samedi 20 juin 2009 - par Michel DROUET

La lente agonie de la démocratie

C’est la fin des idéologies et le début de l’ère de la communication. Le débat d’idées n’existe quasiment plus. Il a été remplacé par l’image et le message. Tout se passe comme si la vie politique n’était plus qu’un produit dérivé de la télé réalité. La peopolisation est devenue la règle pour l’homme (et plus rarement la femme) qui ambitionne de détenir une parcelle de pouvoir politique, c’est à dire faire partie de la longue liste de ceux qui bénéficieront d’une rente.

Adoubé par les médias avant de l’être par l’électeur, l’élu s’efforcera de protéger le plus longtemps possible son garde manger. Pour arriver à cela, il devra être bien obéissant envers le parti qui l’a porté sur les fonds baptismaux de la politique, ne pas froisser le « monde de l’entreprise » et autres lobbies par des prises de positions inopportunes. A ces conditions, les portes s’ouvriront à lui, notamment celle du cumul de mandats.

Quant à son efficacité vis à vis des citoyens, c’est une autre histoire...

Combien sont-ils, les élus qui nous représentent ?

558 000 élus au total se préoccupent en principe de notre quotidien, soit en moyenne 1 élu pour 110 habitants, (577 députés, 331 sénateurs, 78 députés européens, 2040 conseillers généraux, 4054 conseillers régionaux, 36785 maires et 514 520 conseillers municipaux) sans compter les délégués municipaux dans les intercommunalités (85000 environ), voilà le tableau d’ensemble.

En pratique, ils sont un peu moins du fait du cumul des mandats exercés par une même personne.

Donc, en résumé, il existe des élus nationaux et locaux à la fois, ou bien des élus locaux qui exercent leurs talents dans deux assemblées locales et peuvent être en plus délégués dans une intercommunalité.

En première lecture, on ne peut pas dire que nous sommes sous-représentés, même si chacune de ces catégories d’élus ne gèrent pas en principe les mêmes compétences. En principe seulement, car la fameuse clause générale de compétence permet allègrement aux conseils régionaux, généraux, municipaux et aux intercommunalités de traiter des mêmes dossiers, souvent en « partenariat » dans des domaines porteurs qui feront parler d’eux, souvent dans les champs des compétences facultatives, plus nobles aux yeux des élus concernés que les compétences obligatoires.

Le cumul des mandats

Bien que limité depuis 2000 (loi Jospin), il n’en demeure pas moins important puisque 85 % des députés cumulent leur mandat national avec un mandat local. Il n’existe pas de chiffres précis concernant le cumul des mandats locaux entre eux, mais l’observation des collectivités qui nous entourent permet de constater que le cumul est un sport qui se développe bien localement.

Bien sûr, nos chers cumulards justifient cette pratique par la meilleure connaissance du terrain et aussi par la frustration qui serait la leur si le cumul n’était pas possible. C’est du moins ce que l’on a pu lire sur le blog contributif des élèves administrateurs territoriaux qui fait état de l’avis (d’un élu) suivant : « Avec un seul mandat, l’élu ne dispose que d’un faible influence sur les décisions politiques et sur les règles du jeu, ce qui est source de frustration ».

On pourrait opposer l’argument suivant à cet avis : « Avec plusieurs mandats, l’élu est mieux placé pour favoriser sa circonscription, son canton, sa commune, ses électeurs, ce qui érige en règle absolue le favoritisme et les combinaisons politiciennes ».

L’électeur, qui n’est pas non plus très raisonnable, obnubilé par le charisme et l’entregent de tel ou tel élu qui passe bien dans les médias et « possède ses entrées dans les Ministères », est attiré comme la mouche par le miel par l’élu cumulard qui saura ainsi jongler avec ses différents mandats pour régler son petit problème de voisinage ou décrocher une faveur pour le petit dernier de la famille.

Que dire encore du cumul des mandats, auquel s’ajoute bien souvent la succession de mandats pour un même élu, sinon qu’il favorise bien entendu l’absentéisme dans les assemblées nationales ou territoriales, qu’il conduit à la professionnalisation et à la notabilisation de la vie politique là où le turn over devrait être la règle, et qu’il conforte le rôle des partis, tout cela avec une conséquence majeure : l’affaiblissement de la démocratie et la négation du rôle du citoyen.

