La litanie républicaine : la nouvelle messe politique
La République est une et indivisible. Ses frontières recouvrent celles de la nation. L’idée qu’elle puisse céder un bout de terrain est un pur effet d’optique destiné à ceux qui louchent. La République appartient aux citoyens et les fonctionnaires sont des citoyens comme les autres. Ils n’ont pas plus de droits que les autres citoyens. Dans une République, tout le monde a une utilité publique, tout le monde a une légitimité publique en tant que citoyen d’abord. Cette légitimité est supérieure à toutes les légitimités institutionnelles.
Nous venons d’entendre le président de République sur les derniers événements de Villiers-le-Bel invoquer, comme il est de coutume dans de telles circonstances, la sempiternelle rhétorique liturgique républicaine. « La République ne cèdera pas un bout de terrain ». Tout ceci mâtinée d’une description minutieuse et insistante quasi émotionnelle des blessures des victimes dans la police : untel hospitalisé, untel avec femme enceinte pleurant à côté de son mari hospitalisé - peut-être a-t-elle accouché la nuit même, là au chevet du lit d’hospitalisation de son mari, untel avec œil crevé. « J’ai une pensée pour ce policier qui a perdu un œil. Et, pour ce jeune commissaire qui a été lynché à coups de barres de fer ». Le clou de la scène étant cette confidence : « le sang-froid d’un fonctionnaire atteint par 18 plombs dans le corps. Il avait le tireur dans son viseur. Il aurait pu tirer. On est passé à deux doigts du drame ». Heureusement, il n’a pas tiré, Alleluia ! Pour ceux qui ne le savaient pas, les policiers ont un cœur d’artichaut. Prêts à se sacrifier pour ne pas blesser et tuer « la voyoucratie » en banlieue. Et si Larami et Moushin (15 et 16 ans) sont morts, ce n’est pas un drame, c’est parce qu’ils auraient foncés tout seuls sur la voiture de police. Ils se sont donc suicidés, tout comme ceux qui se sont fait griller dans un champ magnétique en 2005, alors que la police ne faisait que passer par là. Ou peut-être repasser. Pour Villiers-le-Bel, il faut comprendre ceci : la police patrouillait paisiblement et les voyous l’ont prise à partie. Voilà le message républicain.
Nul ne devrait être traité comme un pigeon dans une République.
Nous venons d’entendre le président dire qu’il y a des faits inexplicables et inexcusables : tirer sur des policiers est l’un de ces faits tout comme porter atteinte à l’intégrité d’une enseignante et d’une manière générale d’un fonctionnaire. Fort bien. « Que des individus puissent tirer sur les forces de l’ordre qui font leur métier, je ne peux pas l’accepter ». La vérité est d’ordre plus général : nul ne devrait être traité comme un pigeon dans une République. A chaque couac dans les banlieues, les gros mots sortent « racaille » - « voyoucratie » et les gros bras ressortent pour organiser l’Etat de siège. Cela s’est appelé « Etat d’urgence » en 2005, sous le gouvernement De Villepin. La force appelle la force. La violence enclenche la violence. La haine des uns produit la haine des autres.
De l’utilité publique des fonctionnaires et de la survalorisation de leur légitimité publique.
Il existe deux sortes de violences : les violences institutionnelles immatérielles et clandestines et les violences de Monsieur-tout-le-monde qui, elles, sont visibles. Oui, nos sociétés dans leur ensemble sont violentes ! Cela ne devrait pas nous étonner, puisque nous le savons tous. Les violences institutionnelles qui consistent à mettre des pans entiers de populations hors système, il faut les débusquer, les dénoncer et les condamner avec le même aplomb présidentiel. De ce côté, on assiste toujours à une forme de coalition des agents de l’Etat, fortement soutenue par le gouvernement, comme si les fonctionnaires étaient une classe de citoyens à part à opposer au reste des citoyens. La loi et la force sont définitivement du côté des institutions. Cela s’appelle l’autorité. Avant la République, les rois avaient eux aussi l’autorité et la force. Et, en plus, ils étaient la loi. Ils ont quand même été décapités, car il en va des mauvais rois comme des coalitions prédatrices.
Dans cette affaire de Villiers-le-Bel, outre le volet territorial, différent du social, il y a d’abord l’enchaînement des événements. Avant de promettre des Assises et donc de juger d’avance, à la place des juges, il faudra nous restituer cet enchaînement. Bien sûr, on nous promet une enquête, mais cette enquête semble être secondaire au regard des policiers agressés. Si on appelle cela la justice, alors on n’est plus dans une République. Car, dans une République, le gouvernement et le Parlement font les lois et la justice juge. La justice a pouvoir de réparation et de correction des lois : cela s’appelle la jurisprudence.
« Il y a une chose au-dessus de la justice, c’est l’équité », Victor Hugo dans Les Misérables.
©Elise Mbock, novembre 2007.