La surveillance électronique franchit les frontières et les limites
On sait que la surveillance généralisée des populations passe par la multiplication des systèmes de contrôle permettant de valider l’identité des citoyens. Ce que l’on sait moins, c’est que des données personnelles nous concernant sont transmises, à notre insu, à des gouvernements étrangers pour renforcer leurs systèmes de contrôle. Cela va beaucoup plus loin qu’on ne le croit.
Le risque potentiel pour la sécurité que représente tout individu est devenu obsessionnel. Tels des joueurs compulsifs qui ne peuvent s’empêcher de franchir les portes du casino, nos forces de l’ordre sont incapables de résister à l’appel des technologies de l’information. La cueillette, le couplage et l’échange de données, même les plus intimes, sont devenus des opérations banales sans que nous en ayons été conscients.
Dans un mémoire présenté à la Commission de l’éthique de la science et de la technologie du Québec en novembre 2005, la Ligue des droits et libertés écrivait : « Les systèmes biométriques à plus grande échelle sont ceux déployés au niveau international sur la base de décisions prises par des instances sur lesquelles les citoyens n’ont aucune prise. » C’est le cas du passeport biométrique avec puce d’identification radio-fréquence (RFID), adopté au printemps 2004 comme nouvelle norme de passeport par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).
Ajoutons les accords entre pays prévoyant l’échange de données sur des individus, tel l’Accord sur la frontière intelligente en vigueur depuis décembre 2001. Toujours selon la Ligue des droits et libertés, la quantité d’informations et de renseignements sur des individus échangés entre agences de renseignements canadiennes et américaines a augmenté de façon substantielle depuis 2001.
Au même moment, le cumul d’informations de toute nature sur les individus ne cesse de s’enrichir (dossiers scolaires, médicaux, de justice, etc.) et de se centraliser. Cela ne peut que faciliter les échanges de données nous concernant entre gouvernements.
Carte d’identité avec données biométriques obligatoire et universelle, passeport biométrique qui va finir par devenir tout aussi obligatoire et universel, nous aurons en permanence sur nous, d’ici quelques années, si nous ne faisons rien pour l’empêcher, une « clé d’accès » non seulement pour nous identifier, mais surtout pour enclencher un processus de profilage qui pourrait poser de sérieux problèmes à de nombreuses personnes pourtant sans reproche.
Au rythme où vont les choses, il sera bientôt possible à diverses forces de l’ordre de consulter instantanément notre double numérique, un profil de notre personnalité qui ne sera pas connue de nous. Au nom de la sécurité nationale, on nous refusera l’accès à notre double numérique, tout en refusant de donner des explications sur ce refus. Bref, nous ne serons pas en mesure de vérifier ce que l’État prétend savoir sur vous.
Le gourou américain de la sécurité (selon The Economist) Bruce Schneier, expliquait le 22 décembre dernier, sur son blog Schneier on Security, à quel point tout système qui prétend pouvoir déterminer le danger que représente chaque individu qu’il filtre est une pure perte d’argent.
Donnant l’exemple du Automated Targeting System qui attribue une note à chaque voyageur se présentant dans un aéroport américain, note correspondant au degré de menace terroriste qu’il pose, Schneier rappelle un simple chiffre pour illustrer sa prétention : sur les 431 millions de visiteurs qui sont passés par les douanes américaines en 2005, même un système fiable à 99,9% produit 431 000 fausses alarmes !
Mais la pire menace que fait peser, selon Schneier, ce genre de système, dont certains politiciens de droite font la promotion (cette dernière remarque n’est pas de Schneier), concerne les libertés individuelles.
Monter des mégabases de données sur des individus n’ayant commis aucun crime, à partir de critères secrets, et partager ces données avec diverses agences gouvernementales sans devoir en rendre compte, rend chacun de nous constamment à la merci d’un abus de pouvoir. C’est digne de l’ex-URSS ou de la Chine actuelle, pas de régimes démocratiques.
Parlez-en à Jan Adams et à Rebecca Gordon, deux Américaines qui se sont vu refuser l’embarquement à bord d’un avion en 2003 parce qu’elles étaient sur la no-fly list, et qui n’ont vu comme seule raison plausible que le fait qu’elles militaient contre la guerre en Irak. (Suspect nation, à la 28e minute).
Imaginez que l’extrême droite s’empare démocratiquement du pouvoir dans votre pays !Brr...
Bruce Schneier. Automated Targeting System.