoir ? Qui l’a le pouvoir ? Celle qui l'a, mais ça semble évident, c'est celle qui est devant ? Mais, celle qui est devant, quel rapport avec les autres ? C'est elle qui tire ou les autres qui poussent ? Et cette cohésion du vol, c’est quoi cette cohésion du vol ? Il y a un ciment ? Et pourquoi elle ne se détache pas celle qui est devant, si elle est plus forte ?

Pied, tête, cœur, tout est essentiel et soudé

Celle devant elle ne se porte pas seulement elle, elle porte tout le groupe - un temps -. Elles sont ensemble les bernaches quand elles volent. Elles font corps, comme on dit. Et dans un corps, aucun organe n'a le pouvoir. Pied, tête, cœur, tout est essentiel et soudé. Celle devant elle tire autant qu'on la pousse. Elle donne tout, un temps, puis vite au premier signe d'épuisement laisse sa place, on la remplace. Le leader est toujours aussi facile à trouver. C’est celui qui est devant. Et le pouvoir, alors, il est derrière à présent ? Ou c'est plus la même qui l'a et il est toujours devant ? Elles l'auraient chacune pour un temps et le passe vite de l'une à l'autre. Elles se le passent, se l'échangent ? Ou bien elles ne l'ont pas. Elles sont leader chacune à leur tour, mais le pouvoir elles ne l'ont pas. C'est le groupe qui a le pouvoir. Le pouvoir est ailleurs, il n’est pas dans le leader.

Le leader est un exécutant

Le pouvoir ou le désir, ou l'appétit, va savoir ? Vrai qu'on voit le monde de demain en observant les appétits d'aujourd'hui. Le pouvoir est dans le groupe, le leader est un exécutant. D'ailleurs, il y a plus de cent ans, un poète disait- Le roi est l'esclave de l'histoire -. Roi tenu par sa lignée, la société, les événements et les désirs de chacun. Inutile d’avoir peur des leaders, le pouvoir ils ne l’ont pas.

Se fondant dans la masse en mouvement

Pas d'esclaves chez les Bernaches. Mais juste pour un temps et pour la cause, un individu sans trop se mettre en danger, donne tout pour le groupe. Il verse sa contribution excellente puis retourne se reposer au sein du groupe bien plan-plan, se fondant dans la masse en mouvement. Dans le rythme, le tempo collectif imposé, facile pour la bernache aguerrie de se reconstituer. Battant toujours des ailes mais quelque part au repos nos leaders d’avant se laissent maintenant entrainer bien contents d’avoir déjà fait leur boulot. Maintenant c’est le vol qui les porte, elles sont devenues plus élément du groupe qu’elles-mêmes. Facile pour les leaders d’avant de trouver leurs places parmi les autres, simplement. Quant aux jeunes, les bernaches nées l’année passée, - en apprentissage - elles se dépensent beaucoup plus, elles apprennent à la trouver cette place dans le groupe. Elles doivent tenir c’est vital. Les premiers voyages les crève, mais demain celles devenues plus expertes seront devant les autres. Devant, elles ouvriront la voie, montreront le chemin, ça ce sera demain quand elles seront devenues grandes.

Aucun pouvoir à prendre

Pour l'émergence de la démocratie participative il n'y a aucun pouvoir à prendre, il suffit dans l’action de mettre sa confiance dans le leader et d’avancer tête baissée - oui, yeux fermés - du point A au point B. Et à chaque pause c’est l’évaluation - en toute bienveillance - en toute vigilance, toujours éveillé. Quoi de plus naturel ? - c’est juste une question de survie - . Toujours prêt à questionner. Et de le remplacer pour qu'il se refasse une santé dès qu'il faiblit afin qu'il puisse revenir bien remplumé, à nouveau utile et donner encore le meilleur de lui-même au groupe. Et le groupe détenteur du pouvoir vaut bien pour l’action le meilleur des leaders, sans doute. Facile, le meilleurs des leaders c'est le plus frais, le plus expert pour la tâche du moment et le plus reposé, le mieux inspiré, jamais le même, facile de le reconnaitre, il est devant. Devant, mais l’action ce n’est pas lui qui en décide. C’est du groupe qu’elle émerge l’action. Dans le groupe nait l’action. Action collective au service de tous les membres du groupe.