La communication et l’émotion comme projet politique essentiel

On se souvient de « Papy Voise » dont l’agression avait été fortement médiatisée quelques jours avant une élection et qui l’avait notablement influencée.

Aujourd’hui, on ne se contente plus d’attendre l’évènement qui permettra une mobilisation opportune pendant un campagne électorale, mais on entretient en permanence un climat. Au niveau national, nous avons eu les lois sur les chiens dangereux, les manèges dangereux. Au box office nous avons désormais la loi sur les bandes, le port de la cagoule dans les manifestations, la loi Hadopi, avec leur caractère répressif.

Sans doute aurons-nous prochainement une loi visant les chiens dangereux cagoulés, en bandes, dans les manèges de fêtes foraines...

Toutes ces initiatives législatives entretiennent dans le subconscient collectif un sentiment d’insécurité, d’atteinte permanente au patrimoine et se retrouvent à la une de tous les médias entre une photo d’un richissime homme d’affaires sur son yacht (il faut bien continuer à faire rêver) et celle d’une bande de jeunes avec leurs chiens qui squattent les bancs publics (juste pour entretenir la peur), le tout bien sûr sans réflexion de fond destinée à expliquer les méthodes ou les raisons qui ont conduit à ces situations.

Avec de tels scénarios, ne vous étonnez pas que le rôle du parlement, fixé par l’article 34 de la constitution, ait tendance à se résumer dans l’opinion, à celui de porte voix et de faire valoir d’un exécutif et de groupes sociaux qui s’en accommodent parfaitement, puisque pendant ce temps on ne débat pas des vrais problèmes de notre société, des origines de la crise et des moyens à mettre en œuvre pour éviter un nouveau désastre financier.

Plus localement, la technique n’est pas la même mais peut s’avérer aussi efficace. 

Beaucoup de personnes reçoivent dans leur boîte à lettre le bulletin municipal, très souvent également la revue du Conseil Général ainsi que celle du Conseil Régional.

Si le bulletin municipal conserve le plus souvent un caractère informatif apprécié, les autres publications se révèlent le plus souvent être principalement un support de communication pour les majorités en place à destination des citoyens qui ne font pas toujours la différence entre assemblée départementale et régionale quant aux compétences exercées par l’une et l’autre.

Bien entendu « l’événementiel » (participation aux fêtes et manifestations locales avec banderoles au logo de la collectivité qui subventionne et distribution d’articles promotionnels) tient une bonne place dans le dispositif de communication de ces collectivités et aide (?), moyennant des dépenses non négligeables, à construire « l’image » du Conseil Général ou Régional concerné.

Dans le même ordre d’idée, on valorisera et on investira dans ce qui se voit (les ronds points, les aménagements de voirie coûteux ou la rénovation de la gare SNCF,...) au détriment de ce qui se voit moins (les moyens humains pour le maintien du lien social par exemple) en surmédiatisant les effets bénéfiques pour l’emploi (emploi privé, s’entend) de tel ou tel équipement payé par la collectivité.

Des élus sous influence

Pas un lacet de guêtre ne doit manquer : c’est la logique des partis qui, selon l’article 4 de la constitution « concourent à l’expression du suffrage », doux euphémisme pour dire qu’ils exercent un pouvoir sans partage sur la désignation des candidats aux élections et sur les moyens mis à leur disposition pour renouveler leur mandat. Il n’y a guère que dans les petites communes où cela ne se passe pas de cette façon, mais c’est sans importance, car leurs pouvoirs sont très limités et les véritables enjeux ne sont pas là.

Ce système suppose beaucoup d’abnégation de la part des élus qui ne sont que peu enclins à s’écarter des règles édictées par les partis.

Comment, dans ses conditions, exercer pleinement et sereinement un rôle de représentant du peuple ?

En dehors de cette mainmise des partis, existe une « prise en charge » des élus par les différents groupes de pression (les lobbies), qui savent également si bien faire et défaire des carrières politiques. Ils sont là, peu visibles, mais très présents, et « assistent » nos élus en leur fournissant les argumentaires détaillés qui leur permettront de voter ou d’amender « en conscience » tel ou tel texte : les syndicalistes agricoles un jour, les représentants du monde économique le lendemain et le surlendemain peut-être les industries pharmaceutiques, les professionnels de l’hospitalisation privée ou bien les grands groupes industriels et financier.

Comment faire entendre la voix du citoyen dans ce contexte ?