Des pouvoirs multiples

Les pouvoirs sont multiples, il y a le pouvoir de trouver le bon cap selon les situations, le pouvoir de libérer toute la puissance, le pouvoir de trouver des ressources, le pouvoir d'apaiser et de soigner, le pouvoir d'initier les jeunes, celui d'expliquer aux vieux ce qui a changé et à quel propos on les attend. Celui qui peut associer les forces, celui qui peut organiser…Qui n’aurait pas sa place, qui ne serait pas essentiel ? Il y a le pouvoir de chacun et il y a le pouvoir du groupe, celui qui chez les humains est discuté - celui qui est parlé -.

Plus le groupe quand on est en survie

C’est dommage le groupe est moins rapide que la plus rapide, moins résistant que la plus résistante, moins habile que la plus habile… C’est heureux le groupe est moins souffrant que la plus souffrante, moins fatigué que la plus fatiguée, moins inquiet que la moins confiante, moins affamé que la plus affamée… mais il est aussi beau que la plus belle, aussi intelligent que la plus intelligente, aussi réel que la plus réelle. Le groupe bien plus vieux que la plus vieille, il dure le groupe, il traverse le temps. L’une s’efface et le groupe reste encore pour longtemps. La bernache est le groupe et le groupe est la bernache. Et peut-être que je suis bien plus le groupe quand je suis en survie et encore plus quand on est on est en survie. Quand les bernaches soufrent le groupe se resserre.

On n’a que faire de la référence unique

Autant de missions, toutes aussi importantes, elles se complètent les unes les autres avec chacune au moment de l’exécution leur leader pour un temps. Aucune personne qui existe dans le groupe n'est plus importante qu'une autre, toutes ont un rôle, tous les rôles devant bien se jouer pour que le jeu de l'ensemble soit bon pour chacun. La nouvelle gouvernance n'a que faire de la référence unique. Celui par qui tout doit passer n'existe pas. Les citoyens sont émancipés, ils trouvent leur cap en étant ouverts les uns aux autres en s'écoutant, pour s'entendre et avancer d'un bon pas tout simplement.

Soleil de minuit

Le jour où toutes les Bernaches arrivent en Sibérie au début du printemps, elles peuvent se dire - on a réussi parce qu'on a beaucoup d'amies - alors elles font leurs petits au soleil de minuit.

Roland Gérard

Photo : Jacques Lebaill



5 réactions


  • BaaLeX 14 mars 2016 11:30

    Très beau et pertinent ! Merci smiley


  • beo111 beo111 14 mars 2016 14:21

    Les oies sont libres, pas de CDI qui les mettraient sous domination hiérarchique 8 heures par jour 5 jours sur 7.


  • jesuisunhommelibre jesuisunhommelibre 14 mars 2016 19:15

    Imaginez une seconde, que ce magnifique ensemble, cette cohésion de groupe, soit administré, réglementé, par une quelconque oie, sortie major de sa promotion ou élue grâce à ses éloquentes promesses. Le vols ne durerait pas plus que quelques mètres et se terminerait dans le chaos et la violence.

    Ça me rappelle quelque chose ... Mais quoi ?


  • Enabomber Enabomber 15 mars 2016 06:26

    Ça nous change du Gattaz qui est le fiston à son papounet.


  • Patesaubeurre1973 (---.---.63.221) 18 mars 2016 21:38

    Hé, oui les bernaches... Mais on ne peu pas dire que cela n’existe pas chez l’homme. L’homme est un être social qui a toujours sût s’organiser en collectif pour réaliser de grandes choses. Après, il faut bien reconnaitre que l’espèce humaine est un peu plus complexe que ce brave oiseau. Si cette complexité apporte parfois de bien magnifiques choses, elle est aussi sources d’autres bien plus horribles. Mais bon, on est née humain et pas oiseau alors faisons tous, tel le colibris, notre petite part, sans jamais nous décourager, pour que personne ne soit pris pour des pigeons, pour pas y laisser trop de plume, pour pas laisser les rapaces choisir seul et au final pour pas finir le bec dans l’eau. Cuicui.


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