Au plan local, on se glorifie en permanence que 75 % de l’investissement public en France est le fait des collectivités locales, encore faut-il savoir comment se prennent les décisions et s’opèrent les choix.

Pas besoin, a priori, au niveau local, de lobbies constitués comme au niveau national. Les choses se font de manière beaucoup plus douces et la pression s’exerce davantage sur la reconduction, pour le moins, des budgets d’investissement et sur l’augmentation des budgets de fonctionnement de l’année précédente (pour les délégations de service public, pas les dépenses de personnel…).

La bienveillance à l’égard du monde économique, à l’égard des « créateurs de richesse » et d’emplois, si adulés en ces temps de crise, ne permet pas aux fonctionnaires territoriaux de développer un esprit critique et leur expertise vis à vis de tel ou tel chiffrage de prestation ou dépassement de prix proposé par les entreprises parfois en situation de quasi monopole sur le secteur concerné.

Ce compagnonnage élus/entreprise ne conduit pas toujours les collectivités à prendre les bonnes décisions mais parfois à s’en remettre purement et simplement à des bureaux d’études, pas toujours indépendant des entreprises qui réaliseront les travaux ou les prestations commandées.

La dérive des continents

Ainsi pourrait-on qualifier l’écart qui se creuse de jour en jour entre les citoyens et leurs représentants. Le nombre d’élus, de collectivités locales, ne sont donc pas le gage d’une gouvernance désintéressée et citoyenne et le signe d’une démocratie vivante, mais au contraire la manifestation d’un pouvoir autarcique et ne communiquant que pour maintenir les choses en l’état.

Soucieux de leur image, couvés par les lobbies, vampirisés par un exécutif omniprésent et les conseillers de sa cour, les élus et les partis perdent chaque jour de leur efficacité, s’accrochent aux prérogatives qui leur restent et verrouillent tout des règles qui les concernent : financement des campagnes électorales, modes de scrutins, cumul des mandats, réforme des collectivités locales. Autant le dire tout de suite, aucune évolution n’est à attendre des élus sur ces points essentiels : on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis.

Englué dans un tel système, notre pays a bien du mal à maintenir vivants les principes fondateurs de notre république et des valeurs portées par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.



14 réactions


  • USA 613 20 juin 2009 16:08

    Wouaw samedi interdiction des manifestations en Iran

    Voila un bel exemple de la démocratie

    Combien d’intervenants s’indignent sur AV ?
    Qu’en est-il des mêmes ALORS que de telles méthodes NE sont PAS pratiquées aux USA, en France, en Europe, en Israël, etc... ?
    Combien de ces intervenants en sont à vomir tous ces pays sur AV ?
    Combien de ces mêmes intervenants en sont à intervenir avec autant de véhémence pour défendre les droits des Iraniens bafoués ? AUCUN !!!
    Les grands moralistes pro-M’Bla M’Bala ou pro-palestiniens soutiennent le Hamas, le Hezbollah, l’escroc des scrutins en Iran, même lourd silence sur ce qui s’est passé en Afrique, au Sri Lanka, en Asie et ailleurs dans le monde... l’indignation de Morice et d’autres est bien sélective.
    Faut-il s’en réjouir ? s’en désoler ? s’en indigner ? 
    C’est selon
    Mais le constat est fait une fois de plus les intervenants d’A.V. donnent une image de ce qu’est A.V. du fait de l’écho qui leurs est donné et des choix des articles qu’il est fait ici.
     
    Non, non on ne rêve pas.... ici sur A.V. il y a bien soutien des abus qui sont perpétrés en Iran...
    Ce qui se passe en Iran est révoltant
    Ce qui se passe dans ces colonnes est ECOEURANT


  • Senatus populusque (Courouve) Courouve 20 juin 2009 17:10

    Plus grave que la fin des idéologies, il y a la fin de la culture classique.

    http://laconnaissanceouverteetsesdetracteurs.blogspot.com


  • Bobby Bobby 20 juin 2009 17:16

    Bonjour,

    Papier dont le fond comme la forme, ont été appréciés.

    Le citoyen se retrouve devant un mur de silence lorsqu’ il s’agit de prendre les décisions importantes... le huis clos est de mise et le pouvoir bien gardé... la « communication » actuelle réduisant le pekin Monsieur tout-le-monde au rôle de mouton de Panurge, plus qu’autre chose.

    Je vote pour le défunt Michel Colluchi, une des rares personnes qui avait quelque chose à faire et peut être pour l’actuel Daniel Cohn Bandit dont on peut regretter que la nationalité ne lui permette pas d’accéder au poste présidentiel en France. Quant au reste... le tableau est bien pastiché ! Merci !


  • bernard29 bernard29 20 juin 2009 17:50

    oui . Il est vraiment temps de faire quelque chose. Comme les seules élections qui comptent sont les présidentielles, il faut pour 2012, établir un un vrai pacte démocratique à proposer aux électeurs ; Comme il y a eu un Pacte écologique pour l’environnement.

    voir http://pacte-democratique.blogspot.com/2008/10/le-pacte-dmocratique-2012.html 


    ou changer la republique. http://changerlarepublique.over-blog.com/


  • xray 20 juin 2009 18:33

     

    Politique 
    Comment faire plus simple que la version actuelle ? 

    Y a la droite ! 
    Y a la gauche ! 
    Y a le médicament (Pour la droite)  ; 
    Y a la drogue  (Pour la gauche). 

    La droite, c’est l’argent ! 
    La gauche, c’est la haute finance. 

    Votez d’abord ! On vous expliquera ensuite ! 


    Le Grand Guignol politique 
    http://n-importelequelqu-onenfinisse.hautetfort.com/ 

    Les virus de curés 
    http://levirusmachin.hautetfort.com/ 




  • Blé 20 juin 2009 19:43

    Je ne pense pas que ce qui se passe en Iran laissent les gens indifférents. Tous les jours dans le monde, il y a de la violence provoquée souvent par l’emprise d’une minorité sur le plus grand nombre. Religions, climats, culture, sous tous les cieux quand le pouvoir est concentré entre quelques mains, ce n’est jamais pour le bonheur des peuples.
    En France, nous sommes dans l’illusion d’une démocratie, les gens de peu ne se sont jamais beaucoup déplacés pour aller voter. Mais ces gens de peu n’intéressaient pas les partis, ces gens de peu passent par profit et perte d’une démocratie qui satisfaisait quelques catégories socioprofessionnelles les plus aisées et très aisées. Aujourd’hui, ces mêmes catégories qui étaient plus protégées par le choix de société qui avait été fait commencent à s’apercevoir que la démocratie fout le camp car il manque beaucoup de monde à l’appelle à l’occasion d’un vote.
    Quand le peuple n’a pas prise sur l’essentiel, c’est à dire sur les choix de l’économie et la finance, la démocratie est une coquille vide. Un bulletin de vote contre une délocalisation, ce rapport de force entre le puissant et l’impuissant est-ce vraiment une situation qui privilégie la vie démocratique ?


    • Michel DROUET Michel DROUET 21 juin 2009 18:24

      à Blé,

      Vous avez raison de dire que l’économie et de la finance pèsent sur le débat démocratique.
      En fait, on pourrait même avancer l’idée que les élus ne sont pas seulement sous influence, comme je l’indique dans mon article, mais qu’ils ne sont que des simples figurants interchangeables qu’on met en avant de temps en temps pour éviter de trop montrer que le véritable pouvoir est économique, qu’il est mondial et qu’il se contrefiche de l’avis des citoyens.


  • Peretz Peretz 20 juin 2009 22:08

    La lente agonie de la démocratie vient tout simplement d’une constitution obsolete, dont se sont rendus maîtres les partis majoritaires peu repésentatifs des citoyens. Puisque chacun y va de son site, je propose celui-ci qui, si l’occcasion se présentait, remettrait la démocratie sur le droit chemin du pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple (sans populisme), en instaurant une assemblée nationale référendaire, au-dessus-des partis.www.citoyenreferent.fr


  • Manuel de Survie Manuel de Survie 21 juin 2009 00:50


    Michel Drouet donne une idée juste de la défaillance de nos modes de représentation et de l’irresponsabilité du jeu politique. C’est très bien décrit. Reste à savoir en quoi tout cela, dans son évolution, peut se rapporter à l’image d’une lente agonie. Je ne vois pas à quel moment ou à quelle période de santé démocratique le titre fait allusion.

    Et puis, en parcourrant AgoraVox, on voit bien que le monde civique n’est pas moins défaillant que le monde politique. Pour compléter le tableau de la démocratie, il faudrait faire une critique tout aussi sévère de l’opinion.


